(Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Déclenchement de la règle de Sahm (Sahm Rules) aux États-Unis, dégradation des statistiques économiques américaines ou encore craintes d’une erreur de politique monétaire, il n’en fallait pas plus pour que certains analystes parient à nouveau sur une rentrée en récession de l’économie américaine. Se pose alors la question de savoir comment, historiquement, se comportent les divers actifs durant une récession. Scénario «what if» qui n’est pas le nôtre aujourd’hui. Synthèse et analyse.
Les faits
Les récessions prennent souvent tout le monde par surprise. À l’inverse, on se souvient qu’en 2023, lorsque tout monde s’attendait à ce que les États-Unis entrent en récession, c’est le contraire qui s’est matérialisé.
Jusqu’à vendredi dernier, la probabilité d’une récession dans la première économie mondiale était très faible. Goldman Sachs par exemple tablait sur seulement 15% de probabilité. La publication des chiffres de l’emploi nettement en dessous des attentes du consensus a cependant «tout» changé.
La banque américaine a relevé ses estimations à 25% et JP Morgan parie maintenant sur 50% de probabilité d’une entrée en récession des États-Unis.
La question de savoir si elle sera profonde ou superficielle, longue ou courte est débattue, mais l’idée que l’économie entre dans une période de contraction fait l’objet d’un débat naissant très animé.
Après avoir effectué un exercice similaire dans le Morning & Synthèse sur les thématiques du hard landing ou du soft landing vous trouverez ci-dessous toutes les réponses aux questions que vous pourriez vous poser sur les précédentes récessions.
Qu’est-ce qu’une récession?
La question semble infantile, mais elle est nécessaire. Une récession se caractérise par une phase de contraction économique qui s’étend sur plus de six mois (seulement deux trimestres représentant une «récession technique»).
De manière générale, on dit qu’un pays est entré en phase de récession lorsque l’économie recule sur deux trimestres consécutifs, principalement sur la base du produit intérieur brut (PIB).
Selon le Bureau national de recherche économique, la durée moyenne des récessions depuis 1945 est d’un peu plus de 11 mois, avec des périodes longues dont la moyenne atteint les 58 mois.
Pourquoi les États-Unis pourraient-ils rentrer en récession?
Malgré une croissance économique américaine au deuxième trimestre en accélération par rapport au premier trimestre 2024, force est de constater que les bases de comparaison au troisième trimestre par rapport à 2023 seront très élevées (la croissance du troisième trimestre 2023 étant de 4,9%). Par ailleurs, on l’a constaté dernièrement, le niveau des taux d’intérêt aux États-Unis commence à avoir un effet négatif sur la consommation des Américains.
Dernier exemple en date: l’économie américaine a créé 114 000 emplois en juillet 2024, bien en deçà des 179 000 emplois de juin et des prévisions de 175 000 emplois.
Il s’agit également du niveau le plus bas depuis trois mois, inférieur au gain mensuel moyen de 215 000 au cours des 12 mois précédents, ce qui indique que le marché du travail est en train de se refroidir.
Le taux de chômage quant à lui est passé de 4,1% en juin à 4,3% en juillet.
On peut bien évidemment aussi citer les ISMs manufacturiers. Le PMI manufacturier ISM est effectivement tombé à 46,6 en juillet 2024, contre 48,5 le mois précédent, bien en dessous des attentes du marché (48,8), reflétant la plus forte contraction de l’activité manufacturière américaine depuis novembre 2023. Il s’agit de la vingtième baisse de l’activité au cours des 21 dernières périodes, ce qui souligne l’impact des taux d’intérêt élevés.
Enfin, autre exemple, les dépôts de dossiers au titre du chapitre 11 (faillites aux États-Unis) atteignent leur niveau le plus élevé depuis plus de dix ans.
Comment évoluent historiquement les actifs durant une récession
Lors des dernières récessions, il y a eu plusieurs réactions sur de nombreux actifs dont:
Comment évolue le S&P 500?
Il est bien évidemment intéressant de savoir comment évoluent les indices durant une récession, mais aussi avant et après une récession.
Si on s’accorde sur les chiffres de la NBER (US Business Cycle Expansions and Contractions | NBER) voici les constatations que l’on peut faire:
- Avant la récession: Le rendement cumulé du S&P 500 a été, en moyenne, le plus faible au cours des 12 mois précédant une récession (-3%) tout comme au cours de six mois (-2%).
- Durant une récession: Au cours d’une récession, la performance moyenne est de -1%. Cependant, si on exclut la récession de 2007, la performance moyenne est de + 2,8%! Un graphique très intéressant proposé par Forbes, nous montre comment aurait évolué un investissement de 10 000 dollars américains lors du déclenchement d’une récession sur une durée de 24 mois. Si les délais de récupération et la force varient, une performance positive a toujours été le résultat le plus probable.
- Après la récession: Il n’est pas surprenant que les rendements cumulés deviennent de plus en plus positifs au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la récession. Six mois après la récession la performance est en moyenne de +7%. Après 12 mois, c’est +16% et après 2 ans, on parle de 20%.
Comment évoluent les bénéfices et les valorisations?
Si on reprend les chiffres du NBER, en moyenne, les bénéfices du S&P 500 diminuent de 16,4% en période de récession. Il est à noter qu’au cours de deux des dix dernières récessions, il n’y a pas eu de baisse des bénéfices de l’indice.
Lors des récessions de 1973-1975 et de 1980, les bénéfices au niveau de l’indice ont en fait augmenté. Ces deux périodes ont été marquées par des niveaux d’inflation élevés et croissants, ce qui a probablement permis aux grandes entreprises américaines de maintenir la croissance de leurs bénéfices nominaux.
Au cours de la période de récession 1973-1975, les bénéfices par action au niveau de l’indice S&P 500 ont augmenté de 18,4%. Pendant la récession de 1980, les bénéfices ont augmenté de 7,1%.
La compression moyenne du ratio cours/bénéfice a été de 26,0% et le multiple de l’indice S&P 500 a diminué au cours de chacune des périodes de récession.
En conclusion, pendant les récessions, les entreprises américaines subissent généralement une contraction de leurs bénéfices ainsi que de leurs ratios cours/bénéfice. Les dix dernières récessions ont toutes été marquées par des baisses du ratio C/B de l’indice S&P 500, tandis que les bénéfices ont diminué dans huit des dix récessions.
Comment évoluent les obligations?
En période de ralentissement économique, historiquement dans le cadre de sa politique monétaire, la Fed baisse le taux des fonds fédéraux.
Comme vous le savez, le marché obligataire est inversement corrélé au taux des fonds fédéraux et aux taux d’intérêt à court terme. Lorsque les taux d’intérêt baissent pendant une récession, les prix des obligations augmentent et les rendements obligataires diminuent.
Pendant les périodes de croissance économique qui suivent une récession, les taux d’intérêt commencent à augmenter. Les prix des obligations baissent et les investisseurs obligataires reçoivent des rendements plus élevés.
Toutes les obligations ne se comportent pas de la même manière en période de récession. Historiquement, les meilleures performances durant cette période du cycle économique sont les:
- Obligations fédérales émises par la Réserve fédérale
- Obligations municipales émises par les gouvernements locaux et d’État
- Obligations d’entreprises imposables émises par des sociétés privées
En termes de duration, c’est la duration longue qui est privilégiée lorsqu’on anticipe la récession et la duration courte lorsqu’on anticipe la sortie de la récession.
Les deux principaux avantages d’investir sur le marché financier des obligations en période de récession sont:
Une source de revenus fixes et stables: En période de ralentissement économique, les obligations peuvent constituer une source de revenus fixes prévisibles.
Forte demande: En période de récession, les obligations sont plus demandées que les actions à dividendes.
Comment évoluent les matières premières?
Les métaux industriels sont généralement les plus durement touchés, avec une chute de 35% d’un pic à l’autre. Les pics de prix de l’énergie sont en partie à l’origine de deux tiers des récessions, puis reviennent généralement aux niveaux d’avant la récession. Voici ce que nous racontent les données sur les récessions aux États-Unis depuis 1970:
- Les métaux industriels sont généralement les plus durement touchés, avec une baisse de 35% du sommet au plus bas (peak-to-trough) et une baisse de 20% l’année suivant la fin de la récession par rapport à l’année précédant le début de la récession.
- Le secteur de l’énergie est plus hétérogène, avec une baisse de 23% peak-to-trough, mais dans le deux tiers des récessions, les prix de l’énergie ont continué à grimper pendant six mois en moyenne après le début de la récession, ce qui laisse penser que les pénuries d’énergie en sont la cause.
- L’or est une exception. Lors de la récession moyenne médiane, les prix réels de l’or ont augmenté de 5% au cours des 12 mois suivants la fin de la récession, par rapport aux 12 mois précédant son début. Les autres métaux précieux ont eu tendance à baisser de 10 à 15%.
Cependant chaque récession est bien évidemment unique.
Lors de la Grande Récession de 2008-2009, par exemple, six des douze produits de base figurant dans ce graphique ont connu la pire baisse de pic à pic (c’est-à-dire du plus haut au plus bas) de toutes les récessions, tandis que trois autres des douze ont connu leur deuxième pire baisse.
Comment évoluent les secteurs?
Au fur et à mesure que la croissance économique stagne et se contracte, historiquement les secteurs les plus sensibles à l’économie perdent leur faveur et les défensives surperforment. Les biens de consommation de base, les services publics, les services de télécommunication et les soins de santé surperforment.
L’industrie, les technologies de l’information, les matériaux, l’immobilier et la finance, ont généralement sous-performé le marché. On fait bien évidemment attention aux anticipations de rentrée en récession et aux anticipations de sorties de récession.
C’est-à-dire que si au début de la récession on anticipe déjà une sortie, c’est bien évidemment les secteurs liés au rebond (finance, technologie…) qui connaîtront les meilleures performances.
Synthèse
En nous référant à l’histoire, dans le cas hypothétique d’une entrée en récession des États-Unis, cela ne signifie pas spécialement un effondrement du S&P 500. L’idée étant que lorsqu’on rentre en récession, on anticipe qu’on en sort, qu’il y a une lumière au bout du tunnel. La question est bien évidemment de savoir quelle sera la durée d’une potentielle récession. Nous n’y sommes pas encore aujourd’hui et il ne faut surtout pas minimiser la capacité de la Réserve fédérale américaine à intervenir «en tout temps» si une décélération violente devait être à craindre…