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Arthur Silve

Politiconomix

Arthur Silve

Expert(e) invité(e)

Immigration: plan B aujourd’hui, plan A demain

Arthur Silve|Publié le 14 octobre 2024

Immigration: plan B aujourd’hui, plan A demain

Avec un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, les talents internationaux pourraient rediriger leurs ambitions. L’idée de s’installer au Canada, pour y trouver stabilité et sécurité, devient soudain plus séduisante. (Photo: Adobe Stock)

EXPERT INVITÉ. Presque autant que le Canada, les États-Unis sont terre d’immigration.

Au Canada, les immigrants forment actuellement 23% de la population, contre un peu plus de 16% aux États-Unis.

Les clichés se multiplient: le rêve américain s’effrite tandis que le Canada, longtemps discret, attire l’attention par son multiculturalisme assumé. Des deux côtés, une population qui presque tout entière – à l’exception des Premières Nations présentes depuis des temps immémoriaux – a ses ancêtres ailleurs.

Que va-t-il se passer si, demain, le rêve américain devient un cauchemar parce que Donald Trump décide de déporter non seulement les immigrants sans papiers, mais aussi certaines catégories d’immigrants légaux?

Que va-t-il se passer s’il met en œuvre les mesures qu’il a promises, de filtrage idéologique à l’immigration?

À en croire Donald Trump, les immigrants sont menés par les quatre cavaliers de l’apocalypse.

La guerre, culturelle, lui faisant craindre une disparition de la culture américaine; la famine, car il imagine les immigrants volant leurs emplois aux citoyens américains; les maladies, parce que le spectre de la COVID-19 n’est pas encore très loin, et par le coût qu’ils imposeraient au système de santé; la mort enfin, car selon lui ce sont les immigrants qui forment l’essentiel des criminels du pays.

Ces peurs, même exagérées, résonnent avec une partie de l’électorat qui se sent économiquement et culturellement menacée.

Tout irait mieux, l’économie, la culture, la santé, et la structure sociale, nous dit-il, si on limitait beaucoup les flux d’immigration et que l’on déportait de nombreux immigrants déjà arrivés.

En regard, le programme de Kamala Harris est beaucoup plus mesuré. Elle-même issue de l’immigration, et se fondant sur son expérience de procureure générale d’un grand État frontalier, elle propose une politique plus humaine, cherchant un équilibre entre sécurité et ouverture.

Elle annonce souhaiter mieux protéger les mineurs entrés illégalement sur le territoire (les dreamers) et les demandeurs d’asile. Un programme classique et dans la lignée des politiques de l’administration actuelle. Business as usual, en quelque sorte, et pour le Canada, un terrain familier, qui autorise un débat plus serein sur la question des politiques d’immigration.

Le Canada, longtemps vu comme une alternative stable, mais moins ambitieuse que les États-Unis, n’avait pas le même pouvoir d’attraction. Pourquoi choisir Vancouver ou Montréal quand Los Angeles, Boston ou New York semblaient offrir des occasions sans fin ? La grande puissance américaine, avec ses universités de prestige et ses promesses de richesse, faisait rêver.

Avenir plus serein

Mais avec un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, les talents internationaux pourraient rediriger leurs ambitions.

L’idée de s’installer au Canada, pour y trouver stabilité et sécurité, devient soudain plus séduisante.

En particulier pour ceux qui cherchent un environnement où l’avenir de leurs enfants est plus serein. Ceux qu’inquiètent les menaces récentes d’ «une journée vraiment violente».

Quelle occasion ce serait pour le Canada, soudainement capable d’attirer la crème des talents mondiaux! Il n’est même pas inconcevable que certains Américains talentueux envisagent de s’expatrier vers le Canada.

Un climat social plus apaisé, des politiques progressistes et un cadre économique dynamique pourraient les convaincre de franchir la frontière tout en restant en Amérique du Nord.

Rien de l’argumentaire de Donald Trump ne résiste à l’épreuve des faits, et ne doit donc nous inquiéter.

Avant même la pandémie, les économistes s’accordaient largement pour dire que les immigrants n’avaient pas de répercussion négative sur le marché du travail. Depuis la pandémie, a fortiori, les immigrants résorbent une partie de la pénurie de main-d’œuvre.

Les migrants sont certes un vecteur important de changement culturel – mais lequel? Si un mécanisme domine, nous trouvons c’est celui des «rémittences culturelles» – autrement dit, les immigrants jouent un rôle d’ambassadeurs culturels pour leur pays d’accueil.

L’immigration n’est pas un facteur de criminalité – au contraire. Même sans papiers, le taux de criminalité des immigrants est plus faible que celui des Canadiens.

Il y a tout de même une vraie difficulté qu’amplifierait un choc d’immigration : il deviendrait d’autant plus urgent d’adapter notre infrastructure.

Le Canada doit mettre en place une politique ambitieuse de construction de logements, surtout dans les grandes zones urbaines où la pression est déjà forte.

Il faut réviser les réglementations actuelles pour accélérer la délivrance de permis de construire et encourager des projets innovants de logements abordables.

Des incitations fiscales pour les promoteurs immobiliers, combinées à des investissements publics dans les infrastructures urbaines qui facilitent la densification, permettraient d’absorber cette nouvelle population tout en stimulant l’économie.

Moyennant cela, un choc d’immigration serait pour le Canada le free lunch proverbial dont les économistes contestent l’existence: une occasion d’élargir son bassin de talents, notamment dans des secteurs clés de l’économie, comme la technologie et la santé, tout en stimulant l’innovation et en consolidant sa position sur la scène mondiale, parce que Donald Trump aurait décidé de tirer une balle dans le pied de l’Amérique.