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Nicolas Duvernois

Chronique d'un entrepreneur

Nicolas Duvernois

Expert(e) invité(e)

«J’ai besoin d’une pause», confie Nicolas Duvernois

Nicolas Duvernois|Mis à jour le 09 octobre 2024

«J’ai besoin d’une pause», confie Nicolas Duvernois

«Depuis une semaine, j’ai décidé de prendre une pause de la presque totalité de mes engagements pour une période indéterminée.» (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Oui. J’ai besoin d’une pause, d’une vraie pause. Malgré l’amour et la passion que je ressens pour mon entreprise, mes différents projets et implications, je suis fatigué. Je ne parle pas ici d’une fatigue passagère qui nécessite quelques jours de repos, je parle d’une fatigue qui ne me quitte jamais. Celle qui me suit comme mon ombre du matin au soir, celle qui m’envahit. Celle qui fait mal.

J’écris cette chronique, car j’ai besoin de le faire. Pour moi, c’est un point de rupture, une étape nécessaire pour m’aider à redevenir le Nicolas aux idées folles que j’ai toujours été. J’ai besoin de mettre des mots sur ce que je ressens, sur ce que je vis.

Comme je vous l’ai toujours promis, il est important pour moi de ne pas uniquement vous partager via cette chronique les bons côtés de mon quotidien d’entrepreneur, mais aussi les moins bons. Au fil des années, je vous ai invité dans les coulisses de mon parcours en toute transparence et c’est avec cette même approche que j’écris ces mots.

Depuis une quinzaine d’années, j’ai la chance et le privilège de pouvoir bâtir une entreprise florissante avec Karo ainsi qu’une équipe extraordinaire. Voir nos produits tel romeo’s gin ou Pur Vodka briller ici et ailleurs me rend particulièrement fier. Cela étant dit, malgré ce profond sentiment de fierté, je suis fatigué.

En dépit des nombreux signes que la vie m’a envoyés au fil des années, j’ai fait à ma tête et j’ai continué à foncer à vive allure sans savoir que je me dirigeais directement dans un mur. Heureusement, à quelques mètres de celui-ci, j’ai compris (avec beaucoup d’aide) qu’il était temps que je prenne une pause.

Après une première année pandémique qui m’a fait perdre mes repères et forcé à trouver différentes façons de maladroitement compenser, j’ai ressenti les premiers signaux de fatigue que j’ai, bien évidemment, balayés du revers de la main. Je n’avais pas le temps pour ça.

Tel un sablier, plus le temps passait, plus je changeais sans m’en apercevoir. Insomnie, manque de concentration, procrastination, impatience, cynisme et divers maux apparaissaient ici et là sans que je prenne le temps d’y réfléchir encore moins de m’attarder à leur origine. Je n’avais pas le temps pour ça.

Pourtant, je savais pertinemment à quel point le repos était important et à quel point j’en avais besoin. Tel un cordonnier mal chaussé, j’étais le premier à encourager mes proches à prendre de vraies vacances afin de se ressourcer pendant que de mon côté, je continuais à pousser la machine. Totalement anesthésié de la réalité, j’étais devenu un robot sur le mode automatique.

Plusieurs proches ont essayé de me passer le message, en commençant par Karo et ma famille. Ma réponse était toujours la même: «Oui, je vais prendre du temps pour moi, ne t’inquiète pas.» Mensonge. Bien que je susse pertinemment qu’ils avaient raison, je me sentais prisonnier de mon univers. Je me sentais menotté par mon quotidien.

Je ne voyais pas comment prendre off à la tête d’une entreprise, je ne me voyais pas abandonner mon équipe et mes différents partenaires qui comptaient sur moi. Après tout, pourquoi prendre une pause de ce que j’adore faire? Le simple fait de penser à ne pas regarder mes courriels me donnait de l’urticaire!

Après ma famille, c’est mon proche entourage qui a essayé de me faire comprendre que je devais agir. Stéphane, Pier-Alexandre, Mat, Anne, Diane, tous étaient inquiets, tous ont abordé à leur manière le sujet. Une fois de plus, bien qu’en mon for intérieur je savais qu’ils avaient raison, je ne savais pas comment me libérer.

Puis, l’automne 2023 est arrivé. Déjà les deux genoux à terre, j’ai difficilement vécu la maladie et le décès de mon beau-père Gaétan, en passant personnellement par la case hospitalisation pour traiter une pneumonie qui m’a failli être fatale.

En dépit des signaux de plus en plus alarmants, une fois de plus, je me suis dit que je n’avais pas le temps pour ça. En plus de plusieurs dossiers importants à régler, nous étions à quelques mois du lancement de plusieurs projets excitants sur lesquels nous travaillions depuis des mois.

À la maison, je n’étais plus que l’ombre de moi-même. L’armure qui me permettait de traverser mes journées avec si peu d’énergie tombait dès la minute où je franchissais le pas de la porte et faisait de moi qu’un tas d’os fatigué tentant difficilement d’être un bon mari, un bon papa.

En toute transparence, je savais que je n’allais pas bien, mais je ne savais pas quoi faire. Envahi par la culpabilité, j’étais paralysé.

Coupable envers mon équipe de ne pas être aussi performant qu’avant, coupable envers mes enfants et Karo de ne pas être le papa et le mari que je rêvais d’être, coupable de ne pas être le frère, le fils, l’ami, le partenaire que je voulais être. Malgré tous les efforts et l’énergie que j’y mettais, je n’avais tout simplement plus d’essence dans mon réservoir.

J’avais tenté ma chance en vain cet été en libérant mon calendrier. Pour la première fois depuis 2015, j’avais pris une pause de cette chronique, une pause de la radio et de tout autre engagement mis à part l’entreprise. Ce n’était pas assez.

Lundi dernier, j’ai eu la chance de voir débarquer à l’improviste (organisé en catimini par Karo!) chez moi mes deux partenaires Stéphane et Pier-Alexandre. Une fois assis autour de ma table à manger, j’ai compris que nous n’allions pas parler de l’entreprise. J’ai compris que le moment était venu.

Après une discussion lourde en émotions, j’ai décidé de prendre une pause. Ils ne le savent peut-être pas, mais leur présence m’a enlevé une tonne de pression de sur mes épaules. Ils ne le savent peut-être pas, mais ils m’ont libéré.

Pour l’une des premières fois de ma vie, j’ai décidé de lâcher prise. Un proverbe africain dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Pour ma part, il m’a fallu tout un village pour m’obliger à agir.

Depuis une semaine, j’ai décidé de prendre une pause de la presque totalité de mes engagements pour une période indéterminée. Je garde quelques engagements sporadiques par pur plaisir, mais pour le reste, c’est le temps pour moi de prendre une pause. Serein, libre et en toute confiance, je pars me ressourcer, je pars me retrouver.

Jeudi dernier, j’ai appelé Marine Thomas, la rédactrice en chef de Les Affaires, afin de lui annoncer que j’allais me retirer quelque temps après cette dernière chronique. Comme quoi la vie est souvent une question de timing, elle m’a informé que cette semaine, le jeudi le 10 octobre soulignait la journée mondiale de la santé mentale.

Je partage donc mon histoire sans honte ni gêne, avec le simple souhait qu’elle puisse se rajouter à l’effort de sensibilisation aux stigmates qui entourent la maladie mentale et à l’importance de promouvoir celle-ci.

Sur ce, je vous souhaite une merveilleuse journée et vous dis à bientôt!

Nicolas

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Besoin d’aide? Si vous avez les idées noires ou vous inquiétez pour un proche, des intervenants sont disponibles pour vous aider, partout au Québec, 24/7. Téléphone: 1 866 APPELLE (277-3553) / Texto 535 353