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La Chine est-elle (discrètement) en train de dévaluer le yuan ?

John Plassard|Mis à jour le 27 juin 2024

La Chine est-elle (discrètement) en train de dévaluer le yuan ?

(Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Sans que personne n’en parle, le yuan est passé depuis le début de l’année de 7,11 à 7,30 face au dollar américain. Si ce mouvement ne vous paraît pas énorme, la paire est pourtant revenue à son niveau de novembre 2023 et revient progressivement à son niveau 2007 et pourrait potentiellement signaler une volonté du gouvernement chinois de dévaluer sa devise. Est-ce envisageable et quelles seraient les conséquences? Synthèse et analyse.

Les faits

Le yuan offshore s’est affaibli face au dollar américain en passant sur la barre des 7,30 hier, retombant à ses niveaux les plus bas depuis près de sept mois, après que la banque centrale de Chine principalement en raison de la faiblesse des orientations de la banque centrale et de l’appréciation du dollar américain.

La Banque populaire de Chine a fixé le taux médian à 7,124 8 pour un dollar américain, son niveau le plus bas depuis novembre, ce qui suggère que la banque centrale pourrait autoriser un affaiblissement progressif du yuan.

Sur le plan extérieur, le yuan a subi la pression d’un dollar américain robuste, soutenu par les remarques optimistes des responsables de la Fed et par les données indiquant un marché immobilier stable aux États-Unis, qui suggèrent que la Fed ne devrait pas entamer un cycle de réduction des taux d’intérêt dans un avenir proche.

Les investisseurs se concentrent à présent sur les indicateurs économiques à venir, tant aux États-Unis qu’en Chine, notamment les données sur l’inflation PCE aux États-Unis et les bénéfices industriels en Chine, ainsi que les indices PMI de l’industrie manufacturière et des services.

Des événements clés, tels que le premier débat présidentiel américain entre Joe Biden et Donald Trump, ce soir, et les élections françaises, dimanche, sont également au centre de l’attention.

Si certains économistes pensent que la baisse de la devise chinoise n’est simplement que le reflet de la détérioration de la situation économique dans le pays, d’autres soutiennent que tout ceci est intentionnel…

Des sources ont déclaré à Reuters que le ministère du Commerce avait récemment interrogé les exportateurs, les importateurs et les banques sur leurs stratégies de change et sur la manière dont un affaiblissement du yuan pourrait affecter leurs activités.

Pourquoi la tendance peut se poursuivre ?

Plusieurs facteurs laissent présager une poursuite de l’affaiblissement du yuan en 2024.

  • Premièrement, l’excédent de la balance courante – qui a tendance à entraîner les mouvements du yuan – a commencé à se réduire. L’agence gouvernementale prévoit une nouvelle réduction de l’excédent, car la demande extérieure de produits chinois devrait s’affaiblir à cause de la dégradation de la croissance.
  • Deuxièmement, la tendance divergente de la politique monétaire entre les États-Unis et la Chine réduira l’écart des taux d’intérêt du marché monétaire et exercera une pression à la dépréciation sur le yuan. Historiquement, l’écart a relativement bien expliqué les mouvements du taux de change dollar-yuan.
  • Troisièmement, la poursuite des sorties de capitaux par la vente d’actions et d’obligations à l’étranger
  • Quatrièmement, la timide reprise de la croissance économique chinoise ne rassure toujours pas les investisseurs qui « perdent » patience

Les conséquences pour la Chine

Si la baisse du yuan a pour effet d’atténuer les droits de douane toujours en œuvre avec les États-Unis (et bientôt avec l’Union européenne) en rendant le coût des produits chinois moins élevé pour les acheteurs utilisant d’autres devises, vouloir déprécier sa devise est une stratégie risquée.

Les cambistes affirment que le seuil critique serait celui des 7,40 (USD/CNH), niveau de la paire avant 2007.

Ces niveaux s’ils étaient dépassés, sont considérés comme susceptibles d’entraîner une fuite des capitaux en provenance de Chine et de semer le désarroi sur les marchés mondiaux en pleine convalescence.

Le yuan a été un élément de stabilité financière pour tous les marchés. En 2015 par exemple, l’affaiblissement du yuan avait été considéré comme une cause potentielle de déflation mondiale (ce qui serait apprécié par certaines banques centrales on l’imagine secrètement).

Pourquoi le pari serait-il risqué pour la Chine ?

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles il est très risqué pour le gouvernement chinois de dévaluer sa devise.

La Chine, dont l’économie dépend des denrées alimentaires, de l’énergie et des matières premières libellées en dollars américains pour soutenir sa reprise après la COVID-19, a des raisons de se méfier de la force du dollar.

Un renminbi (le yuan est appelé officiellement renminbi et surnommée kuai) plus fort donnera à la Banque populaire de Chine (PBOC) les coudées franches pour se concentrer sur une politique monétaire qui soutient l’économie sans se soucier de l’inflation importée.

Enfin, la Chine ne peut pas se permettre d’être considérée comme «manipulateur de devises» et s’attirer les foudres de la communauté internationale (entendre les États-Unis) maintenant que le yuan est justement considéré comme une devise «officielle». Il s’agit de donner une image de force, même si cela implique d’utiliser les réserves de change pour le faire.

Le discours officiel de la Chine

La PBOC a déclaré le mois dernier qu’elle limiterait résolument les fluctuations importantes du taux de change et qu’elle étudierait le renforcement de l’autorégulation des dépôts en dollars.

Malgré la chute rapide du yuan au cours du mois dernier, les courtiers n’ont signalé que quelques occasions où les banques d’État ont été soupçonnées d’intervenir pour soutenir la monnaie.

Tommy Wu, économiste principal pour la Chine à la Commerzbank, repris par l’agence Reuters, a déclaré il n’y pas si longtemps de cela que la banque centrale « semble tolérer un yuan plus faible », notant que ses récents taux quotidiens officiels d’orientation du yuan ont tous été conformes aux attentes du marché.

Certains économistes pensent que la PBOC pourrait fixer un plafond pour les taux de dépôt en dollars, ce qui pourrait encourager les entreprises à liquider leurs positions importantes en dollars afin d’atténuer la pression à la baisse sur le yuan.

Comment pourraient réagir les États-Unis ?

Pour l’instant, Washington ne s’est pas encore exprimé à ce sujet, mais il y a un risque grandissant que le mouvement du yuan observé ce mois déclenche des accusations de la part des États-Unis, alors même que la POBC est restée attentiste.

Donald Trump a à plusieurs reprises mis en cause la Chine pour sous-évaluer artificiellement sa monnaie, comme avait également pu le faire Barack Obama. Joe Biden de l’a pas encore fait.

En 2011, Barack Obama avait aussi accusé la Chine de fausser les échanges commerciaux mondiaux en intervenant pour faire baisser la valeur du yuan. Une dégradation continue (du yuan) pourrait attiser les craintes d’une guerre des monnaies dont personne ne veut entendre parler…

Les États-Unis ont toujours estimé que le yuan était déjà assez sous-évalué comme cela. Il est vrai qu’après dix années d’une hausse qui a culminé en 2014, le yuan n’a fait que reculer face au billet vert.

Rappelle-toi d’août 2015

Le 11 août 2015 reste ancré dans toutes les mémoires: la Chine avait décidé de dévaluer le yuan de près de 2% face au dollar des États-Unis. Le mouvement n’est pas anodin. C’est tout simplement la plus forte évolution quotidienne du yuan depuis 1994. La Chine avait alors décidé d’engager une libéralisation progressive de l’accès au yuan. La dévaluation de ce 11 août avait été présentée comme un moyen de renforcer ce mouvement.

En effet, cette nouvelle fixation du cours du yuan avait pour but de permettre, à partir de ce jour, de favoriser un prix « dépendant de l’offre et de la demande et des mouvements des grandes monnaies. »

Comme le cours central était de plus en plus éloigné du cours de marché, en raison de l’affaiblissement de l’économie chinoise et de la perspective d’une remontée des taux de la Fed, la POBC avait ramené ce cours à sa valeur de marché pour permettre au nouveau système de bien fonctionner. C’est donc, officiellement, une mesure «exceptionnelle» visant à favoriser une nouvelle étape vers une évolution guidée par le marché du yuan.

Attention aux matières premières

Les conséquences d’une offensive chinoise sur l’économie mondiale risqueraient d’être importantes et négatives, dans l’ensemble.

La baisse du yuan pourrait d’abord peser sur les cours des matières premières libellées en dollars, déjà déprimés par le ralentissement chinois, la surcapacité dans l’empire du Milieu et les nouveaux confinements.

Les économies qui dépendent de ces matières premières pourraient en subir le choc direct. Cela pourrait être le cas de l’Australie, du Canada, des pays du Moyen-Orient et du Brésil.

Une poursuite de la baisse du yuan pourrait aussi connaître une victime collatérale de taille: la zone euro.

Synthèse

La tendance est évidemment à l’affaiblissement du yuan à court terme, compte tenu de la vigueur générale du dollar. Mais il est trop tôt pour parler d’un renversement de tendance et le pari serait extrêmement risqué pour le gouvernement chinois. N’oublions pas qu’un yuan plus faible aide les exportateurs lorsqu’ils convertissent les créances en dollars en yuans, mais la faiblesse attendue de la monnaie à l’avenir n’aide pas les flux de capitaux, car les investisseurs s’inquiètent des pertes de change lorsqu’ils se tournent vers des actifs libellés en yuans…