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Bruno Collet

Repenser nos hiérarchies

Bruno Collet

Expert(e) invité(e)

La gestion est trop importante pour être laissée aux gestionnaires

Bruno Collet|Mis à jour hier à 14h10

La gestion est trop importante pour être laissée aux gestionnaires

En termes de pouvoir, il s’agit de transférer une part de son pouvoir à son équipe, notamment une autonomie décisionnelle et une liberté budgétaire. (Photo: Adobe Stock)

EXPERT INVITÉ. Est-il encore opportun aujourd’hui que les gestionnaires possèdent le monopole des responsabilités de gestion dans les entreprises?

À lire: notre manchette Vers la fin des gestionnaires?

Non seulement ce paradigme obsolète affecte la performance des organisations, mais il contribue de plus à la crise du métier de gestionnaire et au désengagement des employés.

Une minute d’histoire pour comprendre pourquoi ce virage est d’actualité. L’origine du management actuel se situe dans l’ère industrielle du début du 20e siècle.

Les gestionnaires savent ce qu’il faut faire et comment il faut le faire. Les employés exécutent sous supervision les tâches qui leur sont confiées pour produire des produits standardisés. L’organisation est stable et opère dans un monde prévisible. C’est le Taylorisme.

Ce modèle de management reste très présent dans nos organisations. Pourtant, il ne répond pas du tout à notre réalité actuelle. Conséquence: ça craque de partout!

Les entreprises sont de plus en plus complexes et doivent constamment se réinventer pour rester compétitives dans un monde en mutation. Aujourd’hui, les entreprises qui concentrent le pouvoir de décision dans les mains d’une petite caste de cadres se privent de nombreux avantages.

Prenons un exemple. Lors d’un mandat de conseil, j’ai analysé la prise de décision dans une entité de 200 personnes. Une équipe de conception de produit s’interrogeait sur la priorité des fonctions du produit. Cela a généré un point d’action qui s’est retrouvé deux semaines plus tard devant l’un des 20 (!) comités constitués presque exclusivement de gestionnaires. Le comité n’a pas pu prendre de décision sur la base des quelques lignes fournies par l’équipe et de la compréhension du chargé de projet. Il a donc demandé des informations complémentaires, pour finalement prendre une décision deux semaines plus tard. En conséquence, l’expert du produit en question n’a pas été autorisé à prendre la décision et n’a jamais été en contact direct avec le comité.

Quel rapport avec le rôle de gestionnaire?

Les comités tels que celui cité dans l’exemple ont comme principale fonction de remonter l’information aux gestionnaires, puis de redescendre les décisions dans les équipes. Dans cette structure, les gestionnaires sont responsables de toute décision grande ou petite, de la commercialisation d’un nouveau produit au choix des jours de télétravail.

Outre ralentir le flux d’information et la prise de décision, cela génère un effort administratif considérable.

De plus, ce mode de fonctionnement nuit à la qualité des prises de décision, car la personne ayant l’information de première main n’est souvent pas présente à ce moment.

En fait, lorsque les employés sont écartés des responsabilités de gestion, ils sont désengagés et exécutent fréquemment des décisions qu’ils savent être mauvaises pour l’organisation.

La solution est d’ouvrir les responsabilités de gestion aux employés qui n’occupent pas formellement un poste de gestionnaire. Cela nous permet de se poser candidement la question «qui est la meilleure personne pour prendre la décision ou gérer l’activité?» sans se limiter à la fonction officielle et au niveau hiérarchique.

Le principe de base est de ramener le pouvoir de décision aussi proche que possible de la première ligne en se posant quelques questions:

  • Qui possède l’information originale, est devant ce qu’il se passe?
  • Qui a une perspective suffisamment large pour considérer les conséquences?
  • Qui a la légitimité pour que la décision prise soit effectivement exécutée?
  • Qui a l’accès aux ressources budgétaires, humaines, et autres nécessaires?

Dans l’entreprise néerlandaise du domaine de la santé Buurtzorg, les infirmières et infirmiers décident le nombre de patients qu’elles servent, planifient les admissions, se répartissent les tâches, et décident comment aménager leurs bureaux. Tout cela sans se référer à de plus hautes instances.

L’entreprise est extrêmement performante et s’adapte rapidement aux besoins changeants. Les infirmières et infirmiers sont chargés d’une série de responsabilités de gestion sans pour autant avoir une fonction de gestionnaire.

Notez qu’on ne parle pas ici d’abolir le rôle de gestionnaire, bien au contraire! Distribuer certaines responsabilités de gestion parmi les employés libère les gestionnaires pour qu’ils se concentrent sur des activités à plus grande valeur ajoutée.

Modèle dépassé

Aujourd’hui, les gestionnaires se sentent dépassés, car l’organisation s’attend à ce qu’ils soient en contrôle de tout, à tout moment. Ironiquement, il leur est alors reproché de «micro-gérer».

Nous comprenons maintenant que c’est une situation imposée par l’organisation et ancrée dans un modèle de gestion dépassé.

Bien entendu, un tel changement redéfinit le rôle de gestionnaire. En effet, cela affecte les dimensions de pouvoir, de compétences, et de structure.

En termes de pouvoir, il s’agit de transférer une part de son pouvoir à son équipe, notamment une autonomie décisionnelle et une liberté budgétaire. Pour ce qui est des compétences, il s’agit avant tout de coacher, de guider, et de s’assurer que le travail ait un sens pour son équipe.

Et finalement, en ce qui concerne la structure, il faut encourager l’équipe à s’autoorganiser en lui donnant une certaine liberté pour redistribuer et même créer des rôles.

Essentiellement, le virage de gestion consiste à passer d’un mode de pensée vertical de leader-suiveur (leader-follower) à un mode de pensée horizontal de leader-leader où le gestionnaire développe le leadership de son équipe.

Certains me diront: «C’est de la délégation, rien de nouveau.» Détrompez-vous! La délégation consiste à assigner une tâche court-terme à une personne qui revient ensuite au gestionnaire avec le résultat. Le geste est unidirectionnel et le gestionnaire garde le pouvoir.

Par contre, attribuer une responsabilité de gestion à un employé se fait de commun accord. L’employé reçoit le pouvoir à long terme non seulement sur l’exécution, mais également sur la prise de décision et l’imputabilité.

Il s’agit certes d’un changement significatif, mais qui, d’après mon expérience, est envisageable pour la plupart des organisations québécoises.

Mettez cet apprentissage en pratique !

Vous êtes gestionnaire: parmi vos responsabilités de gestion, quelles sont celles que des membres de votre équipe pourraient avantageusement prendre en charge?

Vous êtes employé: voyez-vous des responsabilités de gestion que vous pourriez possiblement mieux prendre en charge que votre gestionnaire ?

Vos questions alimenteront mes futurs billets, alors ne vous gênez pas !

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Un nouveau blogue pour une nouvelle réalité

J’ai choisi de m’exprimer sur l’évolution du métier de gestionnaire et de notre conception de la hiérarchie, car, au fil de nombreuses missions de conseil, j’ai été marqué par le constat que le modèle traditionnel de hiérarchie, reliquat de l’ère industrielle, est encore omniprésent alors qu’il ne répond ni aux besoins de l’organisation, ni aux attentes des employés.

Si j’ai pu contribuer à des changements dans les organisations que j’ai aidées, je n’en parle pas moins avec humilité. Car c’est difficile. Et ce n’est pas toujours un franc succès. Mais quand cela fonctionne, c’est comme libérer un énorme potentiel dont les répercussions se font sentir à travers toute l’organisation.