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Marine Thomas

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Analyse de la rédaction

La grande réinvention

Marine Thomas|Édition de la mi‑septembre 2024

La grande réinvention

BILLET. Exit la course aux échelons! La nouvelle génération a de nouvelles aspirations. Ce n’est pas que les jeunes ne veulent plus évoluer, mais devoir gérer une équipe, avec la pression que cela implique, ne fait plus rêver. Désormais, le succès ne se traduit plus par un titre prestigieux, mais par une vie plus équilibrée remplie d’autres centres d’intérêt que le travail. L’ambition n’a pas disparu, elle a simplement changé de forme. Les promotions latérales et les projets innovants qui permettent de se développer sans sacrifier l’épanouissement personnel sont plus privilégiés.

Les jeunes ne sont pas les seuls concernés. La pandémie a engendré une prise de conscience sur l’importance d’être maître de son temps. L’intérêt grandissant pour la semaine de quatre jours, le travail nomade ou la flexibilité témoigne d’une transformation des priorités plus généralisée.

Ce changement de paradigme ne vient pas uniquement de l’évolution des attentes professionnelles ; il est aussi le symptôme d’une immense fatigue collective. Depuis plusieurs années, le nombre de problèmes de santé mentale dans la population a explosé. Nous vivons à une époque où la pression de performance constante est écrasante. Ce sont d’ailleurs les jeunes âgés de 18 à 34 ans qui vivent le plus de détresse psychologique, selon une étude de l’Observatoire sur la santé et le mieux-être au travail, publiée à l’automne 2023. Difficile de ne pas voir une corrélation entre cet épuisement généralisé et le désintérêt pour les postes de direction.

Ce désistement sans précédent pour les emplois de cadres va certes bouleverser les façons de faire traditionnelles. Il se révèle surtout être une occasion à ne pas manquer de se réinventer pour les organisations. Dans un monde où l’incertitude et la rapidité des changements sont devenues la norme, le modèle pyramidal, alourdi par sa chaîne de commandement, ne fonctionne plus. Pour tirer son épingle du jeu, les équipes doivent pouvoir être assez autonomes pour prendre des décisions de façon rapide et efficace. Cela ne veut pas dire éliminer tout objectif, au contraire, les entreprises doivent être très claires sur ceux qu’elles veulent atteindre. Le « quoi » et le « pourquoi » doivent être bien définis, tandis que le « comment » doit être laissé à la discrétion des équipes. C’est le principe même de l’agilité. L’avenir du travail pourrait même voir la structure actuelle complètement abandonnée au profit d’une organisation en cercles, dite « sociocratie ». Chaque cercle s’auto-organise, s’occupe de la réalisation d’un objectif et en a la pleine responsabilité. C’est la thèse avancée par Frédéric Laloux dans son livre Reinventing organizations : vers des communautés de travail inspirées. Certaines entreprises ont déjà amorcé cette transformation avec succès, prouvant que c’est loin d’être une utopie.

L’heure de la grande réinvention a sonné. Si cela signifie l’extinction des patrons traditionnels, ce n’est pas pour autant la fin de la gestion. Il s’agit surtout de redéfinir ce que signifie diriger dans un monde en pleine transformation, soit, avant tout, d’évoluer vers des organisations plus humaines, plus souples et surtout mieux adaptées aux réalités de notre époque.