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John Plassard

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John Plassard

Expert(e) invité(e)

La grève dans les ports américains changera-t-elle la donne?

John Plassard|Mis à jour le 01 octobre 2024

La grève dans les ports américains changera-t-elle la donne?

(Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Si vous habitez en Europe, vous n’êtes certainement pas au courant que vient de débuter aux États-Unis, l’une des plus grandes grèves de l’histoire américaine qui va (en fonction de sa durée) avoir un impact conséquent sur le commerce américain, la croissance du pays et… les élections présidentielles américaines! Synthèse et analyse.

Les faits 

La grève dans les ports de la côte Est et du Golf a officiellement commencé, marquant un moment important pour l’International Longshoremen’s Association (ILA) qui cherche à répondre à des griefs de longue date concernant les salaires (l’ILA exigeant une augmentation salariale extraordinaire de 77% sur six ans, éclipsant la demande de 32% de la côte ouest). 

La frustration du syndicat à l’égard de l’United States Maritime Alliance (USMX) découle de ce qu’il décrit comme des décennies de suppression des salaires. 

Cette grève est d’autant plus importante qu’il s’agit de la première action à l’échelle d’une côte depuis 1977, ce qui risque de perturber la moitié des transports maritimes du pays et d’avoir un impact sur les biens essentiels, notamment les denrées alimentaires et les… automobiles (voir plus bas).

Rappelons que la grève des débardeurs des ports de la côte Est et de la côte du Golfe menace d’interrompre les opérations dans les ports qui traitent environ 60% du trafic maritime américain (dans les principaux ports du New Jersey, de Virginie, de Baltimore, de Géorgie et du Texas)! Malgré les tentatives de médiation de la Maison-Blanche et les pressions exercées sur les deux parties pour qu’elles trouvent une solution rapide, les négociations sont au point mort et la situation n’est pas résolue. 

Le président Biden a choisi de ne pas invoquer la loi Taft-Hartley, qui autorise l’intervention présidentielle dans les conflits du travail considérés comme une menace pour la sécurité nationale, ce qui témoigne d’une réticence à impliquer directement le gouvernement fédéral. 

Les chefs d’entreprise expriment de sérieuses inquiétudes quant aux ramifications économiques de la grève, prévoyant des pertes potentielles se chiffrant en milliards si la situation perdure. Alors que l’économie est aux prises avec des pressions inflationnistes à l’approche de l’élection présidentielle, ce conflit social pourrait avoir des conséquences considérables pour les entreprises, les consommateurs américains et le/a futur/e président/e.

Quelles sont les conséquences économiques (potentielles)? 

La grève en cours dans les ports de la côte Est et de la côte du Golfe du Mexique pourrait avoir des répercussions économiques importantes, ce qui incite les entreprises à prendre des mesures urgentes pour atténuer les perturbations.

Les importateurs ont déjà intensifié leurs activités, nombre d’entre eux commandant les produits de Noël plus tôt que d’habitude afin de s’assurer que les expéditions puissent être traitées avant l’expiration hier soir du contrat de travail avec l’Association internationale des débardeurs (International Longshoremen’s Association). 

En conséquence, les marchandises sont redirigées vers les ports de la côte ouest, où les opérations se sont poursuivies sans heurts sous l’égide d’un autre syndicat. 

Toutefois, les analystes du secteur préviennent qu’une grève, même brève, pourrait avoir des conséquences désastreuses et coûter à l’économie américaine jusqu’à 5 milliards de dollars par jour!!! 

Cela pourrait créer un arriéré qui prendrait environ six jours à résoudre pour chaque jour de fermeture des ports.

Les secteurs qui dépendent des marchandises importées, en particulier l’habillement et l’alimentation, sont confrontés à des risques importants, plus de la moitié des vêtements importés transitant par les ports de la côte Est. 

En outre, la grève ajoute de la pression à une chaîne d’approvisionnement déjà tendue, des entreprises comme celles du secteur des articles de vacances estimant qu’une part importante de leurs stocks pourrait rester bloquée. 

Dans un contexte où l’inflation est préoccupante et où les coûts d’expédition sont déjà élevés, l’impact d’une grève prolongée pourrait se répercuter sur l’économie, affectant les prix et la disponibilité des marchandises dans tout le pays. Toute action syndicale dans les ports pourrait exacerber les coûts d’expédition, les tarifs des conteneurs étant susceptibles d’augmenter encore, en particulier à la suite des récentes perturbations.

L’urgence d’une solution a été soulignée par de nombreux groupes commerciaux qui ont exhorté l’administration Biden à faciliter les négociations et à éviter une nouvelle escalade du conflit de travail. Ceci est resté sans réponse favorable. 

Enfin, les experts mettent en garde contre le fait qu’une grève, même brève, pourrait entraîner des problèmes prolongés dans la chaîne d’approvisionnement, qui pourraient durer jusqu’en 2025.

L’exemple de 2015 

Dans une analyse de Goldman Sachs, les responsables stratégiques se souviennent de l’épisode de 2014/2015, bien qu’il ne s’agisse pas d’un corollaire exact étant donné le niveau d’importance plus élevé des ports de la côte ouest pour l’industrie de la vente au détail (une fonction des chaînes d’approvisionnement basées en Asie). 

Le conflit de travail dans les ports de la côte ouest entre l’International Longshore and Warehouse Union (ILWU) et la Pacific Maritime Association a duré de juin 2014 à février 2015, la situation s’aggravant en janvier et février lorsqu’un ralentissement apparent du travail a entraîné la fermeture de 29 ports pendant plusieurs jours autour du week-end du Presidents’ Day en 2015, avant qu’un accord ne soit conclu le 20 février 2015. 

Les retards de produits ont eu un impact sur le calendrier saisonnier des lancements de vêtements de printemps, avec une réduction des stocks pendant la période initiale de perturbation (probablement due aux retards d’expédition), puis une augmentation des stocks qui a duré tout au long de l’année pour de nombreuses entreprises. 

Plusieurs entreprises ont cité les retards portuaires comme un facteur de pression sur les marges brutes, avec des prix promotionnels à la mi-2015 dans les grands magasins, la vente au détail spécialisée, la grande distribution et les marques de vêtements/accessoires.

Des implications politiques fortes

La grève des débardeurs de la côte est et du golfe du Mexique a des conséquences importantes pour Donald Trump et sa campagne présidentielle. Cette grève, qui risque de perturber les chaînes d’approvisionnement et d’interrompre une grande partie du transport maritime américain, pourrait entraîner des troubles économiques à quelques semaines des élections, ce qui risquerait d’affecter le moral des consommateurs et la disponibilité des produits pendant les périodes critiques de la vente au détail, comme le Black Friday et le CyberMonday. 

Les tensions économiques engendrées par la grève pourraient amplifier les inquiétudes des électeurs concernant l’inflation et l’économie, domaines dans lesquels Donald Trump a toujours bénéficié d’un soutien. Si la grève provoque d’importantes perturbations, Donald Trump pourrait tirer parti de cette situation pour critiquer la manière dont l’administration Biden a géré les relations de travail et l’économie, en la présentant comme un échec à protéger les travailleurs et les entreprises américains. 

En outre, étant donné que les syndicats de débardeurs penchent traditionnellement en faveur des démocrates, toute retombée de la grève pourrait encourager un changement de sentiment des électeurs en faveur de Donald Trump, en particulier parmi ceux qui sont directement touchés par la hausse des coûts et les problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement.

Comme Donald Trump se présente comme un candidat favorable aux entreprises, il pourrait exploiter ces événements pour rallier le soutien des électeurs mécontents, y compris ceux des Teamsters, dont l’allégeance a été hésitante. 

Cette grève pourrait servir de toile de fond à la campagne de Donald Trump, lui permettant d’attirer l’attention sur les préoccupations économiques tout en remettant en question l’efficacité de l’administration Biden en matière de gestion des conflits du travail et de stabilité de la chaîne d’approvisionnement.

Pas la seule grève! 

La grève des débardeurs n’est pas la seule grève actuelle aux États-Unis. On se souvient en effet que depuis près d’un mois, les États-Unis connaissent d’importants conflits sociaux, marqués par de multiples grèves dans différents secteurs. 

Notamment, environ 33 000 travailleurs de Boeing ont entamé une grève pour réclamer des salaires plus élevés et de meilleures conditions, à la suite de leurs récentes négociations contractuelles. 

Le syndicat United Auto Workers a demandé aux travailleurs de Stellantis d’autoriser une grève, accusant le constructeur automobile franco-italien de ne pas tenir ses promesses contractuelles, a déclaré le président de l’UAW, Shawn Fain, dans une lettre adressée aux sections américaines du syndicat. Dans l’ensemble, ces grèves reflètent les frustrations plus générales des travailleurs face à l’inflation et à la stagnation des salaires, qui ont été des facteurs de motivation dans différents secteurs. Le risque de grèves étendues dans les chaînes d’approvisionnement critiques soulève des inquiétudes importantes pour les entreprises et l’économie dans son ensemble.

D’autres grèves pourraient suivre.

Synthèse 

La grève des débardeurs sur la côte Est et du golfe des États-Unis représente un tournant majeur, avec des revendications salariales de l’ILA qui pourraient perturber 60% du trafic maritime américain, impactant ainsi les biens essentiels. Une grève prolongée pourrait coûter jusqu’à 5 milliards de dollars par jour à l’économie, ce qui paraît incroyable. Cette situation a des implications politiques significatives, donnant à Donald Trump l’opportunité de critiquer la gestion de l’administration Biden/Harris en matière de relations de travail et d’inflation, tout en reflétant un mécontentement croissant parmi les travailleurs américains. À surveiller.