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John Plassard

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Expert(e) invité(e)

Que faut-il penser du secteur automobile?

John Plassard|Publié le 02 octobre 2024

Que faut-il penser du secteur automobile?

Le PDG de Stellantis, Carlos Tavares (Photo: Fabio Ferrari La Presse Canadienne)

EXPERT INVITÉ. Cela fait plusieurs semaines que nous voyons les difficultés du secteur automobile, que cela soit en Allemagne avec la potentielle fermeture historique d’une usine Volkswagen ou encore en Italie avec un nouvel avertissement de Stellantis. Cependant les incertitudes sont de plus en plus nombreuses et certains analystes anticipent même une crise sans précédent pour le secteur. Que faut-il en penser? Synthèse et analyse.

Les faits 

L’industrie automobile européenne est confrontée à de nombreux défis qui ont poussé les principaux constructeurs, dont Volkswagen, Mercedes-Benz, BMW, Aston Martin et Stellantis, à revoir leurs prévisions financières à la baisse. 

Aston Martin, par exemple, s’attend à ce que sa marge bénéficiaire annuelle ajustée tombe à environ 10%, alors qu’elle se situait auparavant dans les 20%, en raison d’une baisse des volumes de vente en gros due à l’instabilité de la chaîne d’approvisionnement et à la diminution de la demande en Chine. 

De son côté, Stellantis a réduit ses prévisions de marge à un niveau compris entre 5,5% et 7%, contre une prévision précédente à deux chiffres, et prévoit un flux de trésorerie négatif important pour l’année, en raison d’une concurrence accrue et des efforts de normalisation des stocks en Amérique du Nord. 

Les implications de ces dégradations sont considérables, signalant un ralentissement plus large dans le secteur automobile européen et affectant également les performances des constructeurs automobiles américains. 

Alors que la dynamique du secteur continue de se détériorer, les parties prenantes doivent réévaluer leurs stratégies pour naviguer dans ce paysage de plus en plus concurrentiel, où la satisfaction de la demande des consommateurs et la gestion efficace de la production seront cruciales pour la reprise.

Dans l’ensemble, la situation souligne la fragilité de l’industrie automobile dans un contexte de tensions géopolitiques, de changements économiques et d’évolution du comportement des consommateurs, ce qui pourrait conduire à de nouveaux abaissements des attentes dans l’ensemble du secteur. 

Pourquoi pas avant?! 

On peut se poser la question de savoir pourquoi la situation est-elle aussi «mauvaise» alors que malgré les pénuries de composants, en particulier de semi-conducteurs, qui ont frappé le secteur automobile après le Covid-19, les marges des fabricants sont demeurées étonnamment robustes. Ce phénomène s’est expliqué par plusieurs éléments stratégiques. 

D’une part, les constructeurs ont su augmenter leurs prix pour s’adapter à la forte demande pour des véhicules recherchés, comme les VUS et les voitures électriques, ce qui a contribué à maintenir des niveaux de rentabilité élevés. 

D’autre part, la diminution des remises et incitations a également joué un rôle clé, permettant aux entreprises de maximiser leurs profits. 

À cela on peut ajouter que la gestion proactive des stocks, axée sur les modèles les plus populaires, a permis d’optimiser la rentabilité. La demande accumulée pendant les confinements a incité de nombreux acheteurs à patienter pour acquérir des véhicules spécifiques. 

Enfin, l’innovation a continué, notamment dans le domaine des véhicules électriques, permettant aux fabricants de réduire leurs coûts à long terme. 

Cette combinaison de facteurs a permis aux acteurs de l’industrie automobile de s’adapter efficacement aux défis liés aux pénuries de semi-conducteurs tout en préservant leurs marges bénéficiaires juste après la crise du Covid-19. 

Nous ne sommes plus dans cette situation aujourd’hui à cause de l’accumulation de plusieurs facteurs.

Suivant: Quelles sont les difficultés du secteur? 

Quelles sont les difficultés du secteur? 

L’avertissement de Stellantis concernant ses prévisions financières n’est pas un cas spécifique, car il s’inscrit dans un contexte plus large de difficultés rencontrées par l’ensemble du secteur automobile. Plusieurs facteurs contribuent aujourd’hui à cette situation généralisée :

  • Pénuries de composants : Les constructeurs automobiles, comme Stellantis, continuent de subir les effets des pénuries de semi-conducteurs, perturbant leur production. Cette crise, amorcée durant la pandémie de COVID-19, a fragilisé les chaînes d’approvisionnement, entraînant des retards dans l’assemblage des véhicules. 
  • Concurrence croissante : L’arrivée de nouveaux acteurs dans le secteur des véhicules électriques, tels que Tesla, diverses startups et les marques chinoises, accroît la concurrence pour les fabricants traditionnels. Cela a provoqué des baisses de prix et une réduction des marges bénéficiaires pour les entreprises établies.
  • Évolution de la demande : Les variations de la demande des consommateurs, influencées par l’inflation et les incertitudes économiques, ont obligé les constructeurs à ajuster leurs prévisions de production et de ventes. 
  • Réglementations environnementales : Les exigences croissantes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre poussent les constructeurs à investir dans des technologies plus propres, ce qui engendre des coûts supplémentaires à court terme et peut affecter la rentabilité. 
  • Influence des marchés étrangers : La forte dépendance de Stellantis vis-à-vis des marchés internationaux, notamment la Chine, où la demande est fluctuante, joue également un rôle dans l’ajustement de ses perspectives financières.

Ces défis sont partagés par d’autres grands noms de l’industrie, tels que Ford et General Motors, qui ont également lancé des avertissements de bénéfices, soulignant ainsi que c’est une situation que partagent (presque) tous les constructeurs. à

Au suivant! 

Après les avertissements de Volkswagen, Stellantis, Mercedes et Aston Martin, plusieurs autres constructeurs automobiles pourraient lancer des avertissements sur leurs bénéfices. 

Les analystes surveillent de très près Ford notamment, en raison de ses défis continus liés à la transition vers les véhicules électriques et à la concurrence accrue sur le marché. 

General Motors est également «sous surveillance», surtout après des signes de ralentissement de la demande en Chine, un marché clé pour la marque. Les fluctuations du marché des matériaux, des coûts de production élevés et l’incertitude économique générale pourraient affecter leur rentabilité. 

Enfin, des entreprises comme Hyundai et Toyota pourraient aussi faire face à des défis similaires, en raison de l’impact des pénuries toujours présentes de semiconducteurs et des fluctuations de la demande des consommateurs.

La Chine c’est… 

Elon Musk a déclaré en janvier que les fabricants chinois de voitures électriques connaîtront un succès «significatif» à l’étranger. Il ne savait pas si bien dire.

Selon les données retenues pas IMD, en 2023, la Chine est devenue le plus grand secteur automobile au monde avec une production totale de 30 millions de véhicules, dont près de 9 millions de nouveaux véhicules énergétiques (NEV), représentant deux tiers de la production mondiale de NEV. 

L’évolution du secteur automobile chinois a été marquée par des politiques industrielles dynamiques et des coentreprises avec des fabricants étrangers, favorisant ainsi le transfert de technologie. Depuis les années 1970 et 1980, la Chine a attiré de nombreux constructeurs étrangers grâce à des législations favorables, aboutissant à une forte concentration de la production dans quelques grands groupes. 

La politique de coentreprise a été progressivement assouplie, permettant aux entreprises étrangères, comme Tesla, de posséder entièrement leurs opérations en Chine. Parallèlement, la montée en puissance des véhicules électriques, soutenue par d’importants investissements gouvernementaux, a permis aux marques chinoises de capturer une part de marché significative. Cependant, malgré leur succès passé, les marques chinoises doivent maintenant faire face à des défis, notamment la navigation dans la courbe d’adoption du marché et l’expansion mondiale. La concurrence se renforce alors que des entreprises étrangères cherchent à investir dans des technologies chinoises via des coentreprises inversées. En fin de compte, l’avenir de l’industrie automobile chinoise repose sur son adaptabilité et sa capacité à innover.

Quels sont les arguments de Morgan Stanley pour abaisser sa vision sur le secteur? 

Les actions des constructeurs automobiles ont subi des pressions importantes après que Morgan Stanley a décidé d’abaisser ses prévisions il y a près d’une semaine pour plusieurs entreprises, dont GM, Ford, Rivian, Magna International et Phinia, citant de nouveaux risques dans le secteur. 

Adam Jonas de la banque américaine a souligné que la surcapacité de production en Chine, où le pays fabrique 9 millions de voitures de plus qu’il n’en achète, perturbe l’équilibre concurrentiel avec les marchés occidentaux.

Cette situation, combinée à des préoccupations croissantes concernant l’accessibilité des véhicules aux États-Unis, où les prix de transaction sont élevés et où de nombreux consommateurs font face à des défauts de paiement, incite à la prudence. 

Jonas a également évoqué les pressions exercées sur les fabricants américains, qui doivent faire face à une concurrence accrue de marques japonaises, coréennes et de véhicules électriques, ainsi qu’à une baisse des prix et à une réduction de leur part de marché. 

Par ailleurs, il a signalé que la dépendance croissante des fabricants vis-à-vis des marchés chinois et des exigences réglementaires strictes, notamment celles relatives aux émissions de CO2, crée des défis supplémentaires. 

L’analyste a averti que même si les baisses de taux d’intérêt pourraient offrir un soulagement temporaire, l’historique suggère que toute surperformance des actions des fabricants serait probablement de courte durée, suivie d’une sous-performance à moyen terme.

Les entreprises doivent maintenant se préparer à des investissements considérables dans les technologies avancées, telles que les systèmes d’assistance à la conduite et les véhicules autonomes, alors que la capacité financière des fabricants traditionnels pour soutenir ces investissements est mise en question. 

Dans l’ensemble, l’environnement économique incertain et les défis spécifiques au secteur automobile poussent les investisseurs à adopter une attitude prudente envers les perspectives de croissance à court et moyen terme.

Suivant: Le cycle économique du secteur automobile 

Le cycle économique du secteur automobile 

Nous vous le rappelons souvent, l’économie évolue en fonction de cycles. Les secteurs de même. Nous vous parlions par exemple il n’y a pas si longtemps de cela du cycle immobilier qui durait en moyenne entre 8 et 10 ans. 

Cependant, le cycle économique du secteur automobile est plus court, il dure généralement de trois à cinq ans. Cela peut bien évidemment varier en fonction de plusieurs facteurs, tels que les conditions économiques, les politiques gouvernementales, et les tendances de consommation. En fait, comme pour les autres secteurs, il y a 4 cycles distincts pour l’automobile : 

La phase d’expansion : Augmentation des ventes de véhicules, introduction de nouveaux modèles et innovations technologiques, souvent alimentée par des conditions économiques favorables et un accès facile au crédit. 

La phase de pic : Atteinte des ventes maximales, où la demande commence à ralentir. Les fabricants peuvent augmenter la production pour répondre à la demande, ce qui peut conduire à une surproduction. 

La phase de contraction : Diminution des ventes, souvent causée par des facteurs tels que la hausse des taux d’intérêt, les fluctuations économiques ou des changements dans les préférences des consommateurs. Cela peut entraîner des réductions de production et des licenciements. 

La phase de creux : Point le plus bas du cycle, où les ventes sont à leur plus bas niveau. Les fabricants peuvent restructurer leurs opérations pour s’adapter à une demande plus faible.

Ce cycle peut être influencé par des facteurs externes, tels que des crises économiques, des changements réglementaires ou des évolutions technologiques, qui peuvent allonger ou raccourcir la durée des différentes phases. 

Le secteur automobile est étroitement lié à la santé économique globale, car il représente une part importante de l’industrie manufacturière et constitue un baromètre clé de la confiance des consommateurs et de l’emploi. Les marchés boursiers ont déjà commencé à prendre en compte ces défis, les actions du secteur automobile affichant des performances inférieures à celles des indices boursiers plus larges, reflétant ainsi les ralentissements économiques anticipés. Nous sommes actuellement dans la phase 3, de contraction donc. C’est durant la phase 4 (de creux) que l’on anticipe un rebond des ventes. Nous n’y sommes pas encore… 

Le pic du secteur ayant eu lieu juste après la Covid-19 en 2022, on peut s’attendre à ce que la faiblesse se poursuive ces prochains trimestres et connaisse une stabilisation, voir un rebond lorsque la croissance économique mondiale aura montré une reprise durable. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Synthèse 

Le secteur automobile européen traverse une phase difficile, marquée par des révisions à la baisse des prévisions financières des principaux constructeurs, en raison de la baisse de la demande et des pénuries de composants.

Cette crise s’explique par plusieurs facteurs, notamment la concurrence accrue des véhicules électriques, les fluctuations de la demande et les pressions environnementales. 

Actuellement, l’industrie se trouve dans la phase de contraction du cycle économique, avec des ventes en déclin, et un rebond n’est anticipé qu’une fois la croissance économique globale stabilisée. Cette faiblesse devrait persister encore plusieurs trimestres.