«Il n’y a pas si longtemps, le convoi des camionneurs — et son installation à Ottawa — a pu faire craindre qu’un scénario comparable à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 puisse se dérouler au Canada.» (Photo: Adobe Stock)
EXPERT INVITÉ. Le choix de société que vont faire nos voisins demain est vecteur d’une contagion potentielle — ou d’une réaction en sens inverse. Nos propres institutions vont être affectées. Seront-elles affaiblies ou renforcées ?
Les politiques canadiennes qui gouvernent les entreprises suivent les politiques américaines.
Il est clair que le Canada bénéficie et émule l’écosystème de la recherche et du développement américain, en capitalisant sur les innovations, en attirant les talents formés aux États-Unis, en attirant des investissements de grandes entreprises américaines, notamment les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).
Pour le meilleur et pour le pire, les normes et les standards de l’industrie américaine se retrouvent au Canada.
De même, le Canada a importé les nouvelles pratiques de gestion du risque dans le secteur bancaire que la Securities and Exchange Commission (SEC) et la Réserve fédérale des États-Unis (Fed) ont développées après la crise de 2009. Il a adopté les mêmes règles de transparence et de lutte contre le blanchiment.
La pression concurrentielle a aussi permis de développer une concurrence plus saine dans l’Amérique du Nord dans son ensemble.
Différent, et parfois meilleur
En contrepartie, le Canada s’est spécialisé pour ce qui concerne les politiques sociales, notamment en développant un système de santé universel. Chaque fois que le débat ressurgit, l’inefficacité et l’injustice du système américain sont mobilisées comme des arguments qui permettent de réunir un beaucoup plus large soutien social au système canadien.
Être dans l’ombre d’un géant présente ainsi des occasions pour imiter, et aussi pour se différencier, parfois pour le meilleur. Complémentarités stratégiques d’un côté, spécialisation institutionnelle de l’autre. Selon des mécanismes qui sont encore plutôt mal compris.
Un mécanisme est celui de l’émulation d’un pays modèle. Est-ce parce que l’économie américaine est si dynamique que le Canada a imité certaines politiques de régulation financière américaines? Dans le secteur des technologies, faudrait-il que le Canada émule l’Union européenne qui protège les particuliers (GDPR, IA, etc.), ou bien les États-Unis qui encouragent l’innovation?
Un autre mécanisme est que certains événements dans un pays révèlent une tension dans un autre pays. Dès la contagion du Printemps des peuples en Europe en 1848, et plus récemment à l’occasion du Printemps arabe, des entrepreneurs politiques observent ce qui se passe chez le voisin. Faut-il craindre au Canada l’émergence d’une droite populiste d’inspiration trumpienne?
L’influence peut parfois être plus directe et intentionnelle. On peut certes citer la pression exercée par les États-Unis sur le Canada pour aligner les mesures protectionnistes contre la Chine. Il faut cependant se rappeler que ce mécanisme a aussi pris des formes bien plus directes et violentes au cours de l’histoire.
Quatrième mécanisme, la globalisation des flux commerciaux et financiers place les pays dans un écosystème en interaction.
Impossible pour le Canada de faire abstraction des politiques économiques mises en œuvre côté américain.
Si Donald Trump est élu, il sera difficile pour le Canada de maintenir l’emphase sur la transition énergétique.
Si Kamala Harris gagne, il faut probablement prévoir que certaines subventions — sur la technologie et sur les énergies renouvelables — devront perdurer.
La concurrence internationale pour le capital, pour le commerce, et pour les talents, limite la marge de manœuvre d’un pays comme le Canada. Quand les États-Unis éternuent, le Canada s’enrhume.
Ce qui va de soi pour les politiques publiques s’applique aussi à la politique proprement dite.
De l’assaut au convoi
Dans le monde entier, la démocratie a mauvaise presse, à commencer par les États-Unis.
Le succès de Donald Trump est en partie dû à la perception que la démocratie ne permet pas de répondre adéquatement à certains grands enjeux (ou perçus comme tels) — l’immigration illégale, les délocalisations, la concurrence chinoise, la libéralisation des mœurs…
Faut-il s’attendre à un tel mouvement au Canada? Ou faut-il au contraire s’attendre à ce que l’échec d’une aventure autocratique aux États-Unis serve de repoussoir au Canada?
Il n’y a pas si longtemps, le convoi des camionneurs — et son installation à Ottawa — a pu faire craindre qu’un scénario comparable à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 puisse se dérouler au Canada. Ces craintes, heureusement, se sont avérées infondées.
Les circonstances étaient différentes, à commencer par une société qui est bien moins fracturée au Canada. L’aventure a tourné court — heureusement.
À la veille de l’élection présidentielle aux États-Unis, beaucoup de prudence sur les pronostics s’impose. Il semble toutefois qu’il ne faille pas trop rapidement sonner le glas pour la démocratie américaine.
Si Kamala Harris l’emporte, ou bien si les démocrates gardent le contrôle de la Chambre des représentants, les institutions résisteront. Mais si réellement Donald Trump met en pratique certaines de ses menaces, il sera temps de se poser la question: comment protège-t-on la démocratie et le système social canadien? Comment évite-t-on les ingérences étrangères, surtout américaines?
Les mécanismes d’influence sont en place. Le risque de contagion existe. Mais nous pouvons aussi faire le choix de la démocratie, d’un modèle social inclusif, et d’institutions publiques résilientes.