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François Normand

Zoom sur le monde

François Normand

Analyse de la rédaction

La guerre au Liban accentue le déclin du canal de Suez

François Normand|Édition de la mi‑octobre 2024

La guerre au Liban accentue le déclin du canal de Suez

Un détachement d'une unité avancée israélienne près du canal de Suez, en Égypte, le 14 juin 1967. «Le canal de Suez a complètement été fermé de juin 1967 à novembre 1973, après la guerre des Six Jours. S'il a rouvert en 1973, il peut donc rouvrir un jour de nouveau de manière sécuritaire.» (Photo: Keystone - France / Gamma-Rapho / Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – La guerre déclenchée par l’armée israélienne au Liban contre le Hezbollah, une milice chiite alliée de l’Iran, ne fait que déstabiliser davantage ce pays et le Proche-Orient. Le conflit (qui a incité l’Iran a attaquer Israël le 1er octobre) risque aussi d’accentuer le déclin du commerce maritime qui transite par le canal de Suez et la mer Rouge, reliant l’Amérique du Nord à l’Asie du Sud-est par la Méditerranée.

À la fin septembre, Israël a lancé une campagne de bombardements des sites militaires du Hezbollah — une organisation jugée terroriste par plusieurs pays occidentaux, dont le Canada — dans l’ensemble du Liban, mais surtout dans le sud du pays, qui partage sa frontière avec l’État hébreu.
Ces bombardements ont tué des centaines de personnes, dont des enfants, dans l’ensemble du Liban, un pays qui vit une crise économique et politique depuis la guerre civile qui a sévi de 1975 à 1990, entre groupes religieux.

Le premier ministre, Benjamin Nétanyahou, dit attaquer le Hezbollah pour tenter de sécuriser le nord de l’État israélien. Depuis l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023 en Israël, de 60 000 à 80 000 citoyens ont dû quitter le nord du pays en raison des bombardements de la milice chiite libanaise.

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Le Hezbollah appuie ainsi son allié de la bande de Gaza (les deux organisations souhaitent la destruction de l’État d’Israël), où la guerre menée par l’armée israélienne pour éliminer le Hamas pro-iranien a détruit l’enclave palestinienne et fait des dizaines de milliers de morts.

Interventions d’Israël depuis les années 1980

Ce n’est pas la première fois qu’Israël attaque le Liban.

En 1982, en pleine guerre civile, son armée avait lancé une offensive éclair jusqu’à Beyrouth pour tenter d’éliminer Yasser Arafat, chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui menait des attaques terroristes contre des Israéliens.

En 1983, au terme d’un accord, l’armée israélienne s’est retirée de la majeure partie du Liban.

À l’été 2006, après l’enlèvement de deux soldats israéliens par le Hezbollah, Israël a envahi à nouveau le Sud-Liban, en plus de bombarder l’ensemble du pays. Un mois plus tard, Israël s’est retiré, concédant la victoire à la milice chiite.

Depuis un an, la guerre à Gaza a aussi provoqué l’intervention d’une autre milice alliée à l’Iran, les Houthis, qui est située au Yémen. Ces derniers perturbent le commerce maritime qui transite en mer Rouge, en attaquant la marine marchande à coup de missiles.

C’est pourquoi l’élargissement du conflit au Liban (et avec l’Iran) risque d’aggraver l’instabilité économique et logistique au Proche-Orient.

Certes, le Québec a des échanges économiques avec quelques pays de la région, dont Israël et la Jordanie (deux pays avec lesquels le Canada a un accord de libre-échange), ainsi que l’Égypte et le Liban.

Cela dit, les montants demeurent très petits dans l’ensemble du commerce international du Québec. En 2023, nos exportations de marchandises au Vermont (2,5 milliards de dollars) étaient sept fois supérieures à celles dans ces quatre pays du Proche-Orient (348,8 millions de dollars), selon l’Institut de la statistique du Québec.

En fait, pour nos entreprises internationales, le problème fondamental de ce conflit élargi est le risque de commercer avec la région de l’Asie-Pacifique (incluant l’Australie) en passant par le canal du Suez et la mer Rouge.

SAQ
(Photo: Adobe Stock)

La SAQ n’utilise plus le canal de Suez

En temps normal, environ 12 % du commerce mondial transite par cette voie maritime, selon la Chambre internationale de la marine marchande. Officiellement, la voie maritime — très stratégique pour le port de Montréal — est toujours ouverte au commerce international.

Or, en réalité, depuis le déclenchement de la guerre Hamas-Israël, les entreprises internationales évitent pratiquement cette route devenue trop dangereuse, coûteuse et longue en matière de délais, affirme à Les Affaires un transitaire de la région de Montréal.

Actuellement, selon ce spécialiste, les entreprises québécoises qui commercent avec l’Asie-Pacifique ont trois options pour exporter, par exemple, un conteneur de 40 pieds de Montréal à Singapour.

Elles peuvent l’acheminer par le port de Vancouver, avec une portion sur rail entre la métropole et la côte ouest du pays (environ 2200 $ US, moyenne de 30-35 jours).

Elles peuvent l’expédier à partir du port de Montréal jusqu’à Singapour, mais en passant par le cap de Bonne-Espérance, en Afrique du Sud (environ 1700 $ US, moyenne de 60-70 jours).

Elles peuvent l’envoyer via le port de Halifax, avec une portion sur rail entre la métropole et la Nouvelle-
Écosse (environ 1500 $ US, moyenne de 35-40 jours).

La Société des Alcools du Québec (SAQ), qui importe du vin de l’Australie, fait actuellement transiter ses bouteilles par le cap de Bonne-Espérance, alors qu’elle passait auparavant par la mer Rouge.

On l’oublie souvent, mais le canal de Suez a complètement été fermé de juin 1967 à novembre 1973, après la guerre des Six Jours (5-10 juin 1967), quand une coalition de pays arabes a attaqué Israël.

L’État hébreu a gagné cette guerre, mettant à l’époque la main sur la bande de Gaza, la Cisjordanie, le plateau du Golan et Jérusalem.

Si le canal de Suez a rouvert en 1973, il peut donc rouvrir un jour de nouveau de manière sécuritaire. D’ici là, les entreprises doivent se rabattre sur des routes alternatives, comme elles l’ont fait du reste dans les années 1960 et 1970.