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Pascal Lépine

Entrepreneur nouveau genre

Pascal Lépine

Expert(e) invité(e)

La PME qui est devenue une coopérative

Pascal Lépine|Publié à 16h03 | Mis à jour à 16h36

La PME qui est devenue une coopérative

Lurlu Coop est un atelier de vélos montréalais. (Photo: courtoisie)

EXPERT INVITÉ. «Quand je serai grande, je serai une coop.» C’est ce que Lurlu Coop, un atelier de vélos montréalais, raconterait si elle avait une voix. Mais j’y pense: elle en a quatre!

Cette ancienne PME jadis détenue et gérée par une seule tête a amorcé un processus de transformation pour devenir une coopérative de travail, détenue et gérée par quatre personnes.

Quatre cerveaux pour prendre des décisions d’affaires.

Quatre complices pour se compléter dans leurs forces et leurs faiblesses.

Quatre voix pour peaufiner la philosophie de l’organisation et en actualiser les valeurs.

Mais qu’est-ce qui peut bien pousser une PME à devenir une coop?

La tête dans le guidon

Au commencement, il y avait un commerce de réparation et de vente de vélos qui a été racheté par Valentine Sampera Gris, pleine d’énergie et d’ambitions.

La clientèle était au rendez-vous, tout comme le plaisir de la rencontrer.

Et, grâce à des rencontres fortuites et des mises en relation par des contacts communs, Valentine s’est rapidement retrouvée entourée d’une équipe hétérogène, compétente et dévouée.

Mais il y avait un «mais», deux même. D’abord, Valentine n’était pas à l’aise avec l’ADN d’une entreprise enregistrée, qui repose sur une structure hiérarchique et dont la quête de profits est le principal moteur. Ensuite, faire rouler la PME pesait lourd sur ses épaules.

La solution était là, évidente: il fallait constituer l’organisation en coopérative de travail.

Cette transformation allait permettre à Roxane Cadillon, à Damarice de Richoufftz et à Nicholas Villegas, des membres de l’équipe, de se joindre aux commandes de l’organisation sans avoir à sortir de gros sous. La nouvelle structure et sa répartition égalitaire des responsabilités allégeraient le fardeau de Valentine.

Mais surtout, le modèle coopératif correspondrait à l’essence de l’organisation, qui a toujours mis abondamment en pratique les principes de l’économie sociale comme la participation et le mieux-être de la collectivité, la promotion de l’achat local, et l’inclusion et la diversité.

Se mettre en selle: les défis de la coop

Voilà, l’histoire est assez simple.

Ce qui l’est un peu moins, c’est la démarche pratique pour obtenir le statut officiel de coop.

«Il y a beaucoup de travail administratif lié à la transition de PME à coop, par exemple en lien avec le droit et la fiscalité. Heureusement, on peut compter sur de l’accompagnement, entre autres par l’entremise du programme Parcours COOP. Ça nous permet de ne pas désespérer!» m’a lancé Damarice à la blague sur fond de vérité.

Parmi les plus grands obstacles à surmonter, il y a la question de l’accès au crédit. Les institutions financières réservent une certaine méfiance aux coops… Ça se comprend: là où l’entreprise «traditionnelle» peut s’en remettre à la solvabilité de son ou de ses propriétaires pour garantir son emprunt, la coop ne représente qu’un risque sans garantie.

Le penchant, c’est que la coop a accès à des subventions spécifiques. Évidemment, ça implique d’en faire la demande et de bien s’organiser en attendant d’éventuels octrois de fonds, ce qui peut représenter un défi selon Damarice: «Chez Lurlu, tout roule vite, donc attendre une subvention avant de faire bouger les choses, c’est contraignant.»

En d’autres mots, pour se redéfinir en coop, une PME doit s’adapter à une conjoncture différente au chapitre économique. Normal, puisqu’à la clé, il est question de mieux redistribuer les richesses.

Et ça, Lurlu Coop sait faire.

En tandem avec la communauté

En écoutant Damarice me décrire l’état d’esprit et la vision qui nourrissent Lurlu, je me dis que le statut de coop est une évolution naturelle: «On n’est pas dans une mentalité transactionnelle pure et dure. C’est important pour nous de connaître notre clientèle, de lui transmettre des connaissances, de la recevoir dans un milieu de vie où elle peut gagner en autonomie, tisser des liens…» 

Les gens qui font réparer, revamper ou bâtir leur vélo de toutes pièces (usagées le plus possible) chez Lurlu adhèrent aux valeurs de l’économie sociale, qui en est aussi une d’économie durable. Ça explique notamment le choix qu’a fait l’organisation de ne plus vendre de vélos neufs. Et celui d’impliquer la clientèle dans les actes mécaniques mêmes à poser sur leur bécane. Ou de se déplacer dans le quartier pour offrir une clinique de vélos à toujours plus de gens. Ou encore de la recevoir le temps d’une discussion autour d’un verre dans l’espace café adjacent à l’atelier.

Bref, on va chez Lurlu pour prendre soin autant de son vélo que de la planète et de son monde.

La coop de travail Lurlu n’a peut-être pas le statut officiel de coop de solidarité, mais ça ne l’empêche pas d’avoir les deux pieds dedans.

L’organisation, qui opère déjà dans le style d’une coop, perdra officiellement son «inc.» le 1er janvier 2025.