«Il est facile de constater qu’un gel, qui n’en est pas vraiment un, donne des résultats mitigé, voire désastreux.» (Photo: Adobe Stock)
EXPERT INVITÉ. Je suis convaincu que vous avez déjà vu ces vidéos, publiées sur YouTube, nous montrant des gens en train de patiner sur un lac à moitié gelé, seul debout face à la caméra. Nous voyons le bord du lac fondu; nous voyons ici et là des flaques d’eau submergées la glace; et nous voyons ces gens tentant de patiner alors que la glace cède sous leurs patins. Résultats: ils se noient, ou bien ils font de l’hypothermie.
Il est facile de constater qu’un gel, qui n’en est pas vraiment un, donne des résultats mitigé, voire désastreux. Cette image ressemble au gouvernement de la CAQ, debout face à la caméra en conférence de presse, qui nous parle de gel d’embauche. Gel qui n’en est pas vraiment un…
Ainsi, un gel du recrutement a été annoncé le 24 octobre par le Conseil du trésor. Il entrera en vigueur le 1er novembre afin de freiner la croissance du nombre d’employés et respecter les budgets alloués pour l’année en cours. Ce gel s’inscrit dans un contexte de resserrement des dépenses par le gouvernement qui prévoit un déficit de 11 milliards de dollars en 2025. Toutefois, ce gel ne s’appliquera pas au réseau de la Santé, de l’Éducation et de l’enseignement supérieur. Les centres de services scolaires, les commissions scolaires et les cégeps ne sont pas concernés par la directive, mis à part le personnel administratif. Idem pour certaines sociétés d’État comme Investissement Québec, Hydro-Québec, la SAQ et Loto-Québec, contrairement à la Société de l’assurance automobile et la CNESST.
Donc, un gel qui n’en est pas réellement un puisque le gouvernement Legault fait valoir qu’il ne s’agit pas là d’un gel d’embauche, mais bien d’une mesure pour éviter d’intégrer de nouvelles personnes dans la fonction publique.
«Aucune commande de réduction»
Pour Guillaume Bouvrette, président du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, ce gel affectera inévitablement les services à la population. « En n’embauchant pas, en ne remplaçant pas les postes qui sont déjà vacants, l’administration publique ne va pas bien ; la plupart des gens dénoncent la surcharge de travail », disait M. Bouvrette en conférence de presse la semaine dernière. Même son de cloche du côté du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec. « On trouve ça déplorable que le gouvernement décide de faire des baisses d’impôt, puis qu’après ça, il se retourne de bord pour dire qu’il manque d’argent pour donner des services à la population », concluait Christian Daigle, président général du SFPQ.
Autant en entrevue qu’en conférence de presse depuis le 16 octobre, la présidente du Conseil du Trésor, Sonia LeBel, ne cessait de répéter que malgré le déficit de 11 milliards de dollars, il n’y avait aucune commande de réduction. Huit jours plus tard, nous assistons à un changement de discours dans les rangs de la CAQ.
Est-ce que ce gel est dû aux dernières augmentations accordées à la suite des négociations de 2023? Est-ce dû à la mauvaise gestion de M. Legault? Ou bien, est-ce attribuable à une mauvaise planification budgétaire du ministre des Finances, Éric Girard?
Soulignons que le budget 2024-2025, déposé en mars 2024, présentait une détérioration de la situation financière découlant essentiellement de la stagnation de l’activité économique, et de l’investissement massif du gouvernement dans les services publics, notamment afin d’améliorer les conditions de travail des employés des secteurs public et parapublic.
Le 14 février 2024, le SPGQ a mené une enquête visant à documenter le manque de main-d’œuvre au sein de la fonction publique. Les résultats dévoilaient un manque significatif de main-d’œuvre, ressenti par environ 71% des chefs d’équipe interrogés. Les difficultés de recrutement constituaient l’une des principales causes de ce phénomène, notamment en raison d’un manque de candidats qualifiés, d’une rémunération jugée insuffisante, et de processus de recrutement complexes. Ces obstacles entraînent une surcharge de travail, une augmentation du stress et des répercussions négatives sur la santé mentale des employés.
Tout ça me semble digne d’un employeur de choix!
Rappelons qu’en avril 2023, le gouvernement du Québec s’était payé de la publicité pour se positionner comme un employeur de choix. Pour sa part, un sondage SOM dévoilait en septembre 2023 que la majorité des Québécois, soit 52%, ne voudrait pas avoir le gouvernement du Québec pour employeur, et 87% des Québécois étaient d’avis que le gouvernement devait améliorer les conditions de travail de ses employés.
Le rapport du Protecteur du citoyen, déposé le 23 septembre 2023, vient s’ajouter à ce que le SFPQ dénonce depuis des années: la pénurie de main-d’œuvre dans la fonction publique affecte fortement les services à la population. «Il y a une limite à étirer l’élastique et le gouvernement est en train de l’atteindre», nous confirmait alors le Protecteur du citoyen.
Depuis des années, les syndicats sonnent l’alarme au sujet des problèmes de rétention de personnel. Selon Christian Daigle, les taux de départs volontaires enregistrés en 2023 sont la preuve que la fonction publique est déficiente. Pas moins de 18,5% des effectifs du ministère de l’Éducation ont volontairement quitté leur emploi, alors qu’au ministère de la Santé et des Services sociaux, le taux de départs volontaires est passé à 16,26%.
Rappelons les 3 principaux axes d’intervention du gouvernement dans sa stratégie de gestion des ressources humaines 2023-2028, soit: offrir une expérience employé enrichissante; favoriser des organisations apprenantes et des parcours professionnels épanouissants; et encourager les organisations à être performantes grâce à la fonction des ressources humaines.
Avec l’annonce des derniers jours, tout ça est relégué aux oubliettes.
Si vous vous êtes un travailleur qui évolue dans l’un de ces ministères surchargés, posez-vous les questions suivantes: avez-vous les ressources pour effectuer le travail qu’on vous demande? Allez-vous avoir les ressources pour effectuer le travail supplémentaire? Surtout, est-ce que votre ministère est réellement important aux yeux du gouvernement ou bien tenons-nous pour acquis que vous allez tout faire avec le sourire?
Pour faire suite à l’annonce du gel d’embauche, la question n’est pas de savoir s’il faut embaucher moins de personnes, mais plutôt de savoir pourquoi on n’embauche pas des gens compétents. La question ne pas savoir s’il faut faire un gel d’embauche, mais bien de savoir pourquoi on ne discipline pas et pourquoi on ne congédie pas les pommes pourries.
À croire que des gens à la CAQ sont payés pour élaborer et rédiger de belles phrases vides et de beaux plans uniquement destinés à se faire tabletter.