BILLET. Il va pleuvoir des milliards sur le Québec dans la prochaine décennie. Pour prendre le virage vert, il va falloir investir massivement et quelques grands donneurs d’ordres ont déjà annoncé la couleur. Hydro-Québec a évoqué de 155 G$ à 185 G$ d’ici 2035. Les deux ordres du gouvernement feront chacun face à des besoins pharaoniques : logement, transport collectif, routes, écoles, hôpitaux…
Rien qu’en tenant compte des infrastructures vieillissantes, il y aura de quoi faire : près de la moitié d’entre elles aurait besoin de maintien des actifs. Comme si ce n’était pas suffisant, Ottawa confirmait tout récemment le lancement du mégaprojet de train à grande vitesse. Vous l’aurez compris, les occasions sont historiques pour ce que l’on appelle déjà le « chantier du siècle » !
Fidèles à notre ligne éditoriale, nous voulions aider les entreprises d’ici, alléchées par la promesse de tant d’ouvrage, à bien cibler les occasions d’affaires. Cependant, notre esprit critique nous a poussés à nous demander: qui allait profiter de cette manne ? Est-ce réellement les PME québécoises?
Pour en avoir le cœur net, nous sommes allés à la source et leur avons posé directement la question : les PME ont-elles un intérêt à profiter de ces grands projets et, si oui, en ont-elles la capacité? En partenariat avec la Fédération des chambres de commerce du Québec, nous avons donc lancé un sondage dont nous vous révélons les résultats dans cette édition. Le constat est sans appel : une immense majorité d’entre elles risquent de rater la parade ! Ce serait donc un grand rendez-vous économique manqué pour le Québec, puisque ces contrats seraient alors donnés à des entreprises du reste du Canada ou internationales.
Il n’est pas nouveau que les PME sont largement défavorisées par les processus d’appels d’offres publics, pénalisées par la complexité des processus et la règle du plus bas soumissionnaire. Même si le virage est entamé depuis le projet de loi 18, qui vise notamment à favoriser l’achat québécois, près de 90 % des contrats publics sont encore octroyés aux entreprises offrant le prix le plus bas plutôt que de privilégier des critères tels que la qualité des matériaux ou l’innovation. Dans ces grands efforts d’investissement au service d’un virage socio-énergétique, il serait pourtant logique d’inclure également la durabilité, la création d’emplois québécois ou l’achat local, qui leur donneraient un avantage compétitif. En attendant, les PME ne s’y trompent pas et se désintéressent des appels d’offres.
Bien conscient du problème, le gouvernement ne reste pas les bras croisés, il faut reconnaître. Les projets de loi qui vont dans le bon sens se multiplient. Le dernier adopté en date, le PL62, vise une réforme des marchés publics pour une plus grande agilité dans les projets d’infrastructure. L’objectif est clair : encourager les modes plus collaboratifs, partager les risques, réduire les coûts et les délais et, espérons, être de nouveau attrayant auprès de nouveaux soumissionnaires. Reste à savoir si cela sera suffisant…
Sans me faire l’avocat du diable, iIl est tout de même important de se poser une question centrale : a-t-on les moyens de nos ambitions ? Après avoir longtemps traîné une réputation d’être « né pour un petit pain », le Québec a-t-il cette fois les yeux plus gros que la panse en voulant s’attaquer à tous ces chantiers en même temps plutôt que d’y aller une bouchée à la fois ? La réalité, c’est que la province souffre cruellement du manque de main-d’œuvre, l’industrie de la construction ne le sait que trop bien. Même en mettant tous ces milliards sur la table, où va-t-on trouver les travailleurs qui vont bâtir ces grands projets ? C’est un aspect essentiel qui devra être discuté davantage.
Le Québec est riche de petites et moyennes entreprises agiles prêtes à relever l’immense défi de la transition énergétique. Pour bâtir le Québec vert de demain, assurons-nous de ne pas les laisser de côté. Soyons audacieux et envisageons une préférence nationale, au moins lorsque l’argent public est investi. Nos voisins du Sud ne se sont pas privés avec le Buy American Act, alors pourquoi ne pas envisager un « Acheter Québec » afin de favoriser l’approvisionnement local? Nos PME méritent bien le gros du gâteau !