Le marché de l’électricité est plus risqué que celui du bitcoin
François Remy|Publié le 07 octobre 2024Le député de Québec solidaire Haroun Bouazzi. (Photo: La Presse Canadienne)
LES CLÉS DE LA CRYPTO. Incongruité des débats parlementaires, la cryptomonnaie a été citée en exemple de stabilité — oui, vous lisez bien — face à l’excessive et troublante volatilité du prix de l’énergie.
Il fallait oser. Le député Québec solidaire de la circonscription de Maurice-Richard l’a fait. Haroun Bouazzi a opté pour une comparaison, bien qu’imagée, assez ironique lors des débats de l’Assemblée nationale sur le projet de loi 69 «assurant la gouvernance responsable des ressources énergétiques». Des modifications législatives promettant, théoriquement, une réforme d’Hydro-Québec, une modernisation du secteur énergétique, une gestion efficace et pérennisée.
Le parlementaire QS a développé mardi passé un argumentaire pour motiver son opposition au principe du projet de loi, un discours axé entre autres sur le fait que les entreprises privées auraient désormais la possibilité de prendre la place d’Hydro-Québec. Car cela relève selon lui d’une «absurdité» au travers notamment de la question de la gestion des risques. «Le privé prend des risques et il est payé en fonction du risque qu’il prend», a concédé Haroun Bouazzi, avant d’objecter «pas dans le cas dont on parle».
«Le bitcoin, c’est donc bien risqué?»
Et c’est là, dans une démonstration chiffrée, que la célèbre cryptomonnaie s’est vue employée à contre-emploi par rapport au pétrole et à l’électricité. «J’ai pris, ici, l’évolution du prix du bitcoin. On s’entend-tu, M. le Président, que le bitcoin, c’est donc bien risqué? Eh bien, ça oscille beaucoup plus, effectivement, de manière journalière que le baril de pétrole. On a un maximum à 65 000 $, une moyenne à 62 000 $ et un minimum à 55 000 $. Mais donc une oscillation, elle aussi, autour de 10% sur les trois derniers mois», a souligné le député Bouazzi.
Se basant alors sur les données commerciales de l’échange d’électricité en Amérique du Nord, le mandataire de Québec Solidaire a épinglé le sommet et le creux de la courbe des prix du mégawattheure pour appuyer sa manœuvre rhétorique :
«Un max à 250 $, un minimum à 3 $ le mégawattheure, pour une moyenne à 94 $. Une oscillation de plusieurs centaines de pourcentages! Quand on parle de bitcoin, là, et qu’on pense que c’est risqué à 10% d’oscillation, le marché de l’électricité oscille à plus de 100%, plus de 150% dans une variation juste de trois mois», a-t-il épinglé.
Un tabou par défaut
L’objet de notre chronique n’est évidemment pas d’alimenter le débat sur l’énergie, où règnent de profondes tensions à la simple évocation des mots filière batterie et Northvolt. Mais il était difficile de ne pas souligner cette survenue tel un cheveu dans la soupe du BTC dans les travaux parlementaires sur gouvernance énergétique.
Ne serait-ce qu’au vu des antécédents entre Hydro-Québec et l’industrie crypto, les responsables de la société d’État n’ont pas encore oublié la crise du bitcoin de 2018. Certes, le contexte a drôlement changé depuis lors, les volumes d’énergie disponibles étant encore plus limités pour tout nouveau projet, même ceux aussi vertueux que la décarbonation.
Faussement anecdotique, ce recours à la cryptomonnaie comme élément de langage tend à nous démontrer ce que le représentant politique ne dit pas explicitement : dans le logiciel de pensée des décideurs, le bitcoin ne constitue rien d’autre que le risque, la spéculation, l’instabilité.
De surcroît, en se focalisant de façon peu habituelle sur le cours boursier du BTC pour dénoncer le cours de l’énergie, le discours détourne paresseusement toute la question énergétique. Alors que l’architecture informatique et la sécurité de la chaîne de blocs Bitcoin reposent sur la consommation d’électricité.
Et si Hydro-Québec minait du bitcoin?
Quitte à jouer avec des concepts à contre-emploi, à l’instar de la «stabilité» du prix du bitcoin en comparaison à la volatilité du cours de l’électricité, voilà une approche alternative pour les prochains débats parlementaires : pourquoi la société d’État québécoise n’installerait pas ses propres installations de minage de cryptomonnaies?
Le point de vue ne paraît pas si indéfendable. En France, un entrepreneur spécialisé dans le domaine, Sébastien Gouspillou, PDG des sociétés Big Block Data Center et Big Block Green Services (BBGS) avait eu la même idée. En 2017, il avait exposé un modèle d’affaires simple à comprendre à EDF, la société de production et de fourniture d’énergie détenue à 100% par l’État français : mettre des conteneurs de minage sur toutes les centrales hydro-électriques pour calibrer parfaitement la consommation sur la production, avec en prime la possibilité de monétiser en bitcoins.
«Si EDF avait commencé à miner à l’époque avec deux seuls conteneurs, l’entreprise disposerait actuellement, on a fait les calculs avec mes associés, d’entre 5 et 7,7 milliards de dollars», a-t-il expliqué lors d’une récente interview sur ThinkerView. Et d’ajouter : «l’ingénieur hydro-électrique d’EDF avait tout de suite compris l’intérêt et il a passé un appel d’offres. Appel d’offres qui a été annulé par la direction générale d’EDF». Le risque réputationnel l’emportant sur le risque de gestion à n’en pas douter.