Les crises boursières et financières sont plus fréquentes
François Normand|Mis à jour le 09 août 2024Les courtiers sur le parquet du New York Stock Exchange (NYSE) le 18 juin 2024 à New York. (Photo: Getty Images)
ANALYSE ÉCONOMIQUE. La dégringolade de la Bourse lundi a fait plus de peur que de mal. Aux États-Unis, le Dow Jones et le S&P 500 ont pratiquement rattrapé le terrain perdu, signifiant que nous avons probablement évité le pire, du moins pour l’instant. Car, on l’oublie souvent, les crises boursières et financières sont plus de plus en plus fréquentes depuis une quarantaine d’années en raison de la déréglementation des années 1980 et 1990.
Trois crises majeures ont d’ailleurs marqué les esprits depuis les années 1980.
- Le lundi noir du 19 octobre 1987: le Dow Jones, l’indice phare de la Bourse de New York, a perdu 22,6% dans une seule séance.
- La crise asiatique en 1997: l’effondrement des devises asiatiques a provoqué une perte de confiance des investisseurs dans le monde, provoquant un recul du Dow Jones de 7,18% le 27 octobre 1997.
- La crise financière de 2007-2008: le système financier mondial a connu une crise de liquidité majeure, provoquant la faillite de Lehman Brothers et le rachat de Merrill Lynch, deux institutions financières mythiques de Wall Street.
C’est sans parler de la crise de la COVID-19, qui a provoqué une chute spectaculaire des marchés boursiers entre leur sommet de la mi-février 2020 et leur creux de la fin mars 2020, selon une analyse de Gestion de patrimoine RBC.
Avant les années 1980, les marchés boursiers ont certes connu des cycles à la baisse, comme dans les années 1970, notamment en raison du premier choc pétrolier en 1973.
Cela dit, depuis le fameux krach boursier de la Bourse de New York du 29 octobre 1929 (-12,8%), suivi par la Dépression des années 1930, les marchés boursiers et financiers avaient été relativement stables dans le monde jusqu’aux années 1980.
Pourquoi?
Parce que les marchés étaient beaucoup plus réglementés qu’aujourd’hui.
Trois lois structurantes durant la Dépression
Par exemple, dès les années 1930 aux États-Unis, le gouvernement a commencé à encadrer rigoureusement la Bourse et les banques qu’il tenait en grande partie responsables de la crise économique.
Washington a adopté trois lois phares qui ont stabilisé les marchés et l’économie.
Le Glass-Steagall Act (1933) : cette loi a séparé les activités bancaires classiques (accorder des prêts) des activités bancaires d’investissement (acheter des valeurs mobilières). Bref, les banques ne pouvaient plus spéculer sur les marchés, réduisant leur exposition aux risques de marché.
La création de la Securities and Exchange Commission (1934) : Washington a créé la SEC pour encadrer les marchés financiers, en supervisant notamment les transactions à la Bourse. Sa création a permis de protéger les investisseurs (surtout au détail) et de renforcer par conséquent leur confiance à l’égard des marchés.
Le Banking Act de 1935 : le gouvernement a encadré davantage les banques en donnant plus de pouvoir à la Réserve fédérale américaine (Fed), qui avait été créée en 1913. La loi a centralisé son pouvoir de fixer les taux d’intérêt, en plus de celui de surveiller les banques membres du système de la Fed.
La déréglementation des années 1980 et 1990
Toutefois, sous l’impulsion du président républicain Ronald Reagan aux États-Unis, Washington a commencé à déréglementer les marchés financiers dans les années 1980 – ce mouvement s’est poursuivi durant l’administration démocrate de Bill Clinton, dans les années 1990.
C’est sans doute le Gramm-Leach Bliley Act (ou le Financial Services Modernization Act of 1999) qui a le plus contribué à fragiliser le système financier, car il a abrogé des parties clés du Glass-Steagall Act de 1933.
Par exemple, la loi a permis aux sociétés d’assurance, aux banques commerciales et aux banques d’investissement de fusionner et de créer de gros conglomérats financiers. Ottawa a permis la même chose au Canada.
Le Gramm-Leach Bliley Act a donc favorisé la création d’institutions dites «too big to fail». La législation a aussi incité les banques à spéculer davantage, par exemple avec les produits dérivés et la titrisation, c’est-à-dire la création de titres adossés à des actifs.
Plusieurs économistes ont pointé du doigt cette loi, la tenant en grande partie responsable de la crise financière de 2007-2008.
«La culture des banques d’investissement s’est transmise aux banques commerciales et tout le monde s’est engagé dans la mentalité de pari à haut risque. Cette mentalité est au cœur du problème auquel nous faisons face actuellement», a dénoncé à l’époque l’économiste Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, dans un reportage publié par le réseau américain ABC.
Attention à l’arbre qui cache la forêt
Certes, la dégringolade boursière de ce lundi 5 août a des causes bien particulières.
Selon des analystes, elle tiendrait à la réaction des marchés aux données du marché du travail aux États-Unis plus faibles du prévu, sans parler du fait que la Banque du Japon a monté son taux directeur.
Plusieurs investisseurs mondiaux empruntent en yens, car les taux d’intérêt sont très bas au Japon. Le 31 juillet, l’institution a d’ailleurs porté son taux directeur à 0,25%. À titre de comparaison, la Banque du Canada à un taux de 4,5%, tandis que celui de la Fed se situe dans une fourchette de 5,25% à 5,50%.
Toutefois, ce type de dégringolade ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt.
Si on prend un recul historique, il faut être conscient que les investisseurs évoluent dans un environnement réglementaire beaucoup moins strict qu’au début des années 1980, alors que le système financier était plus stable et moins volatil.
Et donc que les crises boursières et financières sont et seront plus fréquentes.