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François Normand

Zoom sur le monde

François Normand

Analyse de la rédaction

Les États-Unis ne sont pas la république de Weimar

François Normand|Mis à jour le 14 octobre 2024

Les États-Unis ne sont pas la république de Weimar

Donald Trump (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. On ne compte plus les analyses prévoyant l’instauration d’un régime autoritaire aux États-Unis, voire d’une dictature, si Donald Trump est réélu. Si l’histoire nous enseigne qu’aucune démocratie n’est éternelle, celle des Américains repose toutefois sur des fondations solides, malgré des signes d’effritement depuis la première administration Trump.

Cette question de régime est cruciale pour les entreprises et les investisseurs canadiens actifs aux États-Unis. En effet, quelle organisation voudrait vraiment se développer et investir aux États-Unis si l’État de droit y est grandement affaibli ou, pis encore, sabordé sur l’autel de l’autoritarisme?

Car, c’est bien de cela qu’il s’agit, du moins si l’on se fie à certains analystes.

Si le risque zéro n’existe pas en matière de risque géopolitique, leurs craintes sont toutefois largement exagérées.

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Tentative d’insurrection au Capitole à Washington, le 6 janvier 2021. (Photo: Getty Images)

Pour nous mettre en garde contre le danger de l’autoritarisme assumé de Donald Trump, des analystes citent souvent le sort de la fameuse république de Weimar, en Allemagne, qui n’a duré que de 1919 à 1933.  

Adolf Hitler a sabordé cette première expérience démocratique dans ce pays, quand il a gagné les élections législatives en 1933. Berlin avait créé la république de Weimar au lendemain de la Première Guerre mondiale (1914-1918), perdue par l’Allemagne et qui avait mis fin à l’Empire allemand.

Le mauvais spectre de la république de Weimar

Toutefois, brandir le spectre de la république de Weimar est un bien mauvais exemple, et ce, pour deux raisons fondamentales.

Premièrement, l’Allemagne n’avait pas de tradition démocratique avant 1919. Les institutions de la jeune république et la culture démocratique ne reposaient donc pas sur des fondations solides. L’autoritarisme était en fait la norme depuis toujours en Allemagne.

Deuxièmement, les États-Unis sont une vieille démocratie de plus de deux siècles. Elle repose sur des institutions résilientes et une culture démocratique bien implantée à tous les niveaux de gouvernements, comme l’explique si bien Alexis de Tocqueville dans son célèbre essai «De la démocratie en Amérique».

Cela dit, la démocratie américaine montre des signes d’effritement depuis 2016, année de la première élection Donald Trump à la Maison-Blanche, selon les données de l’organisation Freedom House, qui classe la vitalité démocratique dans le monde sur une échelle de 0 à 100.

En 2017, les États-Unis affichaient un score de 89, avec des pays comme l’Italie et la Pologne. Aujourd’hui, son résultat est de 83, aux côtés de pays comme la Roumanie et la Corée du Sud – le Canada a un score de 97.

Pour mettre les choses en perspective, la Chine et la Russie affichent respectivement un score de 9 et 13…

Trois classifications sont souvent utilisées dans l’analyse du risque géopolitique (cette discipline ne fait pas de prévisions, mais évoque plutôt des scénarios plausibles) pour évaluer un risque: probable, possible ou improbable (qui a peu de chance de se produire).

Dans le cas de l’instauration d’un régime autoritaire aux États-Unis, voire d’une dictature, on peut conclure que ce scénario est improbable.

Un candidat ouvertement autoritaire

Mais avant d’expliquer pourquoi, voici les raisons pour lesquelles il y a néanmoins lieu de s’inquiéter d’une prochaine présidence Trump, d’autant plus si les républicains contrôlent le Congrès – actuellement, ils ne contrôlent que la Chambre des représentants.

La Capitole à Washington, où siège la Chambre des représentants et le Sénat. (Photo: 123RF)

En juillet, dans une entrevue à la radio publique américaine NPR, deux spécialistes de la démocratie américaine, Daniel Ziblatt et Steven Levitsky, les auteurs de «How Democraties Die» et «Tyranny of the Minority», ont bien résumé le risque politique que représente Donald Trump.

  • Il affirme vouloir utiliser le ministère de la Justice pour traquer ses rivaux;
  • Il dit compter utiliser l’armée pour réprimer les manifestations en vertu de son interprétation de la loi sur l’insurrection;
  • Il prévoit de mobiliser les forces de sécurité pour expulser 15 à 20 millions de personnes des États-Unis, ce qui pourrait causer des violations massives des droits civils et peut-être des droits de la personne;
  • Il ne reconnaît toujours pas les résultats de l’élection présidentielle de 2020.

Tout ça dans un contexte où la Cour suprême des États-Unis a rendu une décision, le 1er juillet, selon laquelle Donald Trump n’a pas à s’inquiéter de poursuites judiciaires pour son comportement dans le cadre de ses fonctions, soulignent les deux spécialistes.

Pourquoi un régime autoritaire est improbable

Même si la vitalité démocratique a décliné aux États-Unis, plusieurs facteurs sont en faveur d’un scénario improbable que le pays se transforme en régime autoritaire advenant l’élection d’une deuxième administration Trump.

1. (Vieille démocratie) La démocratie américaine a plus de deux siècles – la première élection présidentielle a eu lieu aux tournants des années 1789, portant au pouvoir George Washington.

2. (Séparation des pouvoirs) La jeune république a inventé la séparation des pouvoirs (le législatif, l’exécutif, le judiciaire). Cette séparation – qui n’existe même pas au Canada – assure un équilibre (un check and balance, comme on dit aux États-Unis) en créant un garde-fou contre les dérives autoritaires.

La Cour suprême des États-Unis, située à Washington (Photo: 123RF)

3. (Résilience démocratique) Dans leur histoire, les États-Unis ont traversé des crises sans sombrer dans l’autoritarisme. Mentionnons la Guerre civile de 1861 à 1865, l’assassinant de trois présidents entre 1865 et 1901, ainsi que les turbulences des années 1960, dont les meurtres de John F. Kennedy et Martin Luther King Jr. marquent encore les esprits.

4. (Républicains rassurants) Même si l’ex-président Donald Trump a tenté de s’accrocher au pouvoir en janvier 2021, le collège électoral a confirmé l’élection de Joe Biden. Et avec le concours de républicains, à commencer par l’ancien vice-président Mike Pence – le tiers des républicains ont accepté le résultat de la présidentielle de 2020.

5. (Démocrates inquiétants) Certes, l’élection de plusieurs républicains au Congrès, en 2022, qui nient encore la légitimité de Joe Biden est très préoccupante. Cela dit, les républicains n’ont pas le monopole à ce sujet, fait remarquer le Wall Street Journal. En 2000, 2004, 2016 et 2018, des démocrates ont nié le résultat d’élections, dont la réélection du président républicain George W. Bush, en 2004, qui s’est jouée en Ohio.

6. (Déclin démocratique généralisé) De 2017 à 2023, les institutions américaines ont subi une érosion, selon les données de Freedom House. En revanche, le pays n’est pas le seul à subir un déclin des droits politiques et des libertés civiles, même si la situation y est plus critique (-6 points). Ainsi, ils ont aussi reculé par exemple au Royaume-Uni (-4 points), en France (-2 points), en Allemagne (-2 points) et au Canada (-2 points).

7. (Résistance à l’autoritarisme) Même si Donald Trump voulait instaurer un régime autoritaire aux États-Unis, il est très probable que l’ensemble des forces vives du pays s’opposeraient à un tel projet, et ce, des États aux citoyens en passant par les médias, les tribunaux et l’armée américaine, qui a toujours été au service de la république.

La possible élection de Donald Trump représente tout un défi pour les entreprises et les investisseurs canadiens actifs aux États-Unis.

Cela dit, pour bien évaluer les répercussions potentielles, encore faut-il bien hiérarchiser le risque ainsi que le scénario le plus plausible et réaliste.

Force est de constater que l’avènement d’un régime autoritaire aux États-Unis ne répond pas à ces critères.