Les États-Unis sont le pain et le beurre des entreprises québécoises
François Normand|Mis à jour le 21 septembre 2024Les Québécois sont des Nord-Américains, et partagent donc une culture d’affaires similaire à celles des Américains, axée sur le pragmatisme en affaires. (Photo: Adobe Stock)
ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Ce discours refait surface régulièrement: le Québec doit absolument diversifier ses exportations, car ses expéditions internationales de marchandises sont trop concentrées aux États-Unis. Diversifier nos exportations est certes une bonne chose. En revanche, diversifier pour diversifier est périlleux, car les autres marchés comportent aussi des risques d’affaires et géopolitiques.
Le 13 septembre, dans une allocution devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), le président d’Investissement Québec International, Hubert Bolduc, a mis en garde l’auditoire à propos de la dépendance du Québec à l’égard du marché américain, où sont acheminées 70% de nos exportations.
Il a même associé les États-Unis à une «drogue» pour les entreprises québécoises.
«Du côté des entreprises exportatrices, la présence américaine agit un peu comme de la drogue, a-t-il illustré. Dans le sens où c’est facile, ça va bien, et 70% de nos exportations vont aux États-Unis. Ça se fait dans un cadre relativement facile. Le problème, comme avec la drogue, à la fin, ça va moins bien. Et là tu deviens dépendant.»
En fait, pour demeurer dans les métaphores, le marché américain est plutôt le pain et le beurre de nos entreprises depuis des siècles, et le demeurera pour les siècles à venir.
Voici trois exemples concrets pour illustrer à quel point les États américains sont vitaux pour l’économie québécoise, selon les données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).
Tenez-vous bien.
La France équivalente au… Tennessee
Les exportations de marchandises du Québec au Tennessee de 2 milliards de dollars (G$) sont équivalentes à nos exportations en France. Tout comme celles en Alabama (1,7G$) sont du même niveau qu’au Japon.
Quant à nos expéditions de marchandises dans l’État de New York (8,6G$), elles représentent le double de celles en Chine…
Certes, une concentration de 70% peut apparaître un niveau élevé, mais ce type de concentration est loin d’être unique dans le monde.
La raison en est fort simple: les économies ne peuvent tout simplement ignorer leur géographie, sans parler du fait qu’expédier un conteneur par bateau, d’autre côté de l’Atlantique ou en Asie, coûte cher et comporte son lot de risques.
Parlez-en aux exportateurs qui ont couru après des conteneurs durant la pandémie ou à ceux qui font transiter leurs marchandises par la mer Rouge pour commercer avec l’Asie, où les Houthis yéménites, alliés de l’Iran, attaquent la marine marchande à coup de missiles!
Aussi, sans surprise, si on analyse différentes bases de données, on constate une évidence commerciale vieille comme le monde.
Les Nord-Américains font surtout des affaires entre eux, tout comme les Européens ou les Asiatiques commercent surtout entre eux, certes, à différents niveaux.
Le Mexique achemine 83,3% de ses exportations aux États-Unis, malgré un accord de libre-échange avec les 27 pays de l’Union européenne, entré en vigueur en 2000, selon la firme BBVA Research.
La France expédie 55% de ses exportations internationales dans les 27 pays de l’Union européenne, d’après le site Trade Economics. En fait, cette proportion est plus élevée, car ces statistiques excluent par exemple les expéditions françaises au Royaume-Uni, en Suisse et en Ukraine, qui ne sont pas membres de l’UE.
Le Japon achemine environ 50% de ses exportations dans la région Asie-Pacifique (excluant les pays des Amériques), à commencer par des pays comme la Chine et la Corée du Sud, selon le Japan External Trade Organization (JETRO), une agence gouvernementale.
Les nombreux avantages du marché américain
Revenons maintenant aux exportations du Québec aux États-Unis.
Outre le libre-échange et un taux de change habituellement favorable, il y a plusieurs facteurs qui expliquent pourquoi nos entreprises expédient massivement leurs marchandises au sud de la frontière.
La géographie: la vaste majorité des PME et des grandes sociétés sont situées à quelques heures de la frontière américaine, et une part importante à moins d’une heure.
Les fuseaux horaires: les contacts sont faciles, car il n’y a pas de décalage horaire avec le nord-est et le sud-est des États-Unis. Et on parle seulement de trois heures avec la Californie.
La culture d’affaires: les Québécois sont des Nord-Américains, et partagent donc une culture d’affaires similaire à celles des Américains, axée sur le pragmatisme en affaires.
La culture générale: même si les Québécois parlent français, ils ont souvent plus de choses en commun sur le plan culturel (média, littérature, cinéma, musique) avec des clients et des fournisseurs situés à Boston ou à New York par rapport à ceux établis à Paris, Bruxelles ou à Genève.
La taille du marché: les États-Unis abritent la plus grande économie et l‘une des plus dynamiques au monde, dont la taille continuera de croître en raison de l’augmentation constante de sa population et de la productivité.
L’État de droit: les États-Unis sont un État de droit, où une entreprise québécoise peut porter un litige commercial devant les tribunaux tout en ayant l’assurance raisonnable d’être traitée de manière équitable.
L’intégration des chaînes de valeur: depuis le Traité de réciprocité (1854-1866), les chaînes de valeur sont intégrées entre le Canada et les États-Unis, une tendance renforcée par la construction de la voie maritime du Saint-Laurent, dans les années 1950, puis de l’entrée en vigueur l’Accord de libre-échange canado-américain, en 1989.
La stabilité géopolitique: l’Amérique du Nord est sans doute la région la plus stable au monde, où il n’y a pas eu de guerres d’envergure sur son territoire depuis la guerre civile aux États-Unis (1861-1865).
Les risques de marché ailleurs dans le monde
Encore une fois, diversifier ses exportations est une bonne idée, mais il faut aussi être conscient des risques géopolitiques ailleurs dans le monde.
Commençons par l’Union européenne, un vaste marché de 450 millions d’habitants avec lequel nous avons un accord de libre-échange – sans compter le Royaume-Uni. Le continent regorge certes de nombreuses occasions d’affaires. Toutefois, deux nuages sombrent pointent à l’horizon.
D’une part, la guerre à grande échelle est de retour en Europe avec l’invasion russe de l’Ukraine. D’autre part, la gauche et la droite radicale progressent sur le continent, incitant de plus de plus d’élus à adopter des positions hostiles au commerce international – en mars, le Sénat français a refusé de ratifier l’AECG entre le Canada et l’UE.
En Asie-Pacifique, la stabilité de la région est malmenée en raison de la volonté de la Chine d’annexer Taïwan qu’elle considère comme une province renégate. Un blocus ou une tentative d’invasion provoquerait probablement une guerre avec les États-Unis.
Et la stabilité des États-Unis dans tout ça, pourraient dire d’aucuns, alors que l’ex-président Donald Trump pourrait retourner à la Maison-Blanche en janvier?
Respirons par le nez: aucun analyste géopolitique sérieux ne prévoit la fin de la démocratie aux États-Unis s’il reprend le pouvoir, comme le laissent entendre certains commentateurs. La démocratie américaine est beaucoup plus résiliente qu’on ne le croit.
En revanche, il faut s’attendre à l’adoption de mesures protectionnistes (de nouveaux tarifs) ou des barrières non tarifaires (réglementation favorisant les entreprises nationales), comme c’est souvent du reste le cas en Europe et en Asie.
Rien toutefois pour justifier de tourner le dos au marché américain, qui est notre pain et notre beurre.