Pourquoi le consommateur ne se laisse-t-il plus autant plumer?
John Plassard|Mis à jour le 28 octobre 2024(Photo: Denis Lalonde)
EXPERT INVITÉ. Si la question semble abrupte et quelque peu déplacée, elle ne l’est en fait pas du tout. Nombreux sont les consommateurs (américains et européens) qui se sont posé cette question ces dernières années face à la multiplication de la shrinkflation, de la cheapflation ou encore de la skimpflation. Cependant il semble qu’un vent de révolte se soit levé. Ceci pourrait avoir un impact fort sur certaines grandes entreprises. Synthèse et analyse.
Les faits
Face à la hausse de l’inflation, de nombreuses enseignes ont fait preuve «d’inventivité» pour ne pas que leurs marges ne s’effondrent et que leurs ventes baissent.
Dans un contexte de crise où la taille du marché a diminué et un secteur dans lequel la sensibilité prix est très forte, les distributeurs n’ont d’autre choix que de chercher à baisser leurs coûts plutôt que d’augmenter les prix.
On peut notamment citer :
- La réduflation : Avec la hausse des matières premières et une facture alourdie à la caisse pour les ménages, une technique de vente fait polémique : la «réduflation». Elle permet de diminuer la quantité d’un produit tout en gardant son emballage d’origine et son prix. La première cause de la «shrinkflation» est la hausse des prix. L’objectif que cette méthode de vente et de remplissage est de rester compétitive en période d’inflation, comme c’est le cas actuellement. Cette technique est tout à fait légale dans certains pays. Dans la grande distribution, environ 2% des produits alimentaires pourraient être concernés par la «shrinkflation». Les céréales et les tablettes de chocolat seraient les plus touchées par ce procédé.
- La cheapflation : La cheapflation (ou la baisse de la qualité des aliments) consiste à remplacer certains produits ou aliments par des substituts (alimentaires ou non) moins chers. Le but étant évidemment de maintenir des marges ou de vendre plus de produits. Les exemples pullulent sur internet et le site Reddit s’en fait notamment l’écho. L’exemple le plus évident de la cheapflation est celui de certaines crèmes glacées désormais appelées «desserts glacés», car les produits laitiers qui les composaient ont été remplacés par des produits de remplissage.
- La skimpflation : La skimpflation est un phénomène économique où les entreprises réduisent la qualité ou la quantité des biens et services qu’elles offrent, tout en maintenant le même prix, voire en augmentant légèrement les prix. Le terme vient du verbe anglais «to skim», qui signifie «enlever le dessus», «réduire», et fait référence au fait que les consommateurs reçoivent moins pour leur argent sans que cela soit nécessairement visible à première vue. Contrairement à l’inflation traditionnelle, où les prix augmentent de façon visible, la skimpflation se traduit par des ajustements subtils dans les produits ou services, ce qui permet aux entreprises de gérer l’augmentation de leurs coûts tout en essayant d’éviter de perdre des clients en raison de hausses de prix évidentes.
Cependant, il semble qu’une partie des consommateurs, qui ont été «pressés» de toute part sont en train de se «réveiller» ou tout simplement de prendre conscience que la situation dans laquelle ils se trouvent n’est tout simplement pas «normal»…
La sanction tombe…
Comme le rappelle le Washington Examiner, PepsiCo par exemple, la société mère de Frito-Lay a tiré une leçon coûteuse de sa récente stratégie de lutte contre l’inflation en réduisant la quantité de croustilles dans ses sacs.
Afin de gérer la hausse des coûts, PepsiCo a d’abord réduit le volume de produits tels que Lay’s et Doritos, en proposant moins de croustilles par sac et en réduisant le nombre de sacs dans les multipacks. Toutefois, cette mesure s’est retournée contre les consommateurs, qui ont laissé ces produits sur les étagères, optant pour d’autres marques ou renonçant purement et simplement à les acheter.
Face à la baisse des ventes, PepsiCo a décidé de faire marche arrière. L’entreprise augmente désormais de 20% la quantité de croustilles dans ses sachets et ajoute deux sachets supplémentaires à ses multipacks afin de regagner l’intérêt des consommateurs.
Selon le dernier rapport de résultats de PepsiCo, la division Frito-Lay a vu son chiffre d’affaires baisser de 1%, en grande partie à cause d’une réduction de 1,5% du volume.
Il est intéressant de noter que le PDG de PepsiCo, Ramon Laguarta, a souligné que la décision de l’entreprise d’augmenter les volumes de produits coïncide également avec la saison du football, au cours de laquelle les rassemblements et la consommation d’en-cas augmentent.
Ce contexte saisonnier constitue une incitation supplémentaire à pousser les clients à acheter à nouveau leurs croustilles préférées, car les événements sociaux augmentent la demande de collations.
Un autre exemple de société qui a dû faire marche arrière est Unilever, avec sa célèbre marque de glace Ben & Jerry’s. En réponse à la hausse des coûts des matières premières, Unilever avait augmenté les prix de certains produits tout en réduisant légèrement les portions, dans une stratégie connue sous le nom de «shrinkflation». Cependant, cette initiative a rencontré un rejet des consommateurs qui se sont tournés vers des alternatives moins chères.
Pour regagner leur clientèle, Unilever a ensuite ajusté sa stratégie en rétablissant des portions plus généreuses tout en proposant des offres promotionnelles, afin de restaurer la perception de valeur et regagner la confiance des consommateurs. Comme PepsiCo, cette marche arrière visait à éviter de perdre des parts de marché dans un secteur très concurrentiel.
Les grands vainqueurs sont…
Le rapport de Circana sur les marques privées (également appelées marques de magasin ou marques de distributeur) révèle que ces produits continuent de gagner en importance sur le marché américain, réalisant plus de 217 milliards de dollars de ventes, soit une augmentation de 6% des ventes en dollars pour 2023, avec des ventes unitaires en hausse de 0,9%.
Les marques privées prennent de plus en plus de parts de marché aux marques nominales, représentant désormais 25,5% des ventes unitaires totales, contre 24,7% en 2022. La croissance a été plus prononcée dans l’alimentation et les boissons, où les marques privées ont connu une augmentation des ventes de 6,7%, contre une hausse de 5,1% pour les produits non comestibles.
Les consommateurs à l’origine de cette tendance comprennent les ménages avec enfants, qui représentent 35% des achats unitaires de produits alimentaires et de boissons de marque privée, ainsi que les ménages du millénaire et de la génération X sans enfants, qui représentent 36% des ventes.
Les acheteurs moyennement fortunés sont particulièrement intéressés par les marques privées, tandis que les ménages de la génération X et du millénaire sans enfants, peu ou très fortunés, sont à l’origine de la croissance.
Les détaillants ont également commencé à traiter les marques privées davantage comme des marques nationales en introduisant des étiquettes plus propres, des produits de qualité supérieure et en intensifiant leurs efforts de marketing.
Les marques privées ont gagné des parts de marché dans l’alimentation générale, les boissons de longue conservation et les aliments réfrigérés, ainsi que dans les catégories beauté et maison.
Les opportunités de croissance des marques privées incluent l’exploitation de l’intérêt croissant des consommateurs pour la préparation rapide et pratique des repas avec des appareils tels que les friteuses et les marmites instantanées.
Les détaillants peuvent également promouvoir les marques privées par le biais du marketing numérique afin d’attirer des consommateurs plus jeunes et de multiplier les essais de leurs produits de marque privée, ce qui favorise la fidélité à la marque et une plus grande confiance de la part des acheteurs.
Même dans les catégories traditionnellement dominées par les marques, comme les en-cas salés, les marques de distributeur s’imposent, ce qui montre que les consommateurs reconnaissent la valeur de ces produits dans un large éventail de catégories.
Quelles sont les entreprises qui ont le plus de «marques privées»?
Les entreprises cotées en Europe et aux États-Unis ayant une part importante de marques privées (ou marques de distributeur) sont principalement des distributeurs majeurs et des détaillants. Voici quelques-unes des plus grandes sociétés dans ce domaine :
États-Unis :
• Walmart : Walmart propose un large éventail de marques privées, notamment Great Value, Equate, Sam’s Choice, Parent’s Choice, et Member’s Mark (via Sam’s Club).
- Costco : La marque privée de Costco, Kirkland Signature, est bien connue pour une large gamme de produits allant de l’alimentation aux articles de maison et même à l’électronique.
- Amazon : Amazon a développé plusieurs marques privées, telles qu’Amazon Basics (électronique, articles ménagers), Happy Belly (produits alimentaires), Solimo, Presto!, et d’autres dans des secteurs variés.
- Target : Target possède un large portefeuille de marques privées, dont Up & Up, Good & Gather, Cat & Jack (vêtements pour enfants), Opalhouse (décoration de maison), et Market Pantry.
- Kroger : Kroger, l’une des plus grandes chaînes de supermarchés aux ÉtatsUnis, a de nombreuses marques privées telles que Simple Truth, Private Selection, Kroger Brand, et Home Chef.
Europe :
- Tesco : Tesco est l’un des plus grands détaillants britanniques et propose plusieurs marques privées, comme Tesco Finest, Tesco Everyday Value, Tesco Free From, et des produits Tesco Organic.
- Carrefour : Carrefour possède une large gamme de marques de distributeur, telles que Carrefour Bio, Carrefour Selection, Carrefour Kids, et Tex (vêtements).
- Sainsbury’s : Cette chaîne britannique propose de nombreuses marques privées telles que By Sainsbury’s, Taste the Difference, SO Organic, et Tu pour les vêtements.
Synthèse
La montée en puissance des marques privées et la révolte des consommateurs face aux pratiques comme la shrinkflation illustrent un changement profond dans les habitudes de consommation. Les entreprises, conscientes de ces dynamiques, doivent s’adapter rapidement pour rester compétitives et répondre aux attentes croissantes d’une clientèle en quête de transparence, de qualité et de prix justes. Les marques privées, désormais perçues comme une alternative crédible aux grandes marques, jouent un rôle clé dans cette nouvelle ère de consommation. Opportunité d’investissement.