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EXPERT INVITÉ. Interrogations politiques à la veille du résultat des élections présidentielles américaines, craintes géopolitiques avec une potentielle réplique iranienne aux derniers bombardements israéliens ou encore momentum des indices en question après les récents records pour le Nasdaq ou encore le S&P 500, les investisseurs recherchent maintenant de nouveaux relais de croissance. L’un de ceux-ci pourrait être les rachats d’actions. Synthèse et analyse.
Les faits
Si nous vous disions qu’il y a 20 ans de cela, les rachats d’actions étaient près de 100 fois moins élevés qu’en 2024? Vous n’y croiriez certainement pas. Pourtant on n’y est pas très loin.
Rachats d’actions du S&P 500 (selon S&P Dow Jones Indices) :
- 2003 : 11 milliards de dollars
- 2020 : 521 milliards de dollars
- 2021 : 881 milliards de dollars
- 2022 : 922 milliards de dollars
- 2023 : 795 milliards de dollars
- 2024 (est) : 988 milliards de dollars
À près de 922 milliards de dollars, le volume total des rachats pour 2022 dépassait le record de 881 milliards de dollars observé en 2021. Cependant 2024 pourrait être l’année de tous les records avec potentiellement un chiffre proche des 1 000 milliard de dollars.
Proches de la fin du blackout (voir plus bas), de plus en plus d’analystes commencent à se demander si les rachats d’actions ne pourraient pas être le prochain relais de croissance des indices boursiers après les récents records du S&P 500 ou encore du Nasdaq 100…
Quelle est concrètement la «puissance de feu»?
Selon les prévisions fournies par Goldman Sachs, les entreprises américaines seront une nouvelle fois les plus grands acheteurs du marché des actions en 2024 avec une demande de 988 milliards de dollars, soit la meilleure année jamais enregistrée.
Cela représente environ 245 milliards de dollars par trimestre (la prochaine période de blackout débutant à la mi-décembre 2024). Cela représente 5,5 milliards de dollars par jour pendant cette période (ajusté des blackouts).
Qu’est-ce que la période de blackout?
Certaines entreprises suspendent temporairement leurs programmes de rachat d’actions pendant les périodes de blackouts lors de la publication des résultats pour des raisons réglementaires.
Ces périodes commencent généralement quelques semaines avant la publication des résultats et se terminent quelques jours après la publication des résultats.
Selon la théorie du blackout, on s’attend à ce que la performance de certaines entreprises diminue parce que les entreprises ne peuvent pas racheter d’actions avant la publication des résultats, ce qui déprime le soutien des prix.
Pour le 4e trimestre 2024, la période de blackout termine mi-novembre.
Les impacts sur les marchés
Les rachats d’actions sont souvent cités comme un soutien clé pour le marché des actions.
En effet, de manière technique, les rachats diminuent le nombre d’actions en circulation d’une société, ce qui augmente les bénéfices par action et fait baisser le ratio cours/bénéfices.
Ce ratio indique aux investisseurs combien de fois une action se négocie par rapport à son bénéfice, indiquant si l’action est chère ou non. Étant donné que les bénéfices d’une société ne seront pas directement influencés par le nombre d’actions en circulation, le rachat d’actions augmentera le bénéfice par action.
Si le cours de l’action demeure inchangé, le ratio cours/bénéfice diminuera alors, donnant l’impression que l’action semble moins dispendieuse.
Différents ratios tirés du bilan sont également influencés positivement par cette transaction. Ces ratios sont souvent utilisés pour évaluer la qualité et la rentabilité d’une entreprise.
Les entreprises utilisent une partie de leurs actifs (trésorerie et équivalents de trésorerie) pour racheter des actions, ce qui réduit les actifs et les capitaux propres.
Quels secteurs en particulier?
Les rachats d’actions touchent particulièrement les secteurs aux flux de trésorerie importants et aux perspectives de réinvestissement limitées. Les principaux concernés sont :
- Technologie : Secteur leader en matière de rachat d’actions, les géants comme Apple, Microsoft, et Alphabet, riches en liquidités, utilisent cette stratégie pour compenser les programmes d’attribution de stock à leurs employés, éviter la dilution et rendre du capital aux actionnaires. C’est une tactique payante pour maintenir leurs valorisations en hausse, tout en optimisant leur structure de capital.
- Financiers : Les banques et institutions financières américaines, notamment, sont de grands adeptes des rachats. Suite aux tests de résistance réglementaires, des institutions comme JP Morgan Chase ou Bank of America utilisent ce surplus de capital pour soutenir leurs actions et redonner de la valeur aux actionnaires.
- Consommation discrétionnaire : Que ce soit dans le secteur de l’automobile, de la grande distribution ou de la restauration, des entreprises comme McDonald’s ou Home Depot ont recours aux rachats, surtout en période de ralentissement des cycles ou d’opportunités de réinvestissement réduites. Cela leur permet de stabiliser leurs cours en période de moindre croissance.
- Santé : Fortement implantés dans les programmes de rachat, les laboratoires pharmaceutiques et biotechnologiques — Johnson & Johnson, Pfizer, pour n’en citer que quelques-uns — exploitent leurs réserves d’argent pour doper leur BPA, un facteur essentiel pour maintenir la confiance des investisseurs.
- Industriels : Parmi les entreprises matures, des leaders de l’aérospatial, de la défense et des conglomérats tels que Boeing ou General Electric trouvent dans les rachats d’actions un moyen efficace de gérer leurs flux de trésorerie, surtout dans des secteurs aux carnets de commandes stables.
Ces secteurs, stimulés par leurs flux de liquidités et les exigences réglementaires, privilégient les rachats pour soutenir les cours, gratifier leurs actionnaires et optimiser leur capital — une stratégie qui n’a jamais été aussi prisée qu’en 2024.
Les questions
Si on peut s’accorder pour dire que les rachats d’actions sont techniquement positifs pour le marché des actions, cela laisse cependant plusieurs questions en suspens.
- Pour une société qui achèterait des actions considérées comme surévaluées ne serait-il pas préférable de verser cette somme sous forme de dividende afin que les actionnaires puissent l’investir plus efficacement?
- L’augmentation technique des BPA (bénéfices par action) suite aux rachats d’actions reflète-t-elle vraiment la valeur fondamentale de l’entreprise?
- Le recours aux rachats d’actions au détriment de la partie R&D (recherche et développement) ne réduit-il pas la productivité de l’entreprise?
- De nombreux cadres recevant l’essentiel de leur rémunération sous forme d’options d’achat d’actions, le retour des rachats (d’actions) n’est-il pas un moyen de gonfler la rémunération de certains actionnaires?
- Est-il juste qu’une entreprise puisse recourir à l’endettement pour financer des achats d’actions qui augmentent ses bénéfices?
- Dans certains cas, n’est-il pas risqué pour une entreprise d’utiliser les rachats d’actions par effet de levier comme moyen de repousser un raid hostile? Rappelons que certaines entreprises s’endettent lourdement pour racheter des actions. Ces rachats par effet de levier peuvent réussir à déjouer des offres hostiles en augmentant la valeur des actions (si tout va bien) et en ajoutant une grande partie de la dette indésirable au bilan de l’entreprise.
Comment observer la thématique?
Il y a plusieurs façons de suivre la thématique. La première est de regarder les valeurs qui historiquement annoncent le plus de rachats d’actions, au nombre de celle-ci :
- Apple
- Meta
- Alphabet
- Bank of America
- Oracle
Sinon, il y a plusieurs ETF qui suivent la thématique, dont :
- DIVB US (Ishares US dividend and Buyback). Le Fonds cherche à reproduire les résultats d’investissement d’un indice composé d’actions américaines ayant un historique de paiements de dividendes et/ou de rachats d’actions.
Synthèse
Les rachats d’actions, particulièrement dans les secteurs technologiques, financiers et de la consommation, jouent un rôle central pour soutenir les cours boursiers dans un contexte marqué par des incertitudes politiques et économique. En 2024, les rachats devraient atteindre un record proche de 1 000 milliards de dollars, renforçant ainsi leur importance comme moteur de croissance des marchés financiers. Bien que ces rachats augmentent artificiellement les bénéfices par action, certaines questions subsistent, notamment sur leur impact à long terme et leur effet sur la productivité des entreprises.