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John Plassard

Préparé pour le futur

John Plassard

Expert(e) invité(e)

Dette américaine: allez plus haut!

John Plassard|Publié le 31 juillet 2024

Dette américaine: allez plus haut!

Au total, la dette américaine est passée de moins de 700G$ US en 1999 à plus de 35 000G$ US aujourd’hui. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. En lisant le titre de cette étude, vous pensez que le sujet de la dette américaine a été largement traité ces derniers temps et qu’il n’est plus d’actualité.

Cependant, si l’échéance du plafond de la dette américaine a été repoussée aux calendes grecques (entendre 2025) cela n’empêche pas cette dernière de progresser. Elle vient d’ailleurs de dépasser un nouveau seuil historique et psychologique: 35 000 000 000 000 dollars américains! Synthèse et analyse d’un niveau de dette qui ne paraît plus du tout soutenable.

Les faits

En janvier 2020, avant que la pandémie ne se propage aux États-Unis, le Congressional Budget Office prévoyait que la dette nationale brute atteindrait 30 000 milliards de dollars américains (G$ US) vers la fin de 2025.

Près d’un an et demi avant cette date butoir, la dette publique des États-Unis vient de dépasser le chiffre inimaginable de 35 000G$ US, soit 10 500 milliards de plus qu’en mars 2020 au déclenchement de la crise de la COVID-19, où elle était d’environ 24 500G$ US.

Plus impressionnante, au total, la dette américaine est passée de moins de 700G$ US en 1999 à plus de 35 000G$ US aujourd’hui.

La dette publique américaine est devenue l’une des questions politiques les plus importantes aux États-Unis ces dernières années, le débat sur la façon de la gérer provoquant des remous politiques entre les démocrates et les républicains.

Aujourd’hui la dette américaine dépasse allégrement les 100% du PIB (122%).

Les statistiques de la démesure

La dette nationale totale des États-Unis a augmenté de 1000G$ US en 7 mois, depuis le 1er janvier, pour atteindre 35 000G$ US, selon les chiffres publiés par le département du Trésor.

Depuis le début de l’année 2016, la dette totale a augmenté de 16 000G$ US, soit 84%!

Pour mettre les chiffres de la dette américaine en perspective, 35 000G$ US, c’est plus que la taille combinée des économies de: la Chine, Japon, Allemagne et Inde.

 Si chaque américain déboursait aujourd’hui 1200 dollars américains par mois pour rembourser la dette du pays, il faudrait attendre plus de 18 ans avant qu’elle ne soit remboursée.

Enfin, comment ne pas rappeler que dans moins de dix ans, le gouvernement fédéral dépensera autant en remboursement de la dette que pour le budget recherche & développement, l’infrastructure et l’éducation… combinés!

La combinaison de la dette

La dette totale de 35 000G$ US se compose de deux types de titres: 27 840G$ US de titres négociables sur le marché du Trésor et détenus par des investisseurs du monde entier, et 7 160G$ US de titres non négociables détenus par les fonds de pension de l’État américain, le Social Security Trust Fund.

Revue détaillée:

• Titres négociables: Les 27 840G$ US restants sont «détenus par le public». Le public comprend les investisseurs internationaux et les banques centrales, qui détiennent un montant record de 8 100G$ US, ainsi que la Fed, qui détient 4 400G$ US après que le QT s’est débarrassé de 41% de la pile qu’il avait ajoutée au cours de son QE pandémique, les banques américaines, les fonds du marché monétaire, les fonds obligataires, les assureurs, d’autres investisseurs institutionnels et les particuliers. Les bons du Trésor représentent désormais 20,7% des titres du Trésor détenus par le public, contre 22,5% en mars. La composition des pays évolue: la Chine et quelques autres se délestent, tandis que les grands centres financiers et quelques autres pays augmentent leurs avoirs. Mais leur part dans cette dette exponentielle est passée de plus de 32% en 2015 à seulement 22% aujourd’hui.

• Titres du Trésor non négociables: Sur les 35 000G$ US de titres du Trésor en circulation, 7 160G$ US sont détenus par des entités gouvernementales, telles que les fonds de pension gouvernementaux, le fonds fiduciaire de la sécurité sociale, etc. Cette partie de la dette «détenue en interne» n’est pas négociée sur les marchés.

Les intérêts de la dette

La dette en soi n’est pas (si) importante, ce sont surtout les intérêts de la dette qu’il faut regarder. Le pourcentage des paiements d’intérêts par rapport aux recettes fiscales est la mesure cruciale qui illustre le poids de la dette. En d’autres termes, dans quelle mesure les paiements d’intérêts absorbent-ils les recettes fiscales, et que reste-t-il pour payer d’autres choses?

À la fin du deuxième trimestre, les intérêts de la dette aux États-Unis étaient de 1 089 085G$ US.

L’histoire montre que lorsque les paiements d’intérêts absorbent près de la moitié des recettes fiscales, le reste du monde devient très nerveux à l’égard de la dette américaine et le Congrès finit par s’attaquer plus sérieusement à ce problème.

À la fin de l’année, les paiements d’intérêts sur la dette nationale des États-Unis atteindront 1 140G$ US, soit 76% de l’ensemble des impôts sur le revenu perçus…

Petits rappels utiles

Tout d’abord il faut rappeler qu’un gouvernement n’est pas un ménage en ce sens qu’il n’a pas besoin de rembourser entièrement sa dette comme vous pouvez le faire avec votre hypothèque par exemple.

Par ailleurs un gouvernement a la capacité (possibilité) de taxer l’économie de son pays à sa guise pour faire évoluer (ou non) ses recettes.

Si on prend le cas des États-Unis, depuis 1947, sa dette publique a augmenté à un taux annuel moyen d’environ 6,3%. En parallèle, le PIB nominal américain a augmenté à un taux annuel d’environ… 6,3%!

En montant, la dette publique est aujourd’hui d’un peu plus de 35 000G$ USalors que le PIB était en 2023 de 27 360G$ US.

S’il est un peu erroné de comparer le montant d’une dette publique et celui d’un PIB,

on peut cependant comparer la dette en pourcentage du PIB (122%).

Notons que nous sommes aujourd’hui au-delà des chiffres de la Deuxième Guerre mondiale. Nous ne sommes bien évidemment pas dans la même situation puisque c’est plutôt la course à l’emprunt et à la dépense qui explique la progression de la dette fédérale.

Pas de chiffre magique

Si un ratio dette/PIB supérieur à 100% semble a priori insoutenable et dangereux, le Japon est l’exemple criant d’une grande économie développée où ce chiffre peut aller bien plus haut.

Le ratio dette/PIB du Japon est en effet passé de 100% à 264% (cependant les intérêts de la dette ont diminué à cause des taux d’intérêt négatifs) sans que l’on s’en soucie réellement.

Rappelons que la majeure partie de la dette japonaise est détenue par les… Japonais!

Si 30 ans de déflation, de croissance anémique et de baisse des taux au Japon ne sont pas des éléments qui doivent être jalousés, on peut cependant affirmer qu’il n’y a pas un chiffre magique de dette à partir duquel une crise massive est déclenchée.

Quand le déficit fédéral devient-il important?

Si les chiffres du déficit sont très importants, force est de constater que cela fait des décennies que les analystes ne s’en inquiètent plus du tout. La question est alors de savoir jusqu’à quel niveau cela peut se poursuivre. La réponse est (assez) simple: c’est le niveau de l’inflation qui compte et non la dette en elle-même.

Comme le rappelle le professeur Renault de l’École de commerce à Paris et Lille, théoriquement l’inflation permet de réduire le poids de la dette, mais les risques associés sont difficiles à anticiper et peuvent s’avérer dévastateurs.

Et surtout, le problème n’est absolument pas réglé. Une fois l’ensemble de la dette roulée, si le taux de croissance nominal du PIB (inflation + croissance réelle) est inférieur au taux de croissance de la dette (déficit primaire + charge d’intérêt de la dette), alors la dette en pourcentage du PIB augmentera inexorablement.

Par ailleurs, une inflation plus forte va historiquement (et logiquement) de pair avec des taux d’intérêt plus élevés. Rappelons que c’est la faiblesse des taux d’intérêt qui a donné aux gouvernements une certaine marge de manœuvre sur leurs emprunts et leurs dépenses. Cette marge de manœuvre serait alors réduite, voire annulée.

Enfin, une étude de l’OCDE montre que pour un pays avec une maturité de dette dans la moyenne, il faudrait une inflation autour de 6% pendant 10 ans pour simplement retrouver le niveau de dette d’avant crise!

Et ceci sans prendre en compte les effets négatifs d’une politique inflationniste: volatilité des taux de change, incertitude sur la capacité à instaurer une nouvelle cible d’inflation crédible, risque d’hyperinflation, coût de la désinflation dans le futur…

Peu importe le président, la dette monte!

Pendant des années, les présidents ont promis de limiter les emprunts fédéraux et de réduire le déficit budgétaire de la nation, qui est l’écart entre ce que la nation dépense et ce qu’elle reçoit.

 Au cours des 60 dernières années, presque tous les présidents américains ont enregistré un déficit budgétaire record à un moment ou à un autre. Les anciens présidents Donald Trump, Barack Obama et George W. Bush ont enregistré les déficits budgétaires les plus importants de l’histoire des États-Unis.

La dette nationale américaine a continué à augmenter au fil des ans avec chaque président, au gré des événements nationaux et mondiaux qui ont affecté la dette, et au fur et à mesure que le budget de chaque président reflétait les priorités de l’administration pour le pays.

Il est important de noter qu’un président n’a pas beaucoup d’influence sur la dette nationale au cours de sa première année de mandat. L’influence présidentielle sur le budget et la dette nationale ne commence qu’après la fin de l’année fiscale fédérale, le 30 septembre, au cours de la première année de mandat du nouveau président.

Tout au long de l’histoire, la réponse du président à des événements majeurs a généralement créé des déficits budgétaires massifs, ajoutant des montants substantiels à la dette nationale américaine. La réponse aux attaques terroristes du 11 septembre et les mesures prises par le gouvernement lors de la pandémie du COVID-19 en sont deux exemples.

Synthèse

À la question: la dette des États-Unis est-elle tenable? Il faut répondre oui. En effet, d’autres pays réputés comme étant «sains» sont nettement plus endettés et «s’en sortent bien». On songe notamment à la dette nationale du Japon qui s’élève à plus de 260% du PIB. Ce qu’il sera cependant très important de suivre et qui va de plus en plus faire l’objet de débats, ce sont les charges d’intérêt de la dette, puisqu’ils dépassent aujourd’hui allégrement les… 1 000G$ US et pourraient «bientôt» dépassés la somme collectée pour les impôts sur les revenus!