(Photo: Adobe Stock)
Un texte de Jules Faulkner Leroux
COURRIER DES LECTEURS. Jeudi dernier, j’ai reçu une petite boîte contenant les exemplaires de mon premier livre, un recueil de nouvelles à paraître début novembre. Je ne vous dis pas le titre, je ne veux pas être taxé d’opportuniste.
J’étais si excité que je suis allé en porter quelques exemplaires. Entre autres, j’ai apporté une copie à quelqu’un qui se retrouve à mi-chemin entre une connaissance et une amie – mais disons une amie, pour faire court. Je la connais pour lui avoir servi quelques cafés, dans mon ancienne vie.
Sur son perron, nous avons échangé du temps qui avait passé et, avant de nous laisser, elle m’a dit en tenant mon livre entre ses mains: «Eh bien! C’est sans doute une de tes 22 vies qui commence!» Je lui ai répondu que je ne savais pas si c’était l’une de mes 22 vies, mais que cela représentait sans doute une des 22 cases que j’avais eu envie de cocher dans cette vie-ci.
Journée mondiale de la santé mentale
Plus tard en cette même fin de journée mondiale de la santé mentale, alors que j’étais en route vers la maison après ma journée de livraisons à la poste, j’ai entendu une voix remplie d’émotions. C’était celle de Nicolas Duvernois, chef d’entreprises et Dragon à l’émission éponyme. Il annonçait publiquement son intention de se retirer de la direction de ses entreprises, de prendre une pause.
En écoutant le clip à la radio, j’ai tout de suite saisi ce qui faisait trembler la voix de Nicolas. Dans une ancienne vie, j’ai aussi été dirigeant d’une PME. C’est durant cette période que je l’ai croisé, à quelques reprises. Nous avions, à l’époque, tous les deux une entreprise florissante dans notre domaine respectif et on se croisait parfois dans des événements caritatifs.
Il y a bientôt quatre ans que j’ai vendu mon entreprise. J’avais la conviction profonde que j’étais allé au bout de cette aventure. Cela faisait presque 15 ans qu’à tous les jours, je prenais toutes les décisions, la moindre des décisions, concernant cette petite entreprise. Mon sac à décisions était rendu complètement vide, à sec. Aussi, je caressais d’autres rêves que je n’arrivais pas à réaliser, déjà assommé par une dose colossale de travail.
Un de ces rêves est sorti de cette boîte que j’ai reçue jeudi dernier. Il a fallu que je me donne un peu de temps, du temps pour penser, du temps pour créer, pour pouvoir le réaliser.
Quatre ans plus tard, les gens me demandent parfois si je m’ennuie de diriger une petite entreprise. Jusqu’à maintenant, ma réponse est sans équivoque: non. Je n’ai toujours pas l’envie de prendre des décisions et c’est en partie pour ça que j’adore le métier que je fais aujourd’hui. Ce métier me laisse le temps d’avoir du temps pour continuer à réaliser d’autres de mes vies.
Lorsque j’ai quitté le perron de mon amie, j’ai ressassé dans ma tête cette phrase qu’elle avait dite au sujet de mes 22 vies et je me suis dit qu’elle avait raison: ce n’est pas vrai qu’on a juste une vie. Mais encore faut-il avoir le courage de prendre acte pour pouvoir vivre toutes celles dont on a envie.
Macaroni au fromage
Nicolas, je te félicite pour le temps que tu te donnes. Avec ce texte, je souhaite toutefois pousser le chemin des possibilités vers d’autres avenues qu’un retour (à la case départ). Oui, tout le monde aime le macaroni au fromage. Mais en manger matin, midi et soir pendant quinze ans peut finir par écœurer. Personne ne t’en voudra si tu finis par vouloir goûter à autre chose.
Cher Nicolas, j’ai hâte de te recroiser dans ta prochaine vie.
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Ah. Et une dernière chose.
Il faut absolument enlever cette étiquette de «dragon», qu’on colle aux entrepreneurs. Les entrepreneurs, comme les autres humains, sont des gens créatifs, sensibles, vaillants et, avant tout, passionnés. Il faut savoir les distinguer des hommes et des femmes d’affaires.
En somme, ils n’ont rien à voir avec les dragons. S’il faut leur attribuer un animal, ils ont sans doute beaucoup plus à voir avec les pieuvres: trois cœur sur les mains et encore cinq autres bras pour toucher à tout.