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EXPERT INVITÉ. Suis-je le seul à être un peu épuisé de ce monde de Calinours dans lequel semblent se complaire énormément de gens dans l’écosystème start-up au Québec? C’est simple: j’ai l’impression que dès qu’on est un peu plus direct, ou qu’on dit simplement la vérité, on nous fait rapidement comprendre que ce n’est pas souhaité. Pire encore, plusieurs personnes viennent me dire «merci de dire ce qu’on pense tout bas» et lorsque je leur demande pourquoi ils le pensent tout bas, ils répondent «tu sais, ça pourrait me nuire».
Par exemple, lors de ma participation comme conférencier lors de Startupfest, j’ai répondu à la question «comment le gouvernement pourrait mieux aider les start-ups à exporter?» qu’il était peut-être temps qu’il arrête de nous faire ***** avec 200 pages de papiers pour une subvention de 15 000$ et que selon moi, leur gros kiosque «Québec» en plein milieu d’un salon comme Collision à Toronto n’était vraiment pas une bonne idée. Résultat: «Ouais Dominic, tu as brassé la cage». Hum, personnellement, je me suis trouvé plutôt doux!
Ou encore, il y a quelques mois, un incubateur-accélérateur me demande si je pouvais intervenir à titre de mentor dans le programme. Je leur demande de m’expliquer un peu plus leur attente qui vise, en gros, à devenir un «cheerleader» des start-ups avec un chapeau de licorne sur la tête. Lorsque j’affirme qu’il est surtout nécessaire d’être direct et franc, on me dit «tu sais Dominic, notre rôle c’est de les encourager à persévérer». C’est peut-être cette persévérance à outrance qui fait que plusieurs start-ups déclarent faillite en ce moment, laissant les fondateurs sans rien plutôt que de cesser au bon moment.
Finalement, une entrepreneure en résidence d’un accélérateur m’a même dit que d’écrire un livre sur la santé mentale des entrepreneurs n’était pas une bonne idée: cela pourrait décourager certains, et que c’était déjà assez difficile de créer de nouveaux entrepreneurs. Eh oui, gardons tout le monde dans le déni!
L’importance de l’honnêteté
Lors de Startupfest, j’avais aussi invité les gens qui voulaient échanger à m’écrire pour se rencontrer. Un jeune entrepreneur m’a demandé si j’avais une heure pour lui donner mon avis sur son projet d’affaires et lui prodiguer des conseils: j’ai accepté avec plaisir.
Après environ une heure d’échange, où je fus comme toujours assez direct, celui-ci me lança: «Merci Dominic pour toute cette discussion, mais sans vouloir t’offenser, je dois t’avouer que tu es vraiment « méchant », surtout comparé à toutes les autres personnes qui m’ont donné des conseils sur ma start-up.»
Bien que je sois sûr qu’il pensait dire quelque chose de négatif, j’étais pour ma part ravi de sa critique.
Pour moi, c’était surtout un compliment.
«Merci! ai-je répondu. Être méchant n’est pas aussi facile que ça en a l’air.»
«Être méchant n’est pas facile?» a demandé le fondateur, confus par ma réponse.
«Pas du tout, ai-je répliqué. J’ai passé des années à apprendre comment m’améliorer dans ce domaine.»
«Pourquoi quelqu’un voudrait-il apprendre à être plus méchant avec les gens?» s’est-il demandé.
«Je ne veux pas être méchant avec les fondateurs quand je donne des retours sur les start-ups, ai-je expliqué. Je suis honnête parce que les fondateurs ont besoin que plus de gens soient honnêtes avec eux. C’est la seule façon pour eux de réussir.»
Le manque de rétroactions honnêtes
Avant que quelqu’un ne commence à penser que je passe mes week-ends à maltraiter des chiots et à noyer des chatons, je veux être clair: je n’apprécie pas vraiment (ni ne pratique) la méchanceté. Le mot juste serait certainement «honnête». Lorsque je rencontre des fondateurs de start-ups, je suis beaucoup plus honnête que la plupart des gens. Malheureusement, cette honnêteté est souvent perçue comme de la méchanceté parce que tout le monde ment habituellement en donnant des rétroactions aux entrepreneurs.
Pourquoi suis-je si honnête? Simplement, car je pense que j’aurais sauvé bien du temps si les gens l’avaient été avec moi dans le passé et que je respecte profondément les entrepreneurs devant moi. Combien de fois ai-je vu des entrepreneurs convaincus qu’ils étaient sur le point de réussir à lever des fonds ou que leur idée était géniale et qu’ils me disaient: «Dominic, tout le monde que je rencontre me dit que c’est « génial » et qu’ils adorent ce que je construis». Et quelques semaines après, ils me disaient que la majorité des investisseurs ultra enthousiastes ne leur répondaient plus et qu’ils étaient incapables d’obtenir des ventes.
Ce que j’ai mis aussi trop longtemps à réaliser, c‘est qu’aucune des personnes que je rencontrais n’aimait réellement ce que je construisais. Ils étaient juste gentils et me disaient ce qu’ils pensaient que je voulais entendre. Mais j’aurais souhaité qu’ils ne le fassent pas. Leur gentillesse m’a coûté des années de ma vie et plusieurs personnes dans l’écosystème continuent de faire exactement cela.
Aujourd’hui, j’en suis conscient parce que, grâce à deux décennies d’expérience, je réalise très bien que mes idées d’alors étaient utopiques et ne tenaient pas la route. Pourtant, les entrepreneurs et les investisseurs expérimentés avec qui j’ai passé des heures à parler avaient certainement vu des défauts dans ce que je présentais, mais personne ne me le disait.
Le défi d’être honnête
Être honnête (ou méchant comme diront certains), c’est beaucoup plus difficile. Par exemple, imaginez que vous êtes un capital-risqueur depuis quelques décennies, que vous avez rencontré plus de 10 000 entrepreneurs, et que vous venez de passer 30 minutes d’une réunion d’une heure à écouter un autre entrepreneur vous présenter sa start-up.
Grâce à toute votre expérience, vous saviez dès les cinq premières minutes de la réunion pourquoi l’entreprise n’était pas un bon investissement.
À ce moment-là, vous avez deux options :
Option 1: Dites à l’entrepreneur que sa start-up n’est pas une bonne idée et passez le reste de la réunion à devoir défendre votre position face à un fondateur qui se sent insulté parce que vous n’avez pas aimé son idée.
Option 2: Soyez gentil avec l’entrepreneur, posez-lui des questions polies et discutez du potentiel de son projet jusqu’à la fin de la réunion sans jamais lui dire que vous n’avez aucun intérêt.
Bien sûr, vous allez choisir l’option 2! Qui ne le ferait pas? L’option 2 est beaucoup plus facile et moins conflictuelle. De plus, expliquer pourquoi quelque chose n’est pas bon en se basant sur vos décennies d’expérience va être difficile à faire en peu de temps.
Le résultat de cette préférence pour éviter la confrontation est exactement ce qu’on vit en ce moment. C’est un monde où les fondateurs passent des heures chaque semaine à présenter leurs start-ups, mais ils reçoivent très peu de retours sincères qui peuvent réellement les aider à devenir des entrepreneurs plus solides. C’est un monde dans lequel on dit vouloir «aider les entrepreneurs», mais on consacre plus d’énergie à se faire des amis qu’à vraiment aider!
Personnellement, je refuse de jouer le même jeu. J’ai perdu trop d’années de ma vie à croire que je construisais les start-ups les plus incroyables du monde parce que les gens à qui je faisais mes présentations ne voulaient pas me décourager et je ne veux pas faire cela à d’autres entrepreneurs. Oui, je réalise que cela peut me faire paraître méchant, mais, comme je l’ai écrit au début, je prends cela comme un compliment.
J’encouragerai également tous ceux qui lisent cet article à envisager d’adopter une approche similaire. Rappelez-vous que des rétroactions sincères et critiques obligent les entrepreneurs à confronter des défauts potentiels et à envisager des réglages essentiels qui pourraient faire la différence entre l’échec et le succès. Oui, cela peut sembler méchant, mais c’est en fait un élément fondamental d’un mentorat efficace. Des retours honnêtes et critiques poussent les entrepreneurs au-delà du confort et leur amèneront la rigueur nécessaire pour avoir du succès.
P.S.: N’hésitez pas à être méchant avec moi sur ce blogue – ça m’aidera, j’en suis certain!