Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires
Denis Lalonde

Gestionnaires en action

Denis Lalonde

Analyse de la rédaction

Moteurs Taiga : pas de place pour l’amateurisme en Bourse

Denis Lalonde|Édition de la mi‑novembre 2024

Moteurs Taiga : pas de place pour l’amateurisme en Bourse

(Photo: courtoisie)

Il faut apprendre à valoriser l’échec en affaires. C’est du moins ce que disent de nombreux textes d’experts de l’entrepreneuriat publiés chaque année dans le monde entier. Selon ces textes, les entrepreneurs qui échouent ont au moins eu le mérite d’essayer de changer les choses et d’innover même si leur idée n’a pas donné les résultats escomptés.

On a toutefois l’impression que, parfois, les entrepreneurs qui échouent sont responsables de leur propre malheur. Leur échec donne l’impression d’être le résultat d’une multiplication d’erreurs dignes du passage du détaillant Target au Canada de 2013 à 2015.

Ce qui m’amène à vous parler du fabricant de motoneiges et de motomarines électriques Moteurs Taiga, vendu il y a quelques semaines à l’entrepreneur britannique Stewart Wilkinson pour un montant qui n’a pas été révélé. L’entreprise s’est protégée de ses créanciers en juillet avec des créances qui frôlaient les 100 millions de dollars.

Rappelons que l’hiver dernier, le 19 février pour être précis, Taiga avait supprimé 8 % de ses effectifs, soit 31 postes, pour réduire ses coûts.

La société n’avait alors pas jugé bon de publier un communiqué pour diffuser la nouvelle, mais Radio-Canada et La Presse canadienne avaient obtenu un mémo interne étayant l’étendue des pertes d’emplois.

Une entreprise cotée en Bourse qui aurait eu l’intérêt de ses actionnaires à cœur aurait sans doute fait preuve de plus de transparence afin de leur éviter d’apprendre la nouvelle par les médias. Pas Taiga.

Le 11 mars, au moment d’annoncer l’obtention d’une facilité de crédit supplémentaire d’un maximum de 5,25 millions de dollars (M $) auprès d’Exportation et développement Canada, Taiga se targuait d’avoir produit 417 véhicules (243 motomarines et 174 motoneiges) durant le quatrième trimestre de son exercice 2023. Pour l’ensemble de l’exercice, ce total a atteint 1056 véhicules, beaucoup plus que les 133 fabriqués en 2022.

À ce moment, le président et chef de la direction de Taiga, Samuel Bruneau, avait déclaré à mon collègue Simon Lord que malgré les coupes, il entrevoyait pour l’entreprise « une année de franchissement de jalons, et ce, en dépit du contexte économique ».

L’entreprise et son PDG ont toutefois omis de révéler, à ce moment, que Taiga avait livré seulement 119 motomarines et 123 motoneiges durant le quatrième trimestre, pour un total de 242 véhicules.

La résultante de tout cela est qu’au 31 décembre, la valeur des véhicules en stock de l’entreprise avait augmenté à 33,2 M $, elle qui était de 20,8 M $ un an auparavant. Début avril, la production a été mise sur pause, provoquant le départ de 70 autres employés.

En mai, moins de deux mois avant de se protéger de ses créanciers, Taiga a révélé qu’avant de cesser la production, elle avait fabriqué 329 motoneiges de plus durant le premier trimestre, au cours duquel elle a vendu 129 motomarines et… 78 motoneiges.

Le communiqué accompagnant le dévoilement des résultats financiers n’a pas touché mot de l’évolution de la valeur de ses stocks. Un autre bel exemple de transparence.

Taiga était en train de s’enliser dans un bourbier dont elle vient à peine de se sortir après avoir provoqué, au passage, une importante destruction de capital.

Ce qui frappe dans tout ça, c’est la désinvolture avec laquelle la direction de Taiga a navigué dans la tempête jusqu’à devoir recourir à la protection des tribunaux.

Déjà, le 11 mars, à trois semaines de la fin du premier trimestre, il est impossible que la direction n’ait pas été au courant que Taiga avait vendu à peine un peu plus de la moitié de sa production du quatrième trimestre et qu’elle avait continué de se creuser un trou durant les trois premiers mois de l’année en fabriquant quatre fois trop de motoneiges (sans compter les modèles qui étaient déjà en stock) pour la demande.

À ce moment, l’analyste Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale (qui a depuis évidemment abandonné la couverture du titre), émettait des doutes sur la capacité de l’entreprise à se sortir du bourbier sans l’aide des tribunaux.

De deux choses l’une : soit la direction de Taiga a réalisé trop tard qu’elle se dirigeait droit dans le mur, soit elle savait et a fait comme si de rien n’était. Comme on l’a vu ces derniers mois, en Bourse, autant d’amateurisme pardonne rarement.

Pour revenir au nouvel acquéreur, Stewart Wilkinson est derrière des marques de bateaux électriques de marques Vita et Evoy, et le réseau de bornes de recharge Aqua superPower. Dans le communiqué détaillant la transaction, l’acquéreur affirme que l’acquisition « permettra à Taiga de bénéficier d’importantes économies d’échelle, de technologies et d’une nouvelle empreinte mondiale qui favoriseront l’adoption des véhicules électriques hors route, garantissant ainsi un avenir durable pour les activités récréatives et commerciales dans les secteurs des sports motorisés et marins ».

Espérons que le nouveau propriétaire saura donner un second souffle à Taiga et, surtout, inculquer quelques notions de saine gouvernance aux dirigeants qui conserveront leurs fonctions.

En effet, si la relance devait être couronnée de succès, certains échecs sont plus difficiles à « valoriser » que d’autres. Il reste le pincement au cœur de penser que pour les actionnaires qui ont vu la valeur de leurs actions réduites à néant, il ne reste que la déduction pour perte en capital.