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Philippe Leblanc

Entre les lignes

Philippe Leblanc

Expert(e) invité(e)

Northvolt et la magnitude de la rectitude

Philippe Leblanc|Édition de la mi‑septembre 2024

Northvolt et la magnitude de la rectitude

(Photo: Marcus Brandt / DPA / AFP)

EXPERT INVITÉ. Récemment, dans le dossier Northvolt, M. François Legault a déclaré «Ce qui compte, c’est la moyenne au bâton».

Il est trop tôt pour affirmer que l’investissement de Northvolt est un échec — seul le temps nous le dira.

Je me permets toutefois de contredire le Premier ministre du Québec. Ce qui compte réellement, ce n’est pas la moyenne au bâton, mais bien la «magnitude de la rectitude».

Dans mon livre Avantage Bourse, j’ai écrit «Ce n’est pas la fréquence des succès qui compte en investissement, mais la fréquence combinée à la magnitude du gain que vous obtenez avec un investissement.»

À titre d’exemple, je compare les trois scénarios suivants. Dans chacun des scénarios, un montant identique aurait été investi dans chaque titre (portefeuille équipondéré).

Si l’on se fie simplement à la «moyenne au bâton» de M. Legault, le scénario 3 serait celui qui connaît le plus de succès, avec un taux de réussite de 75%.

Cependant, lorsqu’on considère les rendements obtenus par chaque titre, le scénario 2 affiche le meilleur rendement avec 12,8% par rapport à 6,8% pour le scénario 1 et -3,5% pour le scénario 3.

La réalité est encore plus différente si l’on prend en compte la taille de chaque investissement, qui peut varier considérablement. En effet, peu importe la moyenne au bâton si l’on se trompe sur les investissements les plus substantiels ou significatifs de son portefeuille.

Je me permets ici une analogie tennistique. En fin de semaine, Félix Auger-Aliassime, meilleur joueur canadien au classement ATP, a perdu un match crève-cœur en première ronde de l’Omnium de tennis du Japon, s’étant incliné contre le Japonais Yoshihito Nishioka, 7-6, 3-6, 7-6. Toutefois, même s’il a perdu le match, Félix a remporté 119 points contre 117 pour son adversaire. Cela démontre bien que tous les points n’ont pas la même valeur : quelques points névralgiques peuvent faire la différence entre une victoire et une défaite. D’après ce que j’ai pu colliger, le Gouvernement du Québec aurait investi à ce jour près de 2,0 G$ de ses propres fonds dans la filière batterie. Cette somme comprend plusieurs investissements distincts, la plupart étant relativement petits — par exemple, environ 100 M$ dans Lion Électrique ou 80 M$ dans Lithion Technologies. En revanche,

l’investissement dans Northvolt de la part du gouvernement du Québec s’élève déjà à près de 710 M$ (240 M$ en prêt remboursable pour l’achat du terrain à Saint-Basile, 270 M$ en débenture convertible et 200 M$ investis par la Caisse de dépôt en dette convertible). Cependant, son investissement total potentiel pourrait atteindre 1,37 G$ lorsqu’on tient compte de son engagement à subventionner la production de batteries de Northvolt.

Je n’ose avancer un pourcentage de la filière batterie qui a été et qui serait potentiellement investi dans Northvolt par le gouvernement du Québec. Cependant, je ne crois pas me tromper en affirmant qu’il s’agit d’une proportion substantielle du portefeuille de la «filière batterie».

Lorsqu’on investit un tel pourcentage d’un portefeuille dans un seul projet, il devient crucial de ne pas se tromper.

De toute évidence, le gouvernement du Québec a misé très gros sur Northvolt. Dans une telle situation, ce n’est pas la «moyenne au bâton» qui importe, mais bien la «magnitude de la rectitude».