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Philippe Labrecque

Politique et philosophie en entreprise

Philippe Labrecque

Expert(e) invité(e)

Populisme: cause ou conséquence de l’essoufflement de la démocratie?

Philippe Labrecque|Publié à 16h26

Populisme: cause ou conséquence de l’essoufflement de la démocratie?

Ceux qui brandissent le spectre du populisme commettent peut-être une erreur fondamentale en inversant la cause et la conséquence. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Donald Trump est, pour une seconde fois, aux portes de la Maison-Blanche et plusieurs craignent la vague de populisme qui déferle sur l’Occident.

On peut aussi penser à la montée de Pierre Poilievre au Canada, le vote en faveur du Brexit au Royaume-Uni, l’ascension du Rassemblement national (RN) en France, la prise du pouvoir par Giorgia Meloni en Italie et les succès électoraux d’Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne, pour ne nommer que ceux-ci, qui semblent confirmer cette dynamique sociopolitique de fond.

Cela dit, ceux qui brandissent le spectre du populisme commettent peut-être une erreur fondamentale en inversant la cause et la conséquence.

C’est-à-dire croire que le populisme est la cause du déclin de la démocratie, quand c’est plutôt l’inverse, soit l’érosion et l’affaissement des institutions, normes et structures démocratiques qui mènent au populisme.

Certaines de ces causes de l’essoufflement de nos démocraties méritent d’être examinées.

Croissance démesurée de l’État

Un phénomène marque les démocraties occidentales depuis la période de l’après-guerre, celui de la croissance constante de l’État dans presque tous les domaines, s’immisçant exagérément dans la société civile, le commerce et l’économie.

Les conséquences négatives de cette implication tentaculaire sont nombreuses.

Parmi celles-ci, on compte:

  • La bureaucratisation excessive, étouffante et paralysante ;
  • La dépendance économique envers l’État (subventions, programmes sociaux, salaires des fonctionnaires, etc.);
  • L’influence disproportionnée de la fonction publique;
  • L’incapacité à résoudre les problèmes les plus simples sans engendrer des dépenses disproportionnelles quand l’État ne crée pas lui-même les problèmes qu’il tente de régler;
  • Le déclin qualitatif graduel des grands programmes comme la santé et l’éducation, alors que les budgets de ceux-ci explosent;
  • Les baisses d’imposition devenues à peu près inimaginables tant l’État requiert une quantité de ressources infinie et, finalement, une croissance économique en grande partie dépendante de l’endettement public, notamment.

Ces maux mènent le citoyen à croire, à tort ou à raison, que l’État et ses élus sont d’une inefficacité incommensurable, minant toute confiance en ceux-ci.

Par conséquent, la solution de «l’homme du peuple» qui fait appel aux masses en promettant des réformes basées sur le «bon sens» devient tentante pour un électorat ayant perdu espoir d’un redressement quelconque.

Le vice de l’endettement

Avec l’avènement de l’État-providence, les démocraties occidentales en sont venues à croire qu’elles pouvaient assurer une sorte de progrès socioéconomique permanent en s’ingérant dans toutes les facettes de nos vies par l’entremise de son pouvoir technocratique et bureaucratique.

Le rôle que nos démocraties se sont attribué, à notre demande, soyons francs, est aujourd’hui presque illimité. Et qui dit rôle et demandes illimitées, dit aussi dépenses illimitées.

La conséquence est aussi évidente qu’inéluctable: un endettement structurel impossible à rembourser.

La preuve est qu’un regard à la situation fiscale des démocraties occidentales révèle la gravité de la situation, tellement l’endettement croît rapidement, s’ajoutant à une dette existante massive.

Tôt ou tard, les démocraties endettées devront faire face à leurs créanciers, probablement au détriment de leurs citoyens.

Les difficultés fiscales majeures qu’éprouve la France en ce moment, la 2e puissance économique de l’Union européenne, font peut-être gage d’avertissement d’un problème structurel profond au sein de nos démocraties.

Mentionnons aussi qu’aux États-Unis, le coût des intérêts sur la dette américaine a récemment dépassé le budget total du département de la défense.

Cette situation est sans équivalent dans l’histoire de la superpuissance économique.

Les conséquences de cet endettement excessif seront hors du contrôle démocratique, que ce soit par la dévaluation de la monnaie ou bien par une période d’austérité, comme celle que les Grecs se sont fait imposer par leurs créanciers après la crise de la dette publique en 2008.

Un État surendetté en est un qui doit dédier une portion croissante de ses revenus à payer les intérêts et la dette elle-même au lieu de financer différents programmes importants.

Une situation qui mine aussi la stabilité même de sa monnaie.

En d’autres mots, au-delà d’un certain seuil, plus l’endettement public est élevé, moins les démocraties peuvent agir librement.

La démocratie détournée

Qui n’a pas l’impression que la démocratie ne sert principalement que les intérêts d’une élite restreinte et que le processus électoral et démocratique n’est réellement qu’un spectacle qui offre toujours la même scène finale?

La démocratie est complexe, mais elle peut s’expliquer en grande partie par la confrontation parfois subtile entre l’élite économico-politique et les citoyens.

Quand cette élite, grâce à son influence importante et son organisation supérieure, peut détourner l’appareil et le processus démocratique à son avantage, les citoyens assimilent l’idée que la démocratie n’est plus représentative, mais le reflet d’un pouvoir oligarchique.

La force du populisme est proportionnelle à l’emprise de l’élite sur la démocratie.

Plus les citoyens en viennent à perdre confiance en la représentativité démocratique au profit d’un groupe minoritaire puissant, plus le populisme peut puiser dans la grogne qui en résulte chez les citoyens.

Plus la démocratie semble être soumise à une certaine élite, plus les masses, les citoyens et le «peuple» en viennent à la conclusion qu’il faut un «homme fort» pour redresser la situation.

Démocratie ou autoritarisme «soft»?

Par exaspération ou simplement par indifférence, une logique utilitaire et technocratique, voire une certaine apathie, semble s’être installée dans l’esprit des citoyens.

Cette logique se résume approximativement de la façon suivante.

Tant que l’individu peut préserver un minimum de libertés personnelles et qu’il peut maximiser sa condition économique au sein d’un État efficace dans son rôle de gestionnaire des politiques publiques, que ceci se fasse au sein d’une démocratie ou bien d’un autoritarisme «soft», quelle différence cela fait-il?

En d’autres mots, aujourd’hui, le consommateur qu’est devenu le citoyen contemporain préfère peut-être (secrètement) la sécurité et la stabilité d’une gestion technocratique et paternaliste qui assurent sa prospérité et l’ordre, sans les méandres et déceptions d’une démocratie devenue impuissante.

De plus, l’attrait croissant de nos élites économiques et politiques pour des régimes monarchiques et autoritaires tout en étant prospères

 — à l’instar des Émirats arabes unis (Dubaï), le Qatar (Doha), Singapour, même l’Arabie Saoudite et surtout la Chine — démontre une même tentation d’un autoritarisme technocratique soft de celles-ci.

La démocratie de façade

La crainte n’est pas réellement l’avènement d’un régime autoritaire ou d’une dictature formelle en Occident, mais plutôt que la démocratie sombre dans l’impuissance, l’inutilité et qu’elle devienne inconséquente.

La menace envers la démocratie n’est donc peut-être pas celle d’un soi-disant populisme qu’incarnerait Donald Trump, par exemple.

La menace est plutôt que les élites comme les citoyens aient déjà conclu que la démocratie est aujourd’hui incapable de résoudre les problèmes auxquelles elle fait face, en plus de ne plus pouvoir assurer une représentativité réelle.

Sans sombrer dans une forme d’autoritarisme à l’image de la période précédant la Deuxième Guerre mondiale, la démocratie risque plutôt de se transformer en système qui n’aura que des apparences démocratiques, alors que concrètement celui-ci répondra à des intérêts spécifiques autres que ceux du demos, du «peuple».

En espérant que nous ne sommes pas déjà à cette étape.