Pourquoi démissionne-t-on de la transition énergétique?
Pierre-Olivier Pineau|Mis à jour le 05 septembre 2024Pierre Fitzgibbon (Photo: Simon Prelle)
EXPERT INVITÉ. Avec la démission de Pierre Fitzgibbon, la transition énergétique se trouve un peu orpheline dans le gouvernement de François Legault. Il y a toujours eu ce désir à Québec de séparer la lutte aux changements climatiques du secteur de l’énergie, en ne réunissant jamais les deux dans un même ministère.
Or, ces sphères d’activité sont extrêmement liées. Le Royaume-Uni a ainsi un Department for Energy Security & Net Zero. La France possède une Direction générale de l’énergie et du climat (au sein du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires). L’Australie, un autre pays de ressources naturelles comme le Canada, a un Department of Climate Change, Energy, the Environment and Water.
Énergie, économie et transition
Une raison expliquant cette séparation entre climat et énergie au Québec réside dans le fait que l’énergie est encore perçue comme un levier de développement économique.
On oublie cependant que c’est avant tout un secteur à transformer pour atteindre la carboneutralité.
Pourtant, Pierre Fitzgibbon arrivait jusqu’à un certain point à concilier les deux: il voulait développer l’économie du Québec en s’appuyant sur ses ressources énergétiques, mais sans perdre de vue les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
C’était d’ailleurs la motivation derrière la migration de l’énergie au ministère de l’Économie et de l’innovation, en octobre 2022. L’objectif semblait être de faciliter le développement industriel, notamment en allouant des blocs d’énergie électrique de manière stratégique.
Le projet de loi 69 visant à réformer le secteur de l’électricité au Québec est une autre manifestation de la conviction de Pierre Fiztgibbon que la transition énergétique doit être réalisée.
Devant le constat qu’il a fait que les institutions doivent évoluer pour transformer le secteur, le projet de loi 69 accorde plus de pouvoir à la Régie de l’énergie et à Hydro-Québec, tout en demandant au gouvernement de faire un plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE).
Ce PGIRE doit permettre de coordonner la mutation du secteur énergétique pour atteindre la carboneutralité.
Constats trop délicats à faire
En se penchant sur les questions énergétiques, avec son regard affuté d’homme d’affaires, Pierre Fizgibbon a cependant réalisé que plusieurs choses clochaient : le prix de l’électricité, le niveau de taxe des carburants, la taille du parc de véhicules au Québec.
Autant de sujets qui sont centraux à la transition énergétique.
Mais ce sont aussi des sujets hautement sensibles pour les politiciens. Or pour certaines personnes, notamment celles qui sont sensibles à la réalité des faits, il est difficile de cacher des constats évidents, pour des fins politiques.
Le manque de motivation invoqué par Pierre Fitzgibbon pour justifier sa démission pourrait fort bien venir de sa lassitude de devoir trop souvent revenir sur ses déclarations jugées contraires à l’orientation gouvernementale.
Il est en effet difficile de rester cohérents avec les dossiers que l’on doit gérer si par ailleurs il faut régulièrement travestir la vérité pour respecter la ligne de parti.
La démission de Pierre Fitzgibbon est préoccupante pour la transition énergétique parce que c’est celle d’une personne qui voulait changer les choses.
Du courage pour faire les réformes
Qui d’autre au gouvernement saura faire les constats et aura une volonté de faire des réformes?
Les temps d’apprentissage peuvent être longs, et nous ne sommes pas en avance dans cette transition énergétique. Les ventes de carburants ne se sont ainsi presque jamais portées aussi bien, malgré des prix historiquement élevés.
Il sera nécessaire de trouver une personne qui aura une vision forte pour rassembler les Québécois autour de ce grand projet.
Pierre Fizgibbon n’arrivait pas toujours à susciter des consensus, mais il portait en lui le changement.
La nouvelle personne qui aura sa tâche devra viser les deux (la transition et l’énergie), ou alors ce sera tout le Québec qui démissionnera de la transition énergétique.