Pourquoi des dizaines de millions d’Américains votent pour Donald Trump
Tom Creary|Mis à jour le 08 octobre 2024Le monde MAGA (Make America Great Again) se sent abandonné, mis de côté, marginalisé, méprisé par les élites politiques. Les appuis à Trump ont explosé lorsqu’il a proposé une alternative à cette élite. (Photo: Adobe Stock)
EXPERT INVITÉ. Depuis que j’ai accepté de rédiger cette chronique en prévision de l’élection présidentielle américaine, j’ai analysé de nombreux articles et des points de vue exprimés par des experts sur le sujet des raisons de l’appui à Donald Trump. Je complète ici les opinions les plus pertinentes avec mes propres observations.
La plupart des Canadiens, et certainement les Québécois, se demandent comment Donald Trump pourrait remporter une deuxième fois la présidence des États-Unis. Pourquoi près de 45% des Américains continuent-ils à appuyer celui qui a récité pendant des années tant de mensonges, sans parler de vénalité et d’hypocrisie?
Comment pourraient-ils appuyer quelqu’un qui a clairement indiqué que lors d’un second mandat…
… Il saperait l’administration de la justice
… Il gracierait les personnes qui ont tenté d’annuler le résultat de la présidentielle de novembre 2020, en attaquant le Capitole en janvier 2021.
… Il faciliterait la vie aux ennemis des États-Unis, comme la Russie de Vladimir Poutine.
… Il affaiblirait les alliances des États-Unis.
… Il exacerberait les divisions raciales et culturelles dans la société américaine?
Il y a des raisons à cela.
Je vais essayer de vous en présenter quelques-unes.
Première raison: le déni de la vérité
Il y a le déni généralisé de la vérité dans une grande partie de la population américaine. Ce qu’un expert a décrit comme «une circonscription orientée vers les conspirations et peu soucieuse de la vérité».
Ce phénomène a commencé il y a une vingtaine d’années et Trump l’a dynamisé et en a tiré profit. Il propose des réalités alternatives – sur l’économie, l’incidence des crimes, l’immigration, etc. – et son public y croit fermement.
C’est difficile à croire et certains médias sont largement complices.
Deuxième raison: l’hostilité envers la politique
Il y a une antipathie extrême envers le système politique,qui s’est traduite dans un «need for chaos» — un besoin de chaos.
Le monde MAGA (Make America Great Again) se sent abandonné, mis de côté, marginalisé, méprisé par les élites politiques. Les appuis à Trump ont explosé lorsqu’il a proposé une alternative à cette élite.
Ce phénomène a vu le jour en 2015, lorsqu’il a annoncé sa candidature la première fois, et il s’est accéléré depuis. Les sentiments de perte de statut et de marginalisation sont relativement forts dans la population des hommes blancs — de tous les âges d’ailleurs, qui n’ont pas de diplômes universitaires.
Si cette partie de l’électorat estime que ses intérêts ne sont pas servis par un système politique qui prétend la représenter équitablement, un démagogue menteur peut apparaître comme un défenseur authentique de ses intérêts.
Et c’est ce que Donald Trump a réussi à faire.
Troisième cause: la «cristallisation» de l’électorat
Selon l’exposé d’un expert que j’ai lu récemment, la cristallisation décrit un monde dans lequel les attitudes des gens ne seront pas influencées, peu importe les nouvelles informations mises à leur disposition.
Bref, la dynamique de la campagne n’a que très peu d’effet sur les attitudes. La polarisation est le moteur de la cristallisation.
Les gens pensent que l’autre camp est dangereux et que nous avons besoin de quelqu’un prêt à faire tout ce qu’il faut pour les arrêter. Autrement dit, ils pensent qu’ils protègent la démocratie en appuyant Donald Trump.
L’ex-président est demeuré une figure politique puissante, voire dominante, en suscitant du ressentiment et un sentiment de victimisation.
Il a su s’appuyer sur un groupe d’électeurs pour qui la vérité n’a aucune importance. La coalition de Donald Trump est en partie portée par des hommes blancs qui souffrent du déclin de leur statut.
Toutefois, le véritable ciment qui maintient sa coalition ensemble est sans doute l’animosité raciale.
Quatrième cause: la dépossession des blancs
La peur des blancs de perdre le contrôle du pays est forte. Les États-Unis n’ont jamais vraiment surmonté les problèmes liés à la question raciale.
La guerre civile des années 1860 a été menée à ce sujet. En revanche, les attitudes à l’égard des «races» et, en particulier, la peur des Afro-Américains, ont persisté. Les Américains blancs, en particulier les hommes, ont peur de «perdre leur pays» — c’est-à-dire d’être envahis par des gens de couleur.
Et Donald Trump alimente cette peur.
C’est à l’origine de ses harangues à propos de la frontière sud et de l’immigration. Il se sert de cette peur à son avantage.
J’ai des vieux amis aux États-Unis, des gens autrement responsables, qui ont eu de belles carrières et qu’on n’identifiera jamais avec le monde MAGA. Toutefois, ils expriment cette crainte à chaque fois qu’on touche le sujet de la politique.
«Tom, we are losing our country», m’a dit l’un d’entre eux.
Celui qui dit ça a l’intention de voter Donald Trump et républicain (il le fait depuis 2016), malgré un historique personnel et familial d’appui au parti démocrate.
Et il n’est pas le seul.
Le monde MAGA amène cette crainte à un tout autre niveau.
Cinquième cause: la vulnérabilité économique de l’américain moyen
En 2019, selon le réseau de télévision CBS, 40% des Américains n’étaient qu’à un chèque de paie de la pauvreté.
Environ la moitié des ménages n’ont pas de compte d’épargne de base. Moins de 60% d’entre eux déclarent qu’ils mettent de l’argent de côté en cas d’urgence.
Près de la moitié (45,6%) des familles américaines ont déclaré ne pas avoir de compte d’épargne-retraite dédié.
Les salaires aux États-Unis stagnent depuis le début des années 1970.
Selon le site USA Facts, entre 1979 et 2020, les salaires des travailleurs ont augmenté de 17,5%, alors que la productivité a progressé près de quatre fois plus rapidement, soit de 61,8%.
L’écart croissant entre la productivité (donc, rendement ou profit) et le salaire moyen des travailleurs est dû au fait que les revenus de ce rendement vont partout, sauf dans les chèques de paie de 80% des travailleurs les plus pauvres.
Si ces revenus ne finissent pas dans les chèques de paie des travailleurs ordinaires, où est passée toute la croissance des revenus associée à ligne de productivité croissante?
Essentiellement, ils sont allés à deux endroits: dans les salaires des employés des entreprises et des professionnels hautement rémunérés ainsi que dans des profits plus élevés, c’est-à-dire vers des rendements pour les actionnaires et autres détenteurs de richesses.
Cette concentration des revenus salariaux au sommet (inégalités salariales croissantes) et le déplacement des revenus du travail en général vers les propriétaires de capital sont deux des principaux facteurs de l’inégalité économique globale depuis la fin des années 1970.
De ce fait, selon CNBC, en 2022, les ménages appartenant aux groupes des 25% les plus pauvres avaient un avoir net médian de 14 000$US!
En revanche, les 10% les plus riches avaient un avoir net médian de 2,5 millions de dollars américains.
Cette inégalité flagrante est à l’origine des frustrations des Américains au bas de l’échelle.
Et cela explique en grande partie l’attrait pour Donald Trump, qui est alors vu par plusieurs électeurs comme sauveur dans ce contexte.
À leurs yeux, il n’y a personne d’autre pour les aider.
Bref, on voit en lui la seule manière pour réaliser le Make America Great Again et, par conséquent, le Make it Great For Me Again.