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Arthur Silve

Politiconomix

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Expert(e) invité(e)

Pourquoi reparle-t-on déjà de l’ACÉUM ?

Arthur Silve|Mis à jour le 07 octobre 2024

Pourquoi reparle-t-on déjà de l’ACÉUM ?

Si l’élection n’est pas l’enjeu crucial de cette renégociation, la renégociation elle-même est un enjeu crucial pour le Canada. (Photo: Adobe Stock)

À vos souhaits!
Merci.
… De quoi reparle-t-on?

De l’ACÉUM, l’Accord Canada–États-Unis–Mexique. Sous l’administration de Donald Trump, les États-Unis avaient souhaité renégocier l’ALÉNA (Accord de libre-échange nord-américain) grâce auquel on évite les règles beaucoup moins favorables de l’Organisation mondiale du commerce. Notamment, l’ACÉUM impose des règles d’origine plus strictes pour les pièces automobiles et réduit ainsi la concurrence asiatique. Il protège les agriculteurs québécois contre d’éventuelles mesures protectionnistes excessives des États-Unis, et il a modernisé les règles du commerce numérique, au bénéfice des entreprises technologiques du Québec.

Ah! Mais, l’ACÉUM n’est-il pas entré en vigueur… hier?

Oui, en 2020! Pourquoi en reparle-t-on DÉJÀ? Lors des négociations de 2018, les États-Unis ont insisté pour inclure une clause de renégociation périodique. Cette clause, quasi inexistante dans les plus de 300 traités de libre-échange à travers le monde, introduit une incertitude peu propice aux investissements. Dans le secteur de l’automobile, l’investissement dans des chaînes d’approvisionnement complexes a été largement tempéré par cette clause.

Et quelle incertitude! La prochaine renégociation interviendra en 2026, sous la prochaine administration, qui pourrait être menée soit par les démocrates de Kamala Harris, soit par les républicains à la sauce Donald Trump. Les deux partis, la vice-présidente et l’ancien président offrent deux visions radicalement différentes de la place des États-Unis dans le monde: d’une part, le leadership collaboratif des démocrates, faisant leurs places aux alliances internationales fondées sur des valeurs communes, la défense ou la fourniture de biens publics mondiaux, et d’autre part, l’approche transactionnelle des républicains qui insiste sur les gains économiques ou stratégiques immédiats, y compris dans les relations que les États-Unis entretiennent avec leurs plus proches alliés.

Une première différence porte sur le déroulé de la négociation lui-même. Sous l’impulsion de Donald Trump, la diplomatie a été laissée au placard. Les menaces se sont rapidement concrétisées sous la forme de droits de douane punitifs sur l’acier et l’aluminium. On parle notamment de pertes de deux milliards de dollars pour l’aluminium québécois en 2018, pour amener le Canada à la table des négociations. En comparaison, les administrations démocrates récentes — sous Bill Clinton, Barack Obama ou Joe Biden — ont eu recours à des mécanismes de négociation plus diplomatiques et institutionnels. Il est clair que l’élection américaine pourrait inquiéter beaucoup les investisseurs: quel sera le secteur que Donald Trump pourrait décider de viser pour élever les enjeux de cette renégociation? Qui est à l’abri de sa mercurialité?

Une seconde différence porte sur les enjeux que les deux candidats priorisent. Les programmes économiques des deux candidats indiquent des directions différentes, qui se traduiront par des objectifs différents en 2026. Côté républicain, le soutien aux énergies fossiles favoriserait les exportations canadiennes. Ainsi, le projet Keystone XL et ses milliers d’emplois au Canada, qui a été interrompu par l’administration actuelle, pourrait redevenir possible. Évidemment, cela se ferait au détriment des objectifs du Canada de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Les démocrates, eux, privilégient les énergies propres, avec un défi de premier ordre pour l’industrie canadienne qui est assujettie à des réglementations environnementales et fiscales bien plus lourdes que leurs concurrents étatsuniens.

Ce sont des défis de première importance — de vie ou de mort — pour les entreprises concernées, et des défis de première importance pour leurs employés. Mais au fond, se diront les autres, ce ne sont que quelques filières représentant quelques pour cent des échanges entre le Canada et les États-Unis.

Vision similaire

Faut-il alors relativiser l’enjeu de l’élection sur la renégociation à venir de l’ACÉUM? Oui. Au-delà des politesses et des rodomontades, démocrates et républicains ont une vision globale somme toute assez similaire de la politique commerciale des États-Unis et des défis entourant la renégociation.

D’abord, la renégociation de 2018 n’a pas changé en profondeur la structure de l’accord original de 1994 liant Canada, États-Unis et Mexique. Ensuite, en bientôt quatre ans d’administration, les démocrates ont confirmé et renforcé les mesures protectionnistes mises en place sous l’administration de Donald Trump. Avec un traité de libre-échange majeur de moins que son prédécesseur (c’est-à-dire, aucun), le Buy American Act, et la récente décision d’empêcher l’acquisition de U.S. Steel par Nippon Steel, Joe Biden a démontré que le repli économique était désormais une politique transpartisane à Washington D.C.

Si l’élection n’est pas l’enjeu crucial de cette renégociation, la renégociation elle-même est un enjeu crucial pour le Canada, dont l’économie est presque entièrement tournée vers les États-Unis. D’un côté, le Canada devra prendre parti dans la guerre commerciale qui s’intensifie entre les États-Unis et la Chine. Le Canada pourrait aussi renoncer à son système de gestion de l’offre.

En échange, les États-Unis devraient éviter une guerre des subventions dans les secteurs prioritaires de la prochaine administration; et ils pourraient consentir à éliminer la fameuse clause de renégociation périodique.

Et ce, quel que soit le résultat de l’élection de novembre.