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Géraldine Martin

Terre à terre

Géraldine Martin

Expert(e) invité(e)

Quand l’innovation vient du plancher

Géraldine Martin|Publié à 11h01

Quand l’innovation vient du plancher

«Notre idée, elle est venue du plancher de l’usine», a raconté Joanne Lefebvre à Géraldine Martin. (Photo: Facebook)

EXPERTE INVITÉE. J’ai rencontré Joanne Lefebvre au printemps dernier. C’était lors d’un déplacement dans la région de Baie-Comeau. Joanne m’a raconté avec passion toute l’histoire de l’entreprise familiale, Lefebvre Industri-AL, fondée en 2000.

Lors de notre conversation, la jeune femme qui a pris la relève de ses parents en 2018, a partagé avec moi une phrase qui m’a marquée: «Notre idée, elle est venue du plancher de l’usine». À l’époque, je n’avais pas rebondi là-dessus, mais je me souviens d’avoir été touchée par la simplicité et la profondeur du propos.

Intriguée, j’ai rappelé Joanne quelques mois plus tard. «Joanne, peux-tu m’expliquer ce que tu voulais dire exactement?» Elle m’a répondu avec aplomb et fierté: «Pour tester une idée, certains partent avec de grosses équipes de chercheurs et de chercheuses qui s’appuient sur du théorique pour essayer d’arriver à la pratique. Nous, nous avons réussi en partant de choses simples sur le plancher de notre usine avec notre seule connaissance des machines et des matériaux.»

Retour en arrière. Au début des années 2000, l’entreprise de la famille Lefebvre était spécialisée dans l’entreposage et la manutention d’alliages pour l’industrie de l’aluminium. Marc, le père de Joanne, a rapidement constaté que les activités de recyclage de l’aluminium étaient particulièrement polluantes. En 2005, il s’est lancé le défi de trouver une solution pour réduire ces répercussions environnementales.

Toute la famille a mis la main à la pâte et a commencé à faire des tests. Toutes sortes d’essais et toutes sortes d’erreurs. «On a testé différentes machines. On a testé différents fours à induction avec différentes fréquences. Un jour, le feu a pris dans le four! On a ajusté nos paramètres, et on a recommencé.»

La famille a fait des tests… pendant huit ans. «Cela peut paraître long, mais c’est probablement un facteur de notre succès», mentionne Joanne, en précisant que certaines grandes alumineries ont mobilisé de grosses équipes de recherche sans jamais réussir à atteindre le même résultat que les Lefebvre.

Car oui, la persévérance de la famille a payé. La technique développée, dont évidemment on ne peut pas dévoiler le secret, permet de recycler l’aluminium à 100%. Autrement dit, 100% de l’aluminium qui arrive dans l’usine Lefebvre est recyclé et retourné ensuite à 100% à l’aluminerie, le client.

Dans le recyclage traditionnel, une partie n’est pas récupérable. Pire, les résidus sont des matières dangereuses qui aboutissement dans des sites d’enfouissement. Aussi, dans les techniques traditionnelles, les installations utilisées fonctionnent avec du carburant fossile. Chez la famille Lefebvre, on utilise l’hydroélectricité.

Pas besoin d’être «gros»

Morale de l’histoire: l’innovation peut émerger de n’importe où, et notamment du plancher d’une usine, grâce à la vision et à la persévérance de quelques individus. «C’est gros l’innovation et on a toujours l’impression que cela prend des chercheurs et des chercheuses, des ingénieurs…», ajoute Joanne. La plupart des entrepreneurs sont les mieux placés pour savoir dans quoi ils et elles sont bons. On n’a pas toujours besoin d’une grosse structure. Parfois, il faut juste se faire confiance et foncer.»

En 2018, l’innovation de la famille Lefebvre a attiré l’attention du géant Alcoa. C’est à ce moment-là que Joanne a pris les commandes de l’entreprise, alors que ses parents commençaient à songer à la retraite.

Grâce à ce contrat décisif, le chiffre d’affaires de l’entreprise a plus que triplé en six ans. On pourrait même dire en quatre ans, car rappelez-vous qu’une pandémie a joué les trouble-fêtes. L’entreprise qui compte aujourd’hui 40 employés et employées, est actuellement en discussion avec des partenaires étrangers pour franchir une nouvelle étape de sa croissance. Comme quoi, une petite idée testée sur plancher peut aller loin.

J’allais oublier un détail intéressant. Le diplôme spécialisé n’est pas toujours nécessaire pour innover. Joanne a étudié en communications, politique et administration, sa mère est diplômée en récréologie et son père à un bac en éducation physique.

Bref, dans cette histoire, la détermination et l’expérimentation ont clairement été des facteurs de succès. La détermination dépend principalement du tempérament des individus. L’expérimentation dépend des dirigeants dans les entreprises. Ces derniers doivent laisser de l’espace à leurs employés pour appliquer la technique de l’essai-erreur. Ils et elles doivent aussi être patients et avoir une certaine tolérance au risque. Reste qu’à la fin, cela peut être payant pour l’entreprise et mobilisant pour les équipes qui sont poussées à persévérer et apprendre de leurs erreurs. Une approche qui fait écho à la célèbre phrase de l’inventeur américain Thomas Edison: «Je n’ai pas échoué. J’ai juste trouvé 10 000 façons qui ne fonctionnent pas».

À vous la parole!

En guise de conclusion, voici une question dont la réponse se retrouvera dans mon prochain billet. Selon vous, quels sont les points importants à la réalisation d’un projet d’innovation durable?

  1. Permettre le droit à l’erreur (ce n’est pas une ligne droite)
  2. Mobiliser plusieurs intervenants interne et externes face à notre projet
  3. Trouver des alliés dans notre écosystème qui sont intéressés par les résultats de notre innovation durable
  4. Toutes ces réponses
  5. Aucune de ces réponses

Les débuts d’une nouvelle aventure

C’était ma toute première histoire… dans le cadre de ce nouveau blogue que j’ai choisi de baptiser «Terre à terre». L’objectif est de vous offrir une vision concrète du développement durable et de mettre en lumière de petites entreprises qui se démarquent par leurs projets exceptionnels. Ici, vous découvrirez des idées simples à fortes répercussions, des récits inspirants d’entrepreneurs et d’entrepreneures déterminés à changer le monde. Humblement, j’espère que ces histoires seront pour vous une source d’inspiration. Chaque texte vous donnera également l’occasion de tester vos connaissances en développement durable.

D’un point de vue plus personnel, c’est avec émotion que je reprends la plume au sein de la grande famille Les Affaires. En 2000, Jean-Paul Gagné, alors rédacteur en chef (aujourd’hui éditeur émérite) m’a offert mon tout premier emploi. C’était il y a plus de deux décennies.

J’arrivais de France avec pour seul bagage un diplôme en finance dont je ne savais pas trop quoi faire. Mon expérience au sein du journal m’a donné la piqûre pour les médias économiques et financiers. Quelques années plus tard, j’ai eu l’immense chance de diriger le journal Les Affaires.

Aujourd’hui, c’est donc un retour aux sources, mais aussi un retour à une passion, l’écriture. Celle qui fait réfléchir, celle qui fait jaser, celle qui fait bouger les choses, celle qui inspire, celle qui pousse à poser un geste pour faire toujours mieux…  Vous avez sûrement compris que je suis fébrile et remplie de gratitude. Un grand merci à Les Affaires de m’accueillir à nouveau dans la grande famille.

Géraldine