Selon la Psychologie des foules, écrit à la fin du 19e siècle par Gustave Le Bon, la foule est une entité qui a sa propre psychologie et qui fait régresser les individus qui la forment. (Photo: Adobe Stock)
EXPERT INVITÉ. Les rassemblements politiques n’attirent que les partisans des partis et ne motivent que les convaincus.
Même si les membres du Syndicat de la fonction publique étaient invités à manifester bruyamment lors du dernier Congrès national de la Coalition Avenir Québec, il n’y avait que les membres de la CAQ qui pouvaient pénétrer dans l’enceinte et assister à cet événement.
Même si la CAQ est au pouvoir, les membres participants ne parlent qu’en leur nom et non au nom des Québécois ayant porté la CAQ au pouvoir. Idem pour tous les parties politiques québécois, et cette réalité est la même chez nos voisins du Sud.
Ils sont rares les gens qui ne votent pas et qui se présentent au rallye de Donald Trump. Les partisans de Kamala Harris se font encore plus rares lors des rassemblements de ce dernier. Les gens qui se présentent à ces événements n’ont pas besoin de se faire prier pour y assister et n’ont pas besoin de se poser la question à savoir s’ils appuient ou non le candidat qu’ils vont encourager.
Quand près de 300 000 swifties en liesse se présentent à l’un des six concerts donnés par Taylor Swift au Centre Roger, c’est qu’ils l’aiment, apprécient sa musique et qu’ils sont prêts à débourser la totale pour être présent. Pour les fans, assister au concert Eras est un acte participatif. Les fans qui s’y présentent ne parlent qu’en leur nom et peuvent difficilement dire que c’est tout le Québec ou tout le Canada qui la supporte et qui sont derrière elle.
Lorsque j’ai entendu certaines personnes dire que tous les Québécois pleuraient la mort de Karl Tremblay en novembre 2023, j’ai d’abord trouvé ça cute, et ensuite, je me suis questionné sur la portée de cette déclaration. Car, même si cela était vrai dans mon cas, j’ai questionné beaucoup de gens autour de moi qui n’avaient aucune idée qui était Karl Tremblay. Donc, comment pouvaient-ils pleurer sa mort?
Par gentillesse ou par conviction, on tente d’être inclusif dans des moments charnières comme celui-ci, mais dans les faits, qui sont tous ces Québécois que l’on tente d’inclure dans nos discours et nos explications? J’ai l’impression que les journalistes et les politiciens, qui émettent ce genre de commentaires, savent que ce n’est pas totalement vrai et nous ne leur en tenons pas rancune.
Toutefois, dans le merveilleux monde du travail, ce genre de déclaration semble difficilement capable de faire la nuance entre les convaincus et le reste de la population.
Par exemple, prenez le rassemblement de la CSN la fin de semaine dernière. Le 23 novembre avait lieu le plus grand rassemblement syndical de l’année au Colisée Vidéotron de Trois-Rivières, selon les prétentions de la CSN.
Sous le thème «Pas de profit sur la maladie», le rassemblement contre la privatisation du réseau de la santé et des services sociaux a réuni près de 5000 militants de la CSN, accompagnés de leurs enfants, de leurs conjointes et conjoints, et de membres de leur famille.
Même si nous étions invités, vous et moi n’avions ni notre place à ce rassemblement ni notre mot à dire sur les contenus des discours et leurs objectifs.
Pourtant, tant les organisateurs de l’événement que les militants étaient convaincus et tentaient de nous convaincre qu’ils parlaient au nom de tous les Québécois.
L’objectif et la cause étaient louables! Personne ne devrait s’enrichir sur la maladie. Pourtant, de plus en plus, la place que le gouvernement accorde au privé enrichit une poignée de privilégiés et appauvrit les services publics.
Durant ce rassemblement, trois revendications ont été rendues publiques afin de répondre rapidement à la crise d’accès aux soins de santé. Tout d’abord, la CSN demande au ministre de la Santé de freiner l’exode des médecins vers le secteur privé. La CSN demande aussi au gouvernement de cesser d’octroyer des permis de cliniques privées à but lucratif dès maintenant. Finalement, la CSN demande au gouvernement d’instaurer un moratoire sur tous les types de privatisation du travail et des tâches présentement accomplies au public.
Lors de ce rassemblement, le message envoyé à la CAQ était clair: vos choix nous mènent dans le mur. Les Québécois sont attachés à un système de santé publique, gratuit et accessible. «C’est pour ça qu’on était plus de 4000 aujourd’hui à Trois-Rivières, et c’est pour ça que Québec solidaire continuera de se battre», affirmait Gabriel Nadeau-Dubois devant une foule déjà conquise par les contenus des discours.
Je ne me souviens pas d’avoir autorisé M. Nadeau-Dubois à parler en mon nom!
Même son de cloche du côté de la présidente de la CSN, Caroline Senneville. «C’est une véritable démonstration de force qu’on a réalisée. Que le gouvernement se le tienne pour dit: les Québécoises et les Québécois ont à cœur leur réseau public et sont prêts à se mobiliser pour le défendre», déclarait-elle devant la même foule agitée.
C’est peut-être vrai, mais je ne me souviens pas d’avoir demandé à Mme Senneville de parler en mon nom!
Avec un peu moins de 5000 personnes présentes, nous étions loin des 100 000 personnes ayant appuyé le front commun syndical le 23 septembre 2023, ayant mené plus de 420 000 travailleurs en grève le 23 novembre 2023. Même à ce moment, ces travailleurs syndiqués ne représentaient que les travailleurs syndiqués et les supporters dans la foule étaient déjà conquis.
Animé par un sentiment fort et urgent, je ne me souviens pas non plus d’avoir demandé au front commun de parler en mon nom!
Emporté par la foule
Selon la Psychologie des foules, écrit à la fin du 19e siècle par Gustave Le Bon, la foule est une entité qui a sa propre psychologie et qui fait régresser les individus qui la forment. La foule est plus puissante que l’individu, mais la foule est toujours moins intelligente que l’individu, moins rationnelle, plus émotive, et plus impulsive. Les individus en foule sont fortement influencés les uns par les autres, conduisant à une homogénéisation des pensées et des actions.
À l’opposé, si vous n’êtes pas dans cette foule, le meneur de cette foule ou de ce rassemblement peut difficilement toucher et convaincre les non partisans. Pourtant, ceci n’empêche pas la CSN et ses 5000 membres présents de croire et de nous faire croire qu’ils représentent et parlent au nom des neuf millions de québécois.
Au même moment, valsant entre la manifestation de plus de 82 000 étudiants solidaire avec la population de Gaza, la manifestation anti-OTAN, la manifestation pour la paix et le désarmement du Canada et les manifestations des ingénieurs de l’État, des facteurs de Poste Canada, des chauffeurs d’autobus scolaires, des éducatrices spécialisées en CPE, si nous voulions protester, nous faire entendre, et tenter de convaincre la population québécoise du bien-fondé de notre cause, nous avions le choix en fin de semaine.
Ce matin, vous et moi cherchons autant la couverture du rassemblement historique de la CSN que ces répercussions. Étrangement, les échos semblent s’être volatilisés. Pourtant, neuf millions de voix: c’est bruyant!
Peut-être y avait-il trop de gens qui parlaient pour l’ensemble des Québécois en fin de semaine?