En 2023, les exportations de biens de la Chine vers le Québec ont totalisé 13,6 milliards de dollars, ce qui en fait notre deuxième marché d’importation après les États-Unis, selon Statistique Canada. (Photo: 123RF)
Au début des années 2000, la première vague de la concurrence chinoise qui a déferlé sur la planète a plombé l’industrie manufacturière dans les pays développés, incluant celle au Québec. La seconde vague est plus redoutable encore, car elle s’attaque à des secteurs de pointe. Bienvenue dans l’univers du Made in China 2025, une politique industrielle lancée en 2015, mais qui commence à atteindre sa vitesse de croisière.
Cette ambitieuse politique du président chinois Xi Jinping met l’accent sur dix secteurs à valeur ajoutée, qui sont stratégiques dans la plupart des économies développées comme la nôtre, notamment pour la transition énergétique.
Ce sont les équipements électriques, les machines agricoles, les nouveaux matériaux, les véhicules à économie d’énergie et énergies nouvelles, les outils de commande numérique et robotique, les technologies de l’information, les équipements aérospatiaux, les équipements ferroviaires, l’ingénierie océanique et les navires haut de gamme, ainsi que les dispositifs médicaux.
L’industrie de l’aérospatiale au Québec est particulièrement concernée.
Cette politique industrielle de Beijing vise deux grands objectifs à très long terme, une notion étrangère aux Occidentaux qui raisonnent habituellement en période de trois ou cinq ans.
Le premier est de faire de la Chine LA puissance mondiale en 2049 en matière de qualité, année où le pays célébrera le centenaire de la fondation de la Chine communiste.
Le second est d’accroître l’autosuffisance de la Chine en matière de haute technologie, en réduisant sa dépendance aux importations des pays occidentaux et en ayant davantage de contenu chinois dans les produits vendus dans le pays — l’objectif est d’atteindre 70 % en 2025.
Trois années charnières
Le Made in China 2025 comprend aussi trois années charnières, qui culmineront au milieu de ce siècle.
- En 2025 : la Chine veut que son industrie manufacturière soit très innovante et très efficace, ce qui n’était pas le cas en 2015, lorsque Beijing a lancé sa politique industrielle.
- En 2035 : la Chine veut être capable de concurrencer sur le plan de la qualité avec les principales puissances manufacturières des pays développés.
- En 2049 : lors du centenaire de la fondation du régime communiste, la Chine veut être LA puissance manufacturière dominante, devant l’Allemagne, le Japon et les États-Unis.
En entrevue à Les Affaires, Ari Van Assche, professeur d’économie à HEC Montréal et spécialiste de l’économie chinoise, confirme que l’industrie manufacturière de la Chine est de plus en plus sophistiquée, et que c’est une tendance lourde.
« Sans le Made in China 2025, la Chine progresserait quand même vers une nouvelle industrie manufacturière », dit-il, en précisant toutefois que cette politique industrielle accélère cette transformation économique.
« Il y a dix ans encore, la Chine se spécialisait dans l’assemblage manufacturier moins sophistiqué, tandis que les produits plus complexes étaient fabriqués au Japon, en Corée du Sud ou aux États-Unis. Aujourd’hui, la valeur ajoutée a beaucoup augmenté en Chine », souligne Ari Van Assche.
À un point tel que des entreprises chinoises ont commencé à délocaliser de la production peu sophistiquée et à faible coût de main-d’œuvre en Asie du Sud-Est, comme au Vietnam, une économie émergente de près de 100 millions d’habitants.
Bond du contenu chinois dans les iPhone
Pour illustrer la nouvelle sophistication de l’industrie chinoise, Ari Van Assche donne l’exemple du fameux iPhone d’Apple et des tâches effectuées par des entreprises chinoises pour produire l’iPhone 3G en 2009 et l’iPhone X en 2018.
En 2009, la chinoise Foxconn assemblait uniquement les iPhone 3G, ce qui représentait 3,6 % de la valeur de l’appareil, selon une analyse du Centre for Economic Policy Research (How the iPhone widens the US trade deficit with China : The case of the iPhone X), une firme britannique.
Or, en 2018, Foxconn assemblait et fabriquait aussi plusieurs composants de l’iPhone X, dont les pièces fonctionnelles du module d’écran tactile, la carte de circuit imprimé ainsi que le module de caméra. Au total, ces activités représentaient 25,4 % de la valeur des téléphones.
La progression fulgurante de la Chine dans l’industrie des panneaux solaires — inventés aux États-Unis dans les années 1950 — témoigne aussi de la sophistication rapide de son économie, selon Ari Van Assche.
Aujourd’hui, les entreprises chinoises contrôlent plus de 80 % de la chaîne d’approvisionnement mondiale des panneaux solaires en silicium, et la part de la Chine dans le polysilicium, le matériau de base des panneaux, est encore plus élevée, selon le Wall Street Journal.
Le quasi-monopole de la Chine sur le marché de l’énergie solaire a même incité les États-Unis et leurs alliés, comme le Japon, à intensifier la recherche de solutions de contournement.
Au Québec, une statistique devrait nous faire réfléchir à propos de la nouvelle concurrence chinoise.
En 2023, les exportations de biens de la Chine vers le Québec ont totalisé 13,6 milliards de dollars, ce qui en fait notre deuxième marché d’importation après les États-Unis, selon Statistique Canada.
Or, 49 % de ces exportations étaient composées de biens de moyenne-haute technologie (matériels électriques, machines et équipements, véhicules électriques, etc.) et de haute technologie (construction aéronautique et spatiale, fabrication d’ordinateurs, produits électroniques, etc.).
De plus, cette proportion progresse : c’était 47 % en 2019. Aussi, les importations de biens à moyenne-haute technologie et à haute technologie du Québec en provenance de la Chine devraient franchir bientôt le cap des 50 %.
Avons-nous bien évalué les répercussions potentielles de cette tendance sur notre économie ?
Ce texte est paru à l’origine dans notre édition de la mi-mars 2024.