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ANALYSE. La ruée vers le bois de construction, la résurrection du bitcoin, la brève revanche des partisans de GameStop et le soudain «sérieux»de la blague qu’est le dogecoin démontrent tous que la peur de passer à côté de quelque chose dicte nos vies financières comme jamais. Ceux qui tentent d’acheter leur première maison en ce moment en savent quelque chose.
On comprendra l’investisseur de se demander s’il reste encore des occasions sur cette terre. Qui sait, le prochain thème à la mode pourrait bel et bien se trouver en orbite. C’est du moins ce que pense Adam Jonas, de Morgan Stanley, qui croit que l’«économie de l’espace»pourrait devenir encore plus proéminente sur le radar des investisseurs d’ici 12 à 18 mois, au même titre que l’engouement suscité par la voiture électrique en Bourse. Après une période de stagnation, le spatial connaît un regain d’intérêt de la part des acteurs économiques. Les gouvernements (notam-ment les rivaux que sont la Chine et les États-Unis), les grandes sociétés, le capital privé, les start-ups et quelques excentriques milliardaires semblent tous attirés par cette dernière frontière.
Les revenus de cette industrie pourraient passer de 350 milliards de dollars américains (G$US) à 1 000 G$US en 2040, selon l’équipe de Morgan Stanley. La Chambre de commerce des États-Unis, pour sa part, prévoit que les dépenses liées à ce secteur progresseront à un rythme annuel de 6 % jusqu’en 2040.
Ces investissements pourraient bouleverser de nombreuses industries. Le constructeur de machinerie agricole Deere (DE, 378,86 $US) est un bel exemple. Certains internautes se sont moqués de l’investisseuse vedette Catherine Wood lorsqu’elle a inclus la société américaine dans son fonds négocié en Bourse (FNB) axé sur l’exploration spatiale, Emerge Ark Space Exploration (ARKX, 20,15 $US). La décision n’est toutefois pas si saugrenue. Depuis les années 1990, Deere utilise la technologie GPS. En 2018, elle a conclu un partenariat avec la NASA en vue de rendre les tracteurs autonomes encore plus précis.
Un oiseau rare
Malheureusement, un thème appuyé sur une réflexion macroéconomique valable n’offre pas nécessairement une avenue claire pour les investisseurs qui veulent en profiter. Devant une constellation d’entreprises dont le modèle d’affaires n’a pas encore été mis à l’épreuve et dont les évaluations atteignent des sommets stratosphériques, il peut être difficile de détecter les occasions.
Sur la scène boursière canadienne, MDA (MDA, 15,95 $) est un oiseau rare. Connue pour avoir construit le bras canadien, cette société spécialisée dans la robotique, les systèmes satellitaires et le renseignement géospatial, est bien établie. Fondée en 1969 sous le nom de MacDonald, Dettwiler& Associates (MDA), l’entreprise de Brampton, en Ontario, a également des bureaux à Sainte-Anne-de-Bellevue, au Québec. En 2016, elle a fusionné avec l’américaine DigitalGlobe pour devenir Maxar Technologies. MDA a finalement été rachetée par un groupe d’investisseurs canadiens en 2019. Elle a fait son premier appel public à l’épargne en avril dernier.
Paul Steep, de Banque Scotia, croit que MDA retourne en Bourse dans une position renforcée avec des activités mieux diversifiées. Auparavant, elle s’appuyait généralement sur deux projets principaux, financés par le gouvernement, rappelle-t-il. En plus des deux projets en cours payés par les deniers publics (Canadarm 3 et Navire de combat canadien), la société a aussi un projet commercial avec le réseau de satellites de Télésat Lightspeed. La direction anticipe une forte croissance dans les prochaines années. Elle prévoit augmenter ses revenus à un rythme annuel moyen de 29 % au cours des cinq prochaines années. Elle vise également des projets d’une valeur potentielle de près de 21 G$au cours des cinq prochaines années, ce qui représenterait seulement 2 % des dépenses de l’industrie, note Doug Taylor, de Canaccord Genuity. L’analyste prévoit, pour sa part, que les revenus augmenteront de 21 % en 2021 pour s’accélérer par la suite, à 80,2 % en 2022 et à 47,9 % en 2023.
Cette croissance n’est peut-être pas soutenable, juge Kristine Liwag, de Morgan Stanley. Elle croit que la société peut accroître ses revenus à un rythme annuel de 38 % entre 2020 et 2023, mais elle estime que la progression se modérera à 5 % de 2023 à 2025.
Bien que MDA soit bien établie, un risque d’exécution existe pour ses actionnaires. Dans le camp des optimistes avec une recommandation d’achat, Doug Taylor anticipe tout de même que la société n’affichera pas de bénéfices par action avant 2023 et brûlera des liquidités jusqu’en 2025 en raison des investissements importants qu’elle doit consacrer aux satellites et aux installations de la «nouvelle génération». Si les prévisions de l’analyste se concrétisent, cela voudrait dire que le titre s’échange à 42,3 fois le bénéfice par action de 2023.
La société serait dans une bonne posture financière après avoir récolté 431 millions de dollars (M $) lors de son premier appel public à l’épargne (moins que les 500 M$ initialement espérés), pense l’analyste de Canaccord Genuity. À seulement 0,2 fois le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) des douze derniers mois, la dette nette est modeste, ce qui lui permettra de financer ses investissements, selon lui.
L’accumulation de pertes augmente toutefois le risque. Kristine Liwag souligne que les contrats sont à prix fixe, faisant porter le poids des dépassements de coût sur les épaules de l’entreprise. Elle note aussi que la concurrence est forte dans le secteur. Plusieurs dirigeants clés sont expérimentés, mais sont relativement nouveaux chez MDA, ajoute Thanos Moschopoulos, de BMO Marchés des capitaux. Toutes missions comportent des risques et MDA ne fait pas exception. En comparaison aux start-ups qui veulent démocratiser le tourisme de l’espace, l’investisseur peut au moins se dire que les dirigeants de MDA ont encore les pieds sur terre.