(Photo: 123RF)
SPÉCIAL PME. Au Québec, 22% de la population active est immigrante, selon les données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Ces derniers temps, les immigrants proviennent pour l’essentiel d’Asie (43%) surtout de Chine (10,4%) , d’Afrique (30%) surtout d’Algérie (5,4%) , et des Amériques (13,5%) surtout d’Haïti (3,4%). Ce qui est le signe que la main-d’oeuvre québécoise est aujourd’hui particulièrement diversifiée, surtout si l’on ajoute à cela le fait que 2% de la population québécoise est autochtone.
Cela étant, l’intégration des immigrants comme des Autochtones au marché du travail laisse grandement à désirer. Deux données de l’ISQ ne trompent pas à ce sujet. D’une part, 44% des immigrants sont surqualifiés pour l’emploi qu’ils occupent et cela est vrai pour 55% des immigrants arrivés il y a moins de cinq ans , ce qui montre combien il leur est difficile d’accéder à des emplois intéressants. D’autre part, le taux de chômage des immigrants était de 6,9% en 2019 alors qu’il n’était que de 4,5% pour les travailleurs nés au Québec. Cet écart considérable indique qu’il est plus complexe pour les premiers d’accéder à un emploi.
Quant aux Autochtones, une étude de Statistique Canada révèle que lors de la crise de 2008, quelque 30% des travailleurs autochtones du secteur manufacturier ont perdu leur emploi, alors que ça n’a été le cas que pour 8% des travailleurs non autochtones. Ce qui montre bien, là aussi, à quel point leur situation est fragile sur le marché du travail.
«Les entreprises se doivent d’être le reflet de la société dans laquelle elles évoluent, de tenir pleinement compte de sa composante ethnoculturelle, dit Déborah Cherenfant, la présidente de la Jeune Chambre de commerce de Montréal (JCCM). Cela leur donne l’occasion de mieux répondre aux besoins de la société, et a fortiori de leur clientèle.» Elle ajoute qu’«avoir des employés issus de différents horizons permet aux entreprises de bénéficier d’idées diversifiées, d’éviter des angles morts dans la vision qu’elles ont de leurs produits et de leurs services».
« Désengagées»
C’est bien simple, 85% des entreprises canadiennes sont «désengagées», c’est-dire n’ont aucune conscience des communautés autochtones locales ni de leur capacité à répondre à leurs besoins en main-d’oeuvre, d’après une étude de Jeff Blackman, chercheur au Conseil national de recherches du Canada, à Ottawa. Une étude qui pose, au passage, une interrogation fort judicieuse: combien de dirigeants d’entreprise sont au courant de l’existence du programme fédéral de 15 heures par an permettant aux employés de suivre des séances d’information et d’éducation sur les cultures autochtones dans le but de «favoriser la diversité et l’humilité»?
Comment, donc, faire le premier pas en ce sens, passer du voeu pieux aux gestes concrets? Dans son livre Comment devenir antiraciste (Les Éditions de l’Homme, 2020), l’historien américain Ibram X. Kendi dit qu’il convient de se libérer de la dueling consciousness, c’est-à-dire de la dualité dont souffre chacun de nous, partagés que nous sommes entre la conscience assimilationniste le souci d’intégrer les minorités à la société en place, et donc de les fondre dans le moule et la conscience ségrégationniste – le souci de ségréguer les minorités, et donc de les compartimenter en marge de la société. «Être antiraciste, c’est conquérir la conscience assimilationniste et la conscience ségrégationniste, note Ibram X. Kendi. C’est s’émanciper de cette dualité, en réalisant que le corps blanc n’est pas la norme et que le corps noir n’a pas à aspirer à devenir blanc. C’est saisir que les corps sont, au fond, racialisés par le pouvoir.»
Y parvenir est, fort heureusement, à la portée de tous. Un exemple lumineux est celui de Pour 3 Points (P3P), un organisme montréalais à but non lucratif dont la mission consiste à accompagner les jeunes en milieux défavorisés. Toutes les six semaines, l’équipe de coaches se réunit pour une discussion impromptue de trois ou quatre heures: chacun aborde le sujet qu’il veut, avec l’assurance de ne pas être jugé, réprimandé l’idée étant de favoriser les discussions franches et ouvertes.
«La discrimination, le racisme, sont des points régulièrement soulevés, raconte Fabrice Vil, le cofondateur et directeur général de P3P. Nos discussions nous ont amenés à comprendre qu’une bonne façon de faire des progrès à ce sujet consistait à en faire une mission commune, à responsabiliser chacun de nous. Ce n’est pas au leader de s’en charger; c’est à tout le monde, tout le temps, sans relâche.»
«Nous sommes allés jusqu’à généraliser cette attitude à toutes nos activités, si bien que nous avons adopté une structure organisationnelle horizontale, poursuit-il. Ce qui signifie que les décisions sont prises collectivement, le plus souvent possible. Et croyez-moi, nos décisions sont meilleures maintenant!»
Le conseil de Fabrice Vil pour mener à l’adoption de l’antiracisme au sein d’une organisation? «Posez-vous deux questions, et prenez le temps d’y répondre soigneusement: Pourquoi est-il important pour moi d’atténuer le racisme?, puis Pourquoi est-il important pour nous d’atténuer le racisme?». Il assure que cet exercice «ouvrira immanquablement de nouveaux horizons» pour la personne qui s’interroge.
Mine de rien, cet exercice pourrait bel et bien faire en sorte que nous n’ayons bientôt plus 24% de dénigrés sur le marché du travail québécois