8 stratégies pour réussir en affaires dans l’«avec-COVID»
François Normand|Édition de la mi‑mars 2021Le recours massif au télétravail a rendu les espaces à bureaux superflus. Ingénieuses, certaines entreprises ont décidé d'agrandir leurs usines en occupant leurs lieux administratifs. (Photo: 123RF)
La pandémie de COVID-19 a transformé nos entreprises à jamais. Certaines sont désormais plus robustes et plus agiles pour saisir les occasions et survivre aux risques dans un nouvel environnement d’affaires où le virus responsable de la COVID-19 restera parmi nous, mais sous forme endémique, lorsque la pandémie sera terminée.
Déjà un an ! Cela fait un an que nous subissons cette crise. Même si la pandémie de COVID-19 nous affligera encore pendant de longs mois, nous sentons toutefois que le vent commence à tourner en faveur d’une éventuelle sortie de crise. Les vaccins fonctionnent — contre la plupart des variants également — et font reculer l’infection dans le monde, selon l’Organisa-tion mondiale de la santé (OMS).
Le 17 février, l’agence rapportait que le nombre de nouveaux cas avait chuté de 16 % en seulement une semaine dans le monde, avec des reculs plus prononcés au Royaume-Uni (-27 %) et aux États-Unis (-23 %), par exemple. Parmi les régions observées par l’OMS, seul l’est de la Méditerranée affichait une hausse des nouveaux cas (+7 %).
Malgré tout, il faut faire preuve de prudence. Nous ne sommes pas à l’abri d’une troisième vague d’ici à ce que la majorité de la population ait été vaccinée, au Québec et ailleurs dans le monde — la France en craint une et a décrété des confinements dans les villes de Dunkerque et de Nice.
De plus, le SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19, est là pour rester, même lorsque la pandémie sera terminée, préviennent les spécialistes, dont ceux du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC).
Bref, le virus restera parmi nous, mais sous forme endémique, comme ceux causant le rhume ou la grippe. Nous pourrons certes nous faire vacciner (sur une base annuelle, par exemple), mais il y a aura toujours un risque d’éclosion dans des écoles, des entreprises ou des communautés. Ce n’est pas une catastrophe pour autant.
Pendant des siècles, les sociétés et les organisations ont vécu sans vaccin, sans antibiotique et sans traitements médicaux sophistiqués, ce qui ne les a pas empêchés de se développer et de prospérer. Par contre, elles y sont arrivées parce qu’elles se sont adaptées à leur environnement. Nous ferons de même avec le nouveau coronavirus.
La plupart des entreprises ont d’ailleurs commencé à se transformer en raison de la pandémie. Plusieurs sont devenues plus fortes, plus robustes et plus agiles pour profiter des nouvelles occasions d’affaires, mais aussi pour gérer plus efficacement les nouveaux risques, et ce, dans toutes les sphères d’activité.
Voici les meilleures stratégies.
1. Télétravail:gérez intelligemment votre espace
L’explosion du télétravail — qui est là pour rester sous diverses formes— fait en sorte que plusieurs entreprises se retrouveront avec des locaux pour bureaux superflus quand la pandémie sera terminée.
Un nouveau problème à gérer ? Pas nécessairement, si l’on se fie à la stratégie de Fruit D’Or, un transformateur de canneberges séchées et de bleuets en forte croissance, qui a décidé de tirer profit de cette situation.
«Au lieu d’agrandir nos usines, on va plutôt occuper les espaces administratifs superflus dans nos bureaux qui sont adjacents à nos établissements de production», explique Sylvain Dufour, vice-président au développement des affaires de la PME de Villeroy, dans le Centre-du-Québec. L’entreprise, qui réalise 85 % de ses ventes à l’étranger, exploite trois usines à la fine pointe technologique (4.0).
Comme Fruit d’Or offrira au personnel administratif de ses usines de faire de deux à trois jours de télétravail par semaine sur une base volontaire, la société aura donc l’espace disponible pour étendre ses capacités de produc-tion. L’entreprise aménagera aussi des bureaux communs dans ses espaces administratifs pour ses employés.
Par ailleurs, pour mieux gérer leurs espaces de production ou de prestation de services, les entreprises ont tout intérêt à louer leurs espaces plutôt que de les posséder, estime Yan Cimon, professeur titulaire de stratégie à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval.
Marilène Garceau, une entrepreneuse québécoise qui a fondé la firme Kennedy Garceau (spécialisée en ressources humaines et en développement de personnel) à Paris en 2010, a adopté cette stratégie depuis que les anciens bureaux ont été affectés par un incendie.
La location lui procure une grande souplesse en ce qui a trait à la gestion de l’espace, d’autant plus dans le contexte actuel et à venir, souligne la femme d’affaires. «Nous avons des espaces de cotravail. C’est très flexible. Nous n’avons qu’à donner un préavis d’un mois pour quitter les lieux.»
2. Réduisez votre dépendance aux fournisseurs
Carl Breau, patron de Saimen, une PME spécialisée dans la fabrication et le divertissement qu’il a fondée en Chine en 2012, est en train réduire la dépendance de son entreprise aux fournisseurs afin qu’elle soit plus résiliente.
Ainsi, au lieu de demander à des fournisseurs de lui fabriquer des pièces qu’elle intégrait dans ses solutions d’ingénierie offertes à ses clients, Saimen a décidé de fabriquer la plupart en interne.
La PME en tire deux avantages concrets.
Premièrement, elle accumule les brevets, dont elle peut potentiellement tirer des revenus. Deuxièmement, elle est beaucoup moins à la merci d’une rupture de sa chaîne en raison de la défaillance de fournisseurs stratégiques, comme cela a été le cas durant les premiers mois de la pandémie.
L’entrepreneur québécois explique le changement de son modèle d’affaires en donnant une métaphore immobilière. «Pendant longtemps, on était à loyer. Là, on est davantage un propriétaire», dit Carl Breau, en soulignant que c’était un game changer.
3. Planifiez (à nouveau) à très long terme
Les entreprises font généralement leur planification stratégique sur trois ans. Mais avec la pandémie et le retour anticipé à une nouvelle normalité, les organisations veulent mieux anticiper les coups à l’avance dans un monde plus incertain.
«La planification à long terme est de retour […] Il y a un retour vers du cinq ans, voire du 10», affirme Louis J. Duhamel, PDG de LJD Conseils, qui appuie les directions et les conseils d’administration dans la mise en place de leurs stratégies.
La Musée de la civilisa-tion, à Québec, en est un bel exemple. Il est en train de former un comité d’une quinzaine de personnes qui réfléchiront sur les tendances sur un horizon de 10 à 15 ans, et ce, en ce qui a trait à la société québécoise et à l’industrie muséale.
Ce comité sera composé de gens de tous horizons:jeunes, vieux, citoyens issus de la diversité, experts (éducation, santé, économie, etc), prévisionnistes et futurologues.
«On essaie de voir venir, même de prévenir», dit le directeur général du Musée de la civilisation, Stéphan La Roche.
4. Maintenez des lignes de production antivirus
Des entreprises maintiendront en place leurs mesures sanitaires même lorsque la pandémie sera terminée. Comme le virus deviendra endémique et provoquera parfois des éclosions dans les organisations, des chaînes de production pourraient devoir s’arrêter, sans parler de la mauvaise publicité auprès des consommateurs.
C’est notamment le cas d’Olymel, dont certaines usines ont dû fermer plusieurs jours, voire des semaines, depuis le début de la pandémie en raison d’éclosions, notamment à Princeville et à Vallée-Jonction.
Aussi, le transformateur alimentaire envisage par exemple de demander à l’ensemble de ses employés de continuer de porter le masque dans ses usines, explique Paul Beauchamp, premier vice-président d’Olymel. «Le masque était déjà une réalité avant la pandémie pour les employés qui travaillaient avec des produits alimentaires périssables, mais ce n’était pas généralisé.
Dans certains établissements, on pourrait envisager le maintien du port du masque», dit-il, en précisant que cela ne devra pas «trop nuire»à la qualité de vie des employés.
Même souci de réduire le risque sanitaire auprès d’Ecolopharm, un fabricant d’emballages écologiques pour l’industrie pharmaceutique établi à Chambly, en Montérégie. «Un certain risque sanitaire est là pour rester.
C’est pourquoi nous allons maintenir le port du masque et la désinfection systématique des mains même quand la pandémie sera terminée», raconte la présidente de la PME, Sandrine Milante.
5. Dotez-vous d’un CA avec une expertise en gestion du risque sanitaire
C’est devenu un incontournable. Les conseils d’administration qui ne l’ont pas encore fait doivent se doter d’une expertise en gestion des risques sanitaires, affirment les spécialistes, dont l’administratrice de sociétés Monique Leroux.
«Les membres des conseils doivent s’appuyer davantage sur une expertise médicale externe», dit la présidente du Conseil sur la stratégie industrielle, un organisme créé en mai par Ottawa pour l’aider à relancer l’économie, et conseillère stratégique à Fiera Capital.
Selon elle, il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin que de nommer un spécialiste en santé publique sur les CA afin que ces derniers aient une expertise pour opérer les choix stratégiques des entreprises.
Par contre, les conseils doivent comprendre que les entreprises évoluent dans un environnement d’affaires dans lequel le risque sanitaire est de plus en plus grand.
Cette statistique fera réfléchir tous les administrateurs.
Entre 1940 et 2004, on a dénombré l’éclosion de plus de 300 maladies infectieuses dans le monde, dont le VIH, l’Ebola, le virus du Nil occidental, le H1N1 et le SRAS, souligne la journaliste Sonia Shah dans son essai Pandémie:traquer les épidémies, du choléra aux coronavirus (publié en 2016, mais récemment traduit en français).
Or, malgré la multiplication des nouveaux virus, le risque que le monde pâtisse d’une pandémie était sous l’écran radar des entreprises avant celle de la COVID-19, selon un récent sondage mondial d’Aon, une firme spécialisée dans la gestion des risques.
Ainsi, le risque de pandémie figurait seulement au 60e rang parmi les 69 risques déterminés par les organisations.
6. Ne sous-estimez pas le besoin des humains de se rencontrer
Depuis le début de la pandémie, les industries culturelles et événementielles ont imaginé toutes sortes de solutions de rechange afin d’offrir leurs produits ou leurs services à distance (expositions, spectacles, salons, conférences).
Pour plusieurs entreprises, cela a été une bouée de sauvetage, et ça l’est toujours, de même que dans les mois à venir.
Par contre, une fois que la pandémie sera derrière nous et que la majorité de la population sera vaccinée, les gens voudront à nouveau se retrouver entre eux.
C’est la conviction profonde de Robert Mercure, PDG du Palais des congrès de Montréal. «La communication non verbale est importante dans le développement des relations humaines ou d’affaires, dit-il. Nos cerveaux sont programmés ainsi depuis des milliers d’années.»
C’est la raison pour laquelle le modèle d’affaires de l’organisation évoluera certes pour offrir certaines choses à distance, mais que le coeur de la stratégie sera d’attirer à nouveau des congressistes à Montréal. «C’est notre raison d’être. On est là pour remplir la ville !»laisse tomber Robert Mercure.
L’évolution de la demande semble lui donner raison. Depuis le début de la pandémie (le 12 mars, au Québec), le Palais des congrès de Montréal a confirmé 166 événements (dont 11 congrès à teneur internationale et 13 expositions) dans la métropole.
Non seulement des organisations tiennent-elles à tenir plus tard les événements reportés depuis un an, mais d’autres organisations ont aussi fait des réservations pour des événements qui auront lieu dans les prochaines années à Montréal.
Stéphane Boudreau, propriétaire de l’Hostellerie Baie bleue — Centre des congrès de la Gaspésie, à Carleton-sur-Mer, est sur la même longueur d’onde que Robert Mercure:les événements en personne doivent demeurer au coeur du modèle d’affaires de l’industrie, surtout pour les petits centres de congrès privés comme le sien.
«À eux seuls, nos congrès ne sont pas rentables. Il faut que les congressistes louent des chambres et mangent à notre restaurant, sans parler des verres pris au bar pour le développement des affaires.» Selon lui, les événements virtuels ne procurent pas non plus de retombées économiques locales. «Si les gens assistent à des événements à distance, qui magasinera dans les commerces locaux?»
7. Ne renoncez pas trop vite au développement des affaires en personne
Le verdict est sans appel:les technologies de télécommunications — Teams, Zoom, etc. — sont efficaces pour réaliser une foule de choses à distance, et ce, de la rédaction de rapport aux réunions en passant par le développement des affaires à l’étranger.
Prenez l’exemple du fabricant de produits de mobilité Savaria. Le 27 janvier, la multinationale québécoise a fait l’acquisition de la suédoise Handicare Group au coût de 521 millions de dollars (M$) canadiens.
Or, une bonne partie des vérifications nécessaires — ou le processus due diligence — se sont faites principalement à distance, raconte le vice-président des opérations Sébastien Bourassa.
«Il y a moyen de se débrouiller, dit-il. Nous avons interviewé la haute direction en Suède par Teams, ce qui nous a permis de constater que c’était une bonne équipe et qu’on pouvait donc aller de l’avant avec cette acquisition.»Bien entendu, des consultants locaux ont visité des usines de Handicare Group afin de vérifier certaines choses.
Par contre, interviewer la direction d’une entreprise convoitée à distance était une première pour Savaria, et certainement pas une dernière, selon Sébastien Bourassa. Pour autant, l’entreprise québécoise ne renoncera jamais aux voyages pour le développement des affaires lorsque la pandémie sera terminée.
«C’est également important d’aller voir les clients ou voir l’aménagement de nos usines à l’étranger», insiste le vice-président des opérations de Savaria.
En octobre, le PDG du transporteur aérien United Airlines, Scott Kirby, a peut-être mieux que quiconque résumé la raison pour laquelle les voyages d’affaires sont loin d’être morts — il prévoit un retour à un volume prépandémie en 2024.
C’est une sorte de mantra qu’il répète depuis quelque temps, en parlant de Zoom:«J’aime dire que la première fois qu’une personne perdra une vente au profit d’un concurrent qui se présentera en personne, ce sera la dernière fois qu’elle essaiera de faire un appel de vente sur Zoom.»
8. Réduisez l’impact de la pénurie de la main-d’oeuvre grâce au take-out
La pénurie de main-d’oeuvre sera toujours un casse-tête pour les entreprises après la pandémie. Plusieurs d’entre elles miseront sur des gains de productivité ou le partage de ressources spécialisées (par exemple, un comptable) pour limiter les dégâts.
D’autres sont en train de déployer des stratégies qui misent sur une veille pratique, devenue très tendance depuis le début de la pandémie: le take-out.
C’est notamment le cas de La Cage aux sports (propriété du Groupe Sportscene), qui est en train de réaménager graduellement ses restaurants pour créer des espaces réservés aux commandes à emporter.
Avant la pandémie, 95 % des revenus d’un restaurant étaient réalisés dans la salle à manger, tandis que 5 % provenaient des commandes à emporter. La Cage aux sports vise désormais une proportion d’environ 75% (pour la salle à manger) et 25 % pour les commandes à emporter (qui inclura des plats à cuisiner à la maison).
«Nous voulons retrouver nos mêmes niveaux de revenus quand la pandémie sera terminée, soit de 3,2 M$à 3,3 M$par établissement, mais de manière différente», souligne le patron du Groupe Sportscene, Jean Bédard. Selon lui, cette stratégie est doublement bénéfique pour la chaîne de restaurants.
D’une part, elle permet de réduire le besoin de main-d’oeuvre dans les restaurants, pour le service aux tables, puisque le quart de la clientèle viendra à terme chercher sa commande. D’autre part, elle permet de profiter de l’engouement pour le take-out, qui a débuté bien avant la pandémie, notamment chez les milléniaux, souligne Jean Bédard.
S’ouvrir aux possibilités de l’«avec-COVID»
Abattre les murs de son usine pour occuper les bureaux administratifs, diminuer sa dépendance aux fournisseurs, se doter d’un expert en gestion du risque sanitaire… Un an après le début de la pandémie, les entreprises ont compris que le virus était là pour rester de manière endémique et ont recours à différentes stratégies pour prospérer dans cette nouvelle réalité.