Abondante et bon marché, notre électricité sera rare et chère
Jean-Paul Gagné|Mis à jour le 18 juin 2024Quand le vent souffle et que les pales des éoliennes tournent, Hydro-Québec ferme des vannes et laisse monter l’eau derrière ses barrages, accumulant ainsi de l’énergie. (Photo: 123RF)
FILIÈRE BATTERIE. « J’aurais aimé l’avoir, mais il y avait un prix, un support qu’il fallait donner », a commenté Pierre Fitzgibbon après l’annonce de l’investissement de Honda en Ontario, où le constructeur de voitures prévoit installer un complexe intégré de quatre usines, dont l’une assemblera des voitures électriques.
Décodons. La vraie raison de la non-concurrence du Québec dans ce marchandage est le manque d’électricité. Honda aurait eu besoin de 300 à 400 mégawatts (MW). Québec en a déjà beaucoup promis pour sa filiale batterie, soit à des entreprises comme Northvolt, GM, Ford, Volta, etc., mais aussi aux sociétés minières Nouveau Monde Graphite et Nemaska Lithium. Pierre Fitzgibbon a aussi attribué des blocs importants à TES Canada, Air Liquide et Greenfield Global, qui veulent produire de l’hydrogène vert.
Ministre de l’Économie et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon a un très difficile arbitrage à faire face aux milliers de mégawatts demandés par des entreprises industrielles d’ici et d’ailleurs. Le Québec est actuellement très attrayant à cause de l’abondance de son hydroélectricité et de ses ressources minérales, de son économie diversifiée, de la qualité de sa main-d’œuvre, de sa stabilité politique, de sa paix sociale et de sa proximité du marché américain. Et il le deviendra encore plus avec le réchauffement de la planète, comme l’indique l’attrait des pays nordiques pour les migrants.
En novembre dernier, le ministre a accepté d’allouer 956 MW d’électricité à 11 projets sur plus de 150 requêtes totalisant 30 000 MW. Des demandes avaient été faites pour 57 blocs de 50 MW et plus, alors qu’il n’y en avait eu qu’une en 20 ans pour cette quantité (pour la mine Canadian Malartic). Le ministre examinait quelque 140 demandes au moment où ces lignes étaient écrites, parmi lesquelles il devrait n’en retenir qu’un nombre très limité.
Le Québec fera face à une pénurie d’électricité dès 2027, d’où l’urgence de produire de l’énergie éolienne, qui se combine parfaitement avec l’hydroélectricité. Quand le vent souffle et que les pales des éoliennes tournent, Hydro-Québec ferme des vannes et laisse monter l’eau derrière ses barrages, accumulant ainsi de l’énergie.
Outre les 3932 MW de capacité de production éolienne déjà installée, Hydro-Québec a autorisé 14 projets en cours, pour un total de 2850 MW de puissance brute, qui deviendront disponibles entre le 1er décembre 2026 et le 1er décembre 2029. Les éoliennes ont un facteur d’utilisation de 35 % à 40 % et l’énergie obtenue est de 15 % à 17 % de la puissance installée.
Le plan d’action 2035, présenté par Michael Sabia, prévoit l’ajout de 10 000 MW de puissance installée d’énergie éolienne, soit de 1500 MW à 1700 MW en équivalent d’énergie utilisée. Il y a encore beaucoup d’endroits où on peut installer des éoliennes, notamment sur de grands réservoirs d’eau que possède Hydro-Québec, ou à proximité. On en construit en mer en Europe et aux États-Unis.
Contrats américains
Alors que nous pourrions manquer d’électricité pour nos besoins si on ne réduit pas notre consommation, une partie de la nouvelle production sera acheminée aux États-Unis. Négociés à l’époque où Hydro-Québec disposait d’importants surplus, les contrats qui alimenteront la ville de New York et six États de la Nouvelle-Angleterre représentent près de 20 térawattheures (TWh) d’énergie. Les 10,4 TWh d’électricité destinés à New York seront livrés pendant 25 ans à compter de mai 2026 par la ligne Champlain Hudson Power Express avec une exigence de livraison minimale de 80 % et sans engagement de puissance minimale pendant l’hiver.
L’autre contrat prévoit 9,45 TWh d’énergie livrable en tout temps pendant 20 ans à compter de décembre 2025. Le transport se fera par le New England Clean Energy Connect jusqu’ à Lewiston, dans le Maine, d’où l’énergie sera redistribuée vers les réseaux des États clients.
Ces contrats rapporteront respectivement 30 milliards de dollars (G $) sur 25 ans et 20 G $ sur 20 ans. Fait intéressant, grâce à leur bidirectionnalité, les deux lignes de transport pourront ramener de l’énergie américaine vers le Québec lorsque la production d’énergie éolienne à venir en Nouvelle-Angleterre deviendra excédentaire en hiver. Cette énergie, dont les États américains veulent accroître la production, sera modulable avec la production d’hydroélectricité d’Hydro-Québec.
Plan audacieux
La capacité d’Hydro-Québec de répondre aux besoins de l’économie québécoise et de ses clients extérieurs dépendra de la réalisation de l’audacieux plan d’action 2035 de Michael Sabia.
Ce plan prévoit l’ajout de 60 TWh d’énergie d’ici 2035, soit de 8000 à 9000 MW de puissance additionnelle (dont 3800 MW à 4200 MW en hydroélectricité), 5000 km de nouvelles lignes de transport, des investissements de 45 G $ à 50 G $ pour la pérennisation du réseau et un important programme d’économie d’électricité. Total des investissements prévus : environ 200 G $ d’ici 2035. Main-d’œuvre requise : 35 000 travailleurs de la construction par année en moyenne.
La réalisation de ce plan dépendra aussi de la capacité du gouvernement à faire accepter l’ambitieux projet de loi que concocte Pierre Fitzgibbon. Celui-ci sera présenté avant l’été, ce qui permettra aux citoyens d’en discuter et au gouvernement d’évaluer l’acceptabilité sociale des mesures sévères souhaitées par M. Fitzgibbon pour réduire la consommation d’électricité, que l’on gaspille allègrement.
Selon la Régie de l’énergie du Canada, chaque Québécois a utilisé 24 MWh d’électricité en 2019, comparativement à 15 MWh pour chaque Canadien. Ce gaspillage doit cesser à la fois pour protéger l’environnement et à cause de la forte croissance de la demande d’électricité partout en Amérique du Nord, notamment par les centres de traitement de données.
Ce projet de loi proposera aussi la production privée d’électricité par les entreprises pour leurs besoins, mais peut-être aussi pour en revendre à des voisins. On y traitera aussi d’autres formes d’énergie, dont le gaz naturel renouvelable, le solaire et le nucléaire, dont il faudra débattre un jour. « Pas de planète carboneutre en 2050, sans nucléaire », soutient Pierre Fitzgibbon.
Le Québec est à un tournant pour son approvisionnement en électricité. D’abondante et peu chère, celle-ci deviendra plus rare et beaucoup plus chère. Un gros défi que nous ne voulons pas voir, mais que nous devrons confronter éventuellement.
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Cet article a initialement été publié dans l’édiditon papier du journal Les Affaires du 8 mai 2024.