La semaine dernière, mon pèlerinage budgétaire vers Ottawa m’a mené vers deux découvertes de nature «touristique».
J’ai constaté d’abord que dès 17h30, il n’y a pas moyen de se sustenter à la gare d’Ottawa autrement qu’à l’aide d’un sandwich «Gourmet» acheté dans une machine distributrice. Passé une certaine heure, alors qu’il fait encore jour, il faut accepter l’idée de se nourrir de pain ramolli par la condensation, garni de fromage orange et de viande séparée mécaniquement. C’est ainsi que le voyageur se remplit l’estomac à la gare de train de la capitale de ce grand pays qu’est le Canada.
J’ai également appris l’existence d’une ville nommée «Ajax». Les habitués de la 401, à l’approche de Toronto en provenance de l’est, ont déjà vu ce nom sur un panneau de signalisation, le long de l’autoroute. Je n’ai jamais eu cette chance.
Les rares fois où je me suis rendu dans la Ville-Reine, c’était en avion. Alors quand j’ai lu dans le document budgétaire fédéral la phrase Anita veut acheter un nouveau condo à Ajax, j’ai d’abord cru qu’Anita était la mère d’Ajax à qui elle voulait offrir un condo. Il faut dire que le récit d’Anita semblait légèrement surréel, ce qui confortait mon idée qu’une mère puisse baptiser son fils (ou sa fille) Ajax. Qui d’ailleurs s’étonne encore des prénoms d’enfant à coucher à dehors?
L’anecdote fictive tirée du dernier budget de Bill Morneau avait pour objectif d’illustrer l’effet de la nouvelle trouvaille fédérale en matière d’accès à la propriété: l’Incitatif à l’achat d’une première propriété.
Ajax n’est donc pas un enfant gâté, mais une ville bien réelle de la banlieue de Toronto, un endroit où les condos ne sont apparemment pas donnés. Quelque 400 000$, c’est ce qu’a payé Anita dans cette touchante histoire écrite par les employés du ministère des Finances. Cela m’a tourmenté, comme l’aurait fait un personnage de roman auquel je me serais attaché.
Pauvre Anita! Elle risque de trouver le temps long. Dans sa tour de copropriétés, j’espère qu’elle se fera des amies avec qui elle pourra jouer au Monopoly, seule occasion qui lui restera sans doute pour manipuler de l’argent, même factice. Après avoir payé ses mensualités hypothécaires, sa contribution au fonds de prévoyance, les taxes foncières, son auto, ses factures et son épicerie, il ne doit plus lui rester grand-chose pour aller veiller en ville, même avec la nouvelle patente du fédéral qui, dans le récit, augmentera son budget discrétionnaire de 228 piastres par mois.
Pour être admissible à l’incitatif, Anita ne doit pas gagner plus de 120 000$ par année, c’est une condition. Avec une mise de fonds de 5%, elle doit tout de même pouvoir compter sur un salaire oscillant autour de 110 000$, et pour autant que sa situation financière soit impeccable, afin de se qualifier pour l’hypothèque nécessaire à l’achat d’un logement de 400 000$. Ce que je veux souligner ici, c’est qu’une personne doit gagner suffisamment d’argent, mais pas trop non plus, pour acquérir une copropriété à une cinquantaine de kilomètres du centre de Toronto avec le soutien financier de la SCHL, la main par laquelle le fédéral veut extirper les jeunes comme Anita de leur méprisable condition de locataire.
Beaucoup de détails au sujet du nouvel «Incitatif à l’achat d’une première propriété» demeurent inconnus. Ce que l’on sait, c’est que la SCHL participera au financement à l’achat d’une première maison, à hauteur de 5% de la valeur de la transaction sur le marché de la revente et de 10% pour une habitation neuve. Le problème auquel veut répondre cette mesure est l’accès à la propriété, restreint par des prix qui ont explosé en certains endroits.
Ce problème se concentre à Vancouver, à Toronto et, dans une moindre mesure, dans les quartiers centraux de Montréal. Ici, il touche essentiellement les familles, car elles ont besoin d’espace. Dès qu’on s’éloigne des marchés «chauds», on ne trouve plus trop d’obstacles à l’achat d’une maison, la preuve étant que les jeunes parents qui travaillent à Montréal, si on s’en tient au Québec, s’installent en masse dans des banlieues comme Mascouche, Carignan ou Coteau-du-Lac (aussi loin de Montréal qu’Ajax l’est de Toronto).
On peut déjà prévoir que l’initiative d’Ottawa réglera difficilement le problème auquel elle est supposée s’attaquer. En fait, le temps le confirmera, elle risque au contraire de l’étendre.
Une famille qui désire s’installer dans un quartier central de Montréal a peu de chance de voir son projet facilité par l’aide financière de la SCHL. Les habitations répondant aux besoins d’un ménage de trois personnes sont si chères que le revenu nécessaire pour acquérir un tel logement surpasse bien souvent la limite d’admissibilité du nouveau programme. Un ménage ne doit pas gagner plus de 120 000$, mais il faut une rémunération supérieure pour se faire accorder l’hypothèque nécessaire à l’achat d’un logement suffisamment grand pour satisfaire deux adultes et un enfant. Imaginez à Toronto et à Vancouver…
Dans la région de Montréal, le nouveau programme pourrait en fait alimenter des tendances depuis longtemps bien installées. Il aidera les célibataires et les couples sans enfant à acquérir des petits condos neufs à Montréal, et autant les familles de la sacro-sainte classe moyenne à faire ce qu’elle fait déjà si bien: migrer vers la banlieue.
En d’autres mots, ça ne changera pas grand-chose par rapport à maintenant, sinon d’accroître la demande là où elle est déjà forte, donc, possiblement, de soutenir la hausse des prix là où l’immobilier reste encore accessible.
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>>Aussi: Quel salaire faut-il pour acheter un logement à Montréal?
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