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DROIT DES AFFAIRES. Une entreprise est loin d’être une entité figée dans le temps. Les dirigeants peuvent redéfinir sa structure à certaines étapes de son existence, afin de réagir à des événements ou de répondre à de nouveaux besoins. Les avocats jouent un rôle clé dans ces démarches.
Le terme de « réorganisation corporative » constitue en fait une expression fourre-tout regroupant plusieurs changements qui viennent affecter ou transformer la structure d’une société. Elle peut concerner des modifications dans l’actionnariat ou dans la convention d’actionnaires, l’intégration d’employés clés dans l’actionnariat, la création d’une société de gestion ou encore celle d’une fiducie familiale.
« Dans un contexte où l’on amorce une grande période de transferts de PME en raison du départ à la retraite de plusieurs entrepreneurs, la fiducie familiale — qui permet de diminuer l’impact fiscal sur les résultats de la vente — représente l’une des réorganisations corporatives que l’on voit le plus », affirme Me Stéphanie Auclair, avocate associée du cabinet Exactus, à Québec.
Bien qu’elle soit à la mode, l’instauration d’une fiducie familiale n’est pas toujours nécessaire. Son besoin ne se fait pas non plus sentir à la même étape de la vie de toutes les entreprises. Beaucoup d’entrepreneurs se voient conseiller d’en former une très rapidement. « Mais en fait, en début de parcours, il est souvent trop tôt pour savoir s’ils en auront besoin, note Me Auclair. Or, créer, maintenir et administrer une fiducie familiale entraîne des frais chaque année. C’est justement le rôle de l’avocat d’affaires de s’assurer que cette solution répond aux impératifs de l’entrepreneur. »
Cela illustre bien, selon elle, le fait que l’avocat d’affaires ne s’occupe pas uniquement des questions juridiques. Il agit aussi comme conseiller stratégique, pour éviter notamment aux entrepreneurs de se laisser emporter par un changement à la mode qui ne leur convient pas réellement. « Nous accompagnons certains clients pendant des années, nous les connaissons bien, ainsi que leur entreprise et leur famille, souligne l’avocate. Nous devenons donc des alliés importants. »
Elle ajoute que les propositions de réorganisations corporatives viennent très souvent des fiscalistes et des comptables. L’avocat doit toutefois rester vigilant pour s’assurer que leurs plans respectent les réglementations, par exemple pour les dirigeants d’entreprise qui sont membres d’un ordre professionnel. Il doit ensuite exécuter le changement. « Le fiscaliste est un peu l’architecte de la réorganisation, alors que l’avocat en est l’entrepreneur général », illustre-t-elle.
Prendre le temps
« En plus de vulgariser les enjeux juridiques et fiscaux pour leurs clients, les avocats d’affaires agissent comme coordonnateurs des multiples intervenants – banquiers, comptables, fiscalistes, etc. – qui participent à une réorganisation corporative », ajoute pour sa part Me Sylvie Bougie, fondatrice de VIGI Services juridiques, à Québec.
L’expertise de l’avocat lui permet notamment d’avoir une vue plus large de la réorganisation et d’en contrôler les impacts, qui peuvent parfois surprendre. Un changement d’actionnaires de contrôle d’une société par actions peut par exemple avoir un effet sur le bail commercial, lequel comprend occasionnellement une clause de défaut en cas de modification de contrôle.
Me Sylvie Bougie constate deux erreurs encore trop fréquentes chez les entrepreneurs qui envisagent des réorganisations corporatives. Certains se précipitent et analysent mal leurs besoins. D’autres négligent les impacts, notamment fiscaux, de la transformation sur le long terme. « Notre rôle consiste justement à imaginer toutes les éventualités et à les présenter aux clients, quitte à remettre en question leurs intentions de départ », explique Me Bougie.
Le facteur émotif
De son côté, Me Stéphanie Auclair rappelle que parfois, une réorganisation corporative peut devenir une opération particulièrement émotive. Si les changements proposés servent à préparer la vente de la société que l’entrepreneur a fondée, par exemple, ou sont réalisés en raison d’une maladie grave ou du décès d’un actionnaire, forcément, l’intensité des d’émotions sera plus élevée que si l’on souhaite simplement mettre des actifs à l’abri ou optimiser sa fiscalité. « En tant qu’avocate, je dois me montrer très sensible à cela et encore trop de gens sous-estiment l’impact émotif de ce type de modifications », soutient-elle.
Elle ajoute que la pandémie a imposé un virage net vers les outils numériques, notamment les visioconférences. Cela a certes facilité certaines opérations, par exemple en réduisant les inconvénients du transport. Mais elle y voit aussi un aspect moins enthousiasmant. « On perd beaucoup le contact direct avec nos clients dans ces contextes, ce qui est très dommage, s’attriste-t-elle. Rien ne bat le fait d’être présent sur place avec les clients à une séance de signature ou de clôture. Cet aspect plus humain et plus émotif nous manque en ce moment. »