Deux écoles de pensée s’opposent: désinvestir les actifs les plus polluants ou accompagner ces industries dans leur processus de transformation énergétique? (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Dans le vaste univers de l’investissement responsable, deux écoles de pensée s’opposent. Devrions-nous désinvestir des actifs les plus polluants (pétrolières, cimenteries, transports, extraction minière, etc.), ou devrait-on plutôt accompagner ces industries dans leur processus de transformation énergétique?
La crise climatique retient de plus en plus l’attention du public et des grands détenteurs d’actifs. Dans ce contexte, les investisseurs soucieux de leur environnement cherchent à réduire l’empreinte carbone de leurs investissements. Une option simple, autant sur le plan de l’exécution que de la communication, consiste à simplement désinvestir des secteurs d’activité les plus polluants.
En réallouant notre capital d’un actif polluant vers un actif plus « vert », nous encourageons la transition vers les énergies renouvelables et nous pénalisons les industries plus polluantes. Une belle solution sur papier, qui illustre de façon claire et efficace notre volonté d’agir pour la planète en tant qu’investisseur. Mais en pratique, quel est l’impact d’un tel désinvestissement?
Un acheteur et un vendeur
Lorsqu’on décide de vendre un actif, quelqu’un d’autre l’achète. Même si comme investisseur responsable, un individu vend ses actions d’une entreprise pétrolière afin de réallouer son capital vers un autre actif moins polluant, quelqu’un d’autre prendra possession de ses actions et l’entreprise pétrolière continuera d’opérer, d’émettre des gaz à effet de serre et de polluer la planète.
Si plusieurs investisseurs décident de vendre leurs actifs polluants, cela peut créer de la pression à la baisse sur le prix des actions et augmenter le coût de financement des compagnies. Conséquemment, le désinvestissement finit par avoir un effet mesurable sur les opérations des entreprises affectées.
Toutefois, si les nouveaux acquéreurs de ces actifs polluants n’ont pas les mêmes considérations environnementales que les vendeurs, ceux-ci pourraient contribuer à ralentir les efforts de réduction des émissions carbone de ces entreprises, ou même renverser la tendance. Imaginons un instant si tous les investisseurs pour qui l’environnement est important décidaient de vendre leurs placements reliés aux énergies fossiles. Qui resterait-il pour détenir ces actifs?
Probablement d’autres investisseurs qui ont moins à cœur les niveaux d’émission des gaz toxiques. Des actionnaires qui demanderaient moins de comptes aux entreprises sur leurs pratiques environnementales, sur les mesures de transition net zéro et sur les impacts relatifs aux écosystèmes et à la biodiversité. Est-ce vraiment un scénario souhaitable?
Accompagnement et engagement
Une approche alternative, moins immédiate et certainement moins intuitive, consiste plutôt à maintenir une exposition à ces industries plus polluantes afin d’influencer et d’accompagner les entreprises vers une économie plus sobre en carbone. Autrement dit, accepter de maintenir des placements moins séduisants dans son portefeuille responsable, sans pour autant perdre de vue ses objectifs à long terme.
En demeurant actionnaires d’un actif polluant, nous avons le pouvoir et le devoir de nous engager avec l’entreprise envers cet objectif commun qui est la transition net zéro. Être actionnaire permet d’influencer les actions et les orientations des entreprises, d’exiger de la transparence et des plans clairs de réduction des gaz à effet de serre. Des efforts qui engendrent des résultats concrets pour l’environnement.
L’engagement actif nécessite certes plus de travail de la part d’un investisseur. Toutefois, pour quelqu’un qui a l’environnement à cœur, cela permet d’assurer un certain contrôle sur les actions à suivre. Un contrôle qui est beaucoup moins direct lorsqu’on choisit la voie du désinvestissement.
Impact direct et indirect
Lorsqu’on évalue les émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise, le premier réflexe est de considérer les émissions directement reliées aux activités de la compagnie (appelées émissions de portée 1) ou à sa consommation d’électricité (appelées émissions de portée 2).
Toutefois, afin d’assurer une saine transition vers une économie verte, il faut également considérer les émissions indirectes reliées aux activités d’une entreprise (appelées émissions de portée 3). Cela inclut, entre autres, les émissions en amont et en aval des produits et services d’une entreprise, les déplacements des employés, les émissions dites « financées » par les institutions financières, etc.
Par exemple, une banque n’émettra normalement que peu d’émissions directes de gaz à effet de serre (émissions de portée 1 et 2). Toutefois, si celle-ci finance des entreprises polluantes, son empreinte carbone totale pourrait être très élevée en considérant l’ensemble des émissions de portée 3.
Désinvestir des industries très polluantes, comme les énergies fossiles ou l’extraction minière, peut alors sembler bien modeste comme stratégie si nous réallouons ensuite notre capital vers d’autres industries qui financent, utilisent ou bénéficient de ces mêmes secteurs polluants. Afin de bien comprendre les impacts environnementaux d’une entreprise, il est important de considérer l’ensemble de ses activités, de sa chaîne d’approvisionnement et de ses produits et services.
Un équilibre à atteindre
Il ne fait aucun doute, les pressions des investisseurs envers les entreprises polluantes vont aller en augmentant en cours des prochaines années. Avec l’urgence climatique qui frappe de plus en plus fort à nos portes, le public et les actionnaires exigent de la transparence et des actions claires de la part des grands pollueurs.
Devant ces défis, plusieurs détenteurs d’actifs optent pour le désinvestissement de certaines industries. Un geste fort qui envoie un message clair aux entreprises polluantes, qui devront se réinventer afin de survivre à la transition énergétique. Toutefois, à moins que plus personne ne veuille de ces actifs et que les entreprises polluantes ne cessent d’exister immédiatement, d’autres investisseurs continueront d’acheter les actions de ces grands pollueurs et auront ainsi un pouvoir d’influence.
En tant qu’investisseurs responsables, nous avons le choix: devrions-nous désinvestir des actifs polluants, ou bien continuer d’y jouer un rôle d’engagement et d’accompagnement? Dans un contexte de transition vers une économie sobre en carbone, mieux vaut être seul ou mal accompagné?
Et vous, quel type d’investisseur êtes-vous?
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