«Wirecard était finalement peut-être que le commencement d’un conflit de grande envergure dans lequel les entreprises jouent un rôle déterminant.» (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Skandal ! La chute de Wirecard, un documentaire lancé récemment par Netflix et basé sur le livre Money Men: A Hot Startup, A Billion Dollar Fraud, A Fight for the Truth du journaliste du Financial Times, Dan McCrum, raconte l’histoire incroyable de cette entreprise allemande (Wirecard) — de sa déchéance, de sa faillite et de l’arrestation de son PDG Markus Braun — quelques années après avoir atteint les sommets des marchés boursiers et du monde des affaires allemand.
Mais surtout, l’histoire de Wirecard dépasse celle d’une « simple » fraude commise par quelques individus sans scrupule. L’ascension stratosphérique et la descente subséquente de Wirecard dévoilent comment une entreprise, adorée par les médias, les investisseurs et le monde des finances, peut servir d’outil pour les services de renseignements au sein d’une guerre de nature économique, même en temps de paix, entre les grandes puissances de ce monde.
L’infiltration de Wirecard par les services de renseignements russes
Au-delà des comptes frauduleux de Wirecard, on sait aujourd’hui que les services de renseignements de différents pays, notamment la Libye, l’Allemagne, l’Autriche et même les États-Unis, gravitaient autour de l’entreprise. De plus, le chef des opérations, Jan Marsalek — qui était, vraisemblablement, un agent des services de renseignements russes — utilisait l’entreprise comme une couverture pour faciliter certaines opérations de renseignements en Europe, dont en Allemagne, et même pour des opérations paramilitaires en Libye.
En plus d’écrire de faux contrats, de dissimuler ses activités commerciales et financières et surtout ses pertes, tout en manipulant les marchés et les autorités réglementaires, il semblerait qu’à un certain moment, Wirecard soit devenue principalement une coquille au service de Marsalek et des services de renseignements russes — et peut-être même autrichiens et allemands.
Il existe plusieurs raisons pour lesquelles une agence de renseignements voudrait infiltrer une entreprise légitime comme Wirecard pour la contrôler de l’intérieur. L’une d’entre-elles, relativement courante pour les services de renseignements, est de masquer le financement et la nature de certaines opérations clandestines dans des pays ennemis ou alliés.
Objectif: déstabiliser l’économie allemande
La taille atteinte par Wirecard, soit de son influence au sein de l’économie allemande ainsi que sur les marchés boursiers (sa valorisation a atteint un sommet approximatif de 36 milliards de dollars [G$]) et de l’intérêt qu’elle suscitait chez les investisseurs (le fameux fonds d’investissement SoftBank y avait injecté plus de 1,2 G$ en 2019), pourrait laisser envisager que de telles entreprises — des marionnettes contrôlées par des agences de renseignement ennemi — ont comme objectifs non seulement de cacher certaines opérations clandestines, mais de déstabiliser l’économie d’un pays ou d’une région. De plus, on estime à 4 G$ les pertes des créanciers de l’entreprise, dont près de 1,75 G$ empruntés à une quinzaine de banques.
Les dommages ne sont pas que financiers, quand on pense à la réputation entachée du monde des affaires, de la classe politique, des agences de renseignement et même de la diplomatie allemande alors que même la chancelière à l’époque, Angela Merkel, faisait la promotion de Wirecard lors de ses visites officielles dans des pays étrangers.
Non seulement les épargnants et les investisseurs qui ont eu la malchance de détenir des actions de Wirecard ne récupéreront sûrement jamais les fonds engloutis, mais la faillite imminente de l’entreprise posait le risque réel de déstabiliser le secteur financier alors que le gouvernement allemand avait sérieusement considéré secourir Wirecard même après que ses comptes frauduleux soient dévoilés, de peur que l’entreprise entraîne avec elle un pan de l’économie allemande, en pleine pandémie de surcroît.
En se basant sur l’information disponible, rien ne laisse croire que Jan Marsalek et son réseau d’acolytes avaient comme objectif de déstabiliser l’économie allemande ou même de créer une crise financière aux répercussions potentiellement significatives, et par le fait même, d’affaiblir ce pays au sein d’une confrontation latente entre l’Europe et la Russie, avant même la guerre en Ukraine. Mais à la lumière de la guerre économique que se mènent l’Occident et la Russie aujourd’hui, ceci devient une possibilité envisageable.
De Wirecard à Gazprom et la guerre en Ukraine
La guerre en Ukraine met ouvertement en évidence l’aspect économique d’une guerre conventionnelle alors que les puissances occidentales utilisent leur puissance financière et leur système bancaire, notamment, pour imposer une multitude de sanctions économiques sévères et préjudiciables à l’économie russe.
De son côté, la Russie, par l’entremise de l’entreprise Gazprom, détenue à plus de 50 % par le Kremlin, a annoncé qu’elle cessera l’approvisionnement de l’Europe, et ce, alors que l’hiver pointe du nez. Si nous nous sentons solidaires des Européens, qui devront choisir entre le froid et une facture d’électricité salée, l’objectif de Moscou est également et surtout de faire augmenter en flèche les coûts de production et de ralentir l’industrie lourde allemande, cœur de l’économie de ce pays et de l’Europe.
Wirecard, carrefour des espions du monde et aussi incroyable que son histoire puisse paraître, était finalement peut-être que le commencement d’un conflit de grande envergure dans lequel les entreprises jouent un rôle déterminant.