Agriculture urbaine: des melons d’Oka à l’ancien hippodrome
Diane Bérard|Mis à jour le 11 juillet 2024Cet été, la Ville de Montréal déploie un nouveau projet d'urbanisme transitoire. Des arbres, des légumes, un fruit et du miel pour sur le terrain de l'ancien Hippodrome. (Photo: Ville de Montréal)
BLOGUE. Je ne suis allée qu’une fois à l’Hippodrome Blue Bonnets. C’était une demande de ma mère. Fan finie de billets de loterie – nous en avions dans nos bas de Noël – elle rêvait d’essayer un autre type de pari. Cet après-midi ne m’a pas permis de rembourser mon hypothèque… mais l’enthousiasme de ma mère valait le coup.
L’Hippodrome a cessé ses activités en 2009. Le site de 434 756,8 mètres (77 terrains de football canadiens) a été cédé à la Ville de Montréal. Et les bâtiments démolis. Pendant dix ans, ce fut un immense désert.
Plus maintenant! Entre juin et novembre 2019, une partie de ce désert immobilier prendra vie, pour contrer, entre autres, le désert alimentaire des citoyens des quartiers avoisinants.
Trois projets d’occupation temporaire pour les terrains de l’ancien Hippodrome Blue Bonnets
L’administration municipale montréalaise a autorisé les trois projets suivants :
-Un projet d’agriculture urbaine et de sécurité alimentaire, mené par la Société environnementale de Côte-des-Neiges, la Cafétéria communautaire Multicaf et le Dépôt Centre communautaire d’alimentation. Ces organismes recevront une contribution de 52 500$ de la municipalité.
Ce projet consiste à cultiver le melon d’Oka et des légumes autochtones (maïs et haricots). Les récoltes seront distribuées à des OBNL pour agir sur la sécurité alimentaire des populations voisines. Des activités publiques sont aussi prévues: corvée de préparation du terrain, fête des récoltes, journées éducatives);
-Un projet de foresterie urbaine, mené par l’OBNL Soverdi. Ce projet permettra de planter des arbres, de façon temporaire ou permanente, ainsi que d’entreposer des arbres et arbustes, pour être plantés sur le site ou dans l’arrondissement. Soverdi bénéficie d’une subvention de 30 250$.
Ce projet contribue à l’accroissement du couvert végétal, au captage du carbone et à limiter les effets des îlots de chaleur. Et, tout comme le projet d’agriculture urbaine précédent, la foresterie urbaine favorise le développement d’un sentiment d’appartenance chez les citoyens. C’est d’ailleurs une des fonctions de l’usage transitoire: créer un sentiment d’appartenance envers un lieu qui, parce que laissant vacant longtemps, a été oublié de la population. L’animer de façon temporaire permet aux citoyens d’envisager sa renaissance;
-Un projet d’apiculture urbaine, piloté par la coopérative de solidarité Miel Montréal.
Celle-ci installera deux ruches, plantera un aménagement mellifère et créera un milieu de vie favorable aux insectes pollinisateurs. Pour ce faire, Miel Montréal recevra une subvention de 24 863$. Ce projet vise un double but: la production de miel et la biodiversité urbaine.
L’animation du site de l’Hippodrome est un des quatre projets montréalais d’occupation transitoire dont j’ai discuté avec Éric Alan Caldwell, conseiller municipal d’Hochelaga, responsable de l’urbanisme, de la mobilité et de l’Office de consultation publique de Montréal.
Qu’est-ce que l’urbanisme transitoire?
«C’est une pratique qui permet de révéler le potentiel d’un lieu vacant, répond Éric Alan Caldwell. On convient que l’usage est temporaire. À terme, un autre usage est prévu, ou à définir, pour le lieu.» Il poursuit, «L’occupation transitoire permet de tisser des liens entre les acteurs d’une communauté. Ils se rencontrent, ils cohabitent et ils testent ensemble des idées pour en évaluer les avantages et les limites.»
Parfois, les usages définitifs n’ont rien à voir avec les usages temporaires. Parfois, leur succès suscite l’intérêt de promoteurs qui choisissent de s’investir dans le dossier et d’en pérenniser l’usage.
Le Projet Young: tester l’entrepreneuriat et l’innovation sociale
Pour ses projets d’occupation transitoire, la Ville de Montréal a retenu deux vocations principales: l’économie sociale et la culture. Le Projet Young appartient à la première catégorie. Ce fut le premier projet d’occupation transitoire déployé par Montréal. C’est le fruit d’un partenariat entre l’OBNL Entremise, la Ville de Montréal, la Maison d’innovation sociale et le programme Cities for People, de la Fondation McConnell.
Depuis mars 2018 – et pour une période de 22 mois – cet immeuble de Griffintown accueille la Maison d’innovation sociale, le programme Ville d’Avenir ainsi qu’une vingtaine d’organismes culturels et communautaires. «Le Projet Young permet à une foule de projets de fleurir, explique le conseiller municipal. Comme il s’agit d’un usage transitoire, ceci permet à des projets atypiques de recevoir un soutien dont ils ne bénéficieraient pas nécessairement s’ils suivaient une filière traditionnelle. L’usage transitoire offre une souplesse qui permet la diversité. Il s’agit d’une forme d’occupation à prix modique qui n’exige pas un engagement à long terme pour l’entrepreneur. Nous savons que tous ces projets ne passeront pas à l’étape suivante. Mais le Projet Young, qui dure presque deux ans, offre une stabilité suffisante aux promoteurs des projets pour tester leur idée. Et révéler si elle a le potentiel d’être pérennisée.»
Le Campus MIL: tisser des liens avec les citoyens
À l’Hippodrome, on teste l’agriculture urbaine. Le Projet Young, quant à lui, expérimente l’innovation sociale. Au Campus MIL- situé à la frontière des quartiers Parc Extension et Outremont – l’usage transitoire s’incarne par des activités d’animation. «L’université est un lieu de transmission de savoir, rappelle Éric Alan Caldwell. Au cours de l’été 2019, – la phase finale de construction du nouvel édifice – le Campus MIL a prévu un site de projets éphémères qui accueillera une série d’activités pour les citoyens.» Deux exemples: les mardis api, pour se familiariser avec les abeilles, et les mercredis agro, une combinaison de conférences, projections en plein air et marché public.
Dans le cas du Campus MIL, l’urbanisme transitoire permet au promoteur de tisser des liens avec les citoyens des quartiers qui abritent son projet.
L’Îlot Voyageur, un bureau de poste pour le 21e siècle
Ah… l’Îlot Voyageur. Cet ambitieux projet lancé en 2005 par l’UQAM devait s’autofinancer en abritant des résidences étudiantes, un pavillon universitaire et une gare d’autobus. Ce fut plutôt un gouffre qui a coûté 200M$ à Québec et 100M$ à la Société immobilière du Québec.
Depuis l’été 2018, la Ville de Montréal est propriétaire de l’édifice qui abritait la vieille gare d’autobus.
Cet été, on y testera l’occupation temporaire.
Les anciens locaux de la gare d’autobus serviront de pôle intermodal pour la livraison de colis locaux. Alors que le recours au commerce en ligne ne cesse d’augmenter, le dernier kilomètre de livraison devient un véritable casse-tête. Comment éviter la prolifération de camions de livraison dans les quartiers résidentiels et la congestion et les risques d’accident s’y rattachant? Peut-on imaginer des modes de transport plus légers pour ce dernier kilomètre?
On voit paraître des pôles intermodaux, ces points de dépôt urbains qui permettent aux camions de décharger leur cargaison pour poursuivre le travail avec des solutions plus flexibles, et souvent plus vertes: petits véhicules électriques, vélos cargo ou cueillette active.
L’usage transitoire est indiqué pour tester les besoins des citoyens et ceux des sociétés de livraison. «Et l’installation de ce pôle intermodal temporaire ne réclame pas d’aménagement complexe», ajoute Éric Alan Caldwell.
Quelques défis de l’occupation transitoire
En terminant, il importe de souligner que si l’occupation temporaire est une réponse pertinente aux enjeux relatifs à l’inoccupation des édifices, elle pose son lot de défis.
En voici quelques-uns. Ils sont tirés du document «Montréal transitoire, réflexion collective sur les usages temporaires dans les bâtiments vacants » (Ville de Montréal et Entremise), ainsi que des commentaires des panélistes (Entremise, Groupe Mach, Le Comité, Association des Marchés publics du Québec, Prével, La Pépinière) de l’événement «Occuper l’espace», organisé le 23 mai dernier par Les Affaires, lors de la conférence C2 Montréal.
-Faire valoir les avantages de rénover les édifices plutôt que de construire à neuf;
-Casser le réflexe qui consiste à tout mettre en suspend en attendant LE grand projet;
-Éviter de faire rimer usage temporaire et précarité. Y voir plutôt l’occasion d’une étude de marché;
-Mis à part le projet du Campus MIL, les projets présentés dans ce texte se déroulent tous sur des terrains ou dans des immeubles municipaux. Une situation qui se répète ailleurs dans le monde. Comment convaincre des acteurs privés de l’immobilier de tester des usages temporaires? Le Groupe Mach explore présentement cette voie, pour la Tour de Radio-Canada, lorsque celle-ci serait vidée de ses travailleurs. Le Groupe Prével tâte aussi le terrain, pour préparer la venue du quartier qu’il compte déployer autour du pont Jacques-Cartier. Dans les deux cas, il faudra arrimer les façons de faire, et l’échéancier du secteur privé avec le rythme plus collaboratif des usages transitoires;
-L’acceptabilité sociale : l’urbanisme transitoire pique la curiosité, mais il peut aussi soulever la méfiance;
-La sécurité : parfois, un usage temporaire est déployé sur un site en construction. Or, un site en construction est habituellement clôturé et interdit d’accès. Comment permettre aux locataires temporaires d’y accéder sans contrevenir aux règles de sécurité?
-La réglementation : comment encadrer les usages transitoires? On peut établir un parallèle avec les camions de rue et les boutiques éphémères.