Alors que Mary Simon emménage à Rideau Hall, des centaines d’autochtones n'ont toujours pas d'eau potable. (Photo: Getty Images)
Voici le premier blogue invité de Raphaël Melançon, consultant en affaires publiques et président-fondateur de Trafalgar Stratégies. Il analysera les décisions politiques qui ont des impacts sur le monde des affaires québécois et canadien.
BLOGUE INVITÉ. Pour la première fois depuis 1867, le Canada a une gouverneure générale d’origine autochtone. Après 154 ans d’existence, il était temps, diront plusieurs. Avec raison.
S’il faut certes applaudir cette première historique, la question demeure entière à savoir quel sera le véritable impact de la nomination de Mary Simon dans les communautés autochtones d’un océan à l’autre.
Lundi, dans un discours à saveur hautement électorale, le premier ministre Justin Trudeau a profité de la tribune qui lui était offerte au Sénat pour rappeler l’engagement de son gouvernement envers la réconciliation avec les premiers peuples. Selon lui, l’installation de Mme Simon comme gouverneure générale est un pas de plus dans cette direction. Mais a-t-on ici affaire à une tentative sincère de contribuer au mieux-être des autochtones du pays, ou plutôt à une stratégie de marketing politique savamment orchestrée à quelques semaines d’un possible déclenchement d’élections générales ?
Une fonction essentiellement honorifique
Bien que constitutionnellement central dans une monarchie parlementaire comme le Canada, le poste de gouverneur général n’en demeure pas moins une fonction dépourvue — du moins de nos jours — de tout véritable pouvoir.
Entre deux remises de médailles, une revue de la garde et une inauguration de bâtiment public, le gouverneur général a pour principale tâche de signer les projets de loi adoptés par le Parlement, étape ultime pour permettre leur entrée en vigueur. Rien de plus qu’un simple « rubber-stamping », une formalité administrative où le représentant de la Couronne n’a jamais vraiment son mot à dire, n’ayant pas la légitimité démocratique de s’opposer aux décisions du gouvernement élu par la population.
Alors, même avec les meilleures intentions du monde, si la fonction qu’elle occupe ne détient aucun pouvoir, comment Mme Simon pourra-t-elle apporter du changement concret pour les nations autochtones du Canada?
Paroles, paroles…
Les libéraux fédéraux ont été élus en 2015 sur la promesse de rétablir les ponts avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis du Canada. Six ans plus tard, dans les communautés, on attend toujours de voir comment cette nouvelle relation dite « de nation à nation » se concrétisera. Aux yeux de plusieurs, on a vu beaucoup de beaux discours à la Chambre des communes, mais trop peu d’actions sur le terrain jusqu’ici.
Et pendant que Mary Simon emménage dans le faste de Rideau Hall, des centaines d’autochtones répartis dans pas moins de 38 communautés sont toujours privés d’une commodité aussi vitale que l’eau potable. Comme quoi, les symboles sont peut-être importants, mais pour tous ceux qui attendent depuis des années d’arrêter d’être obligés de faire bouillir leur eau avant de pouvoir la boire, cette nomination ne changera malheureusement pas grand-chose aux épreuves qu’ils doivent affronter au quotidien.
La réconciliation par le développement économique
Et pourtant, les solutions aux problèmes que vivent les Premières Nations, les Inuits et les Métis d’un bout à l’autre du pays sont déjà bien connues. En 2015, la Commission de vérité et réconciliation présentait 94 appels à l’action visant à corriger les torts causés par les pensionnats autochtones et à faire progresser le processus de réconciliation. Le gouvernement Trudeau s’était alors empressé de s’engager à y donner suite.
L’une de ces recommandations concerne le développement économique des communautés autochtones. Elle réclame entre autres aux entreprises canadiennes de « veiller à ce que les peuples autochtones aient un accès équitable aux emplois, à la formation et aux possibilités de formation dans le secteur des entreprises et à ce que les communautés autochtones retirent des avantages à long terme des projets de développement économique. »
Officiellement, le gouvernement du Canada estime que cet appel à l’action ne le concerne pas sous prétexte qu’il est destiné au secteur privé. Or, Ottawa peut et doit jouer un rôle de premier plan afin de créer les conditions économiques gagnantes au bénéfice des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
Dans une vaste étude réalisée en 2016 sur la situation du développement économique dans les communautés autochtones, le Conseil canadien de l’entreprise autochtone (CCAB) a brossé un portrait détaillé de ces entreprises au pays. Sur les 1101 chefs d’entreprises sondés, plus de la moitié ont affirmé avoir éprouvé des difficultés à trouver des sources de financement, entre autres parce qu’il est souvent complexe de s’y retrouver parmi les dizaines de différents programmes offerts par le fédéral. Ce sont 45 % des répondants qui ont aussi cité le manque d’accès au crédit comme étant problématique pour leur entreprise, alors que l’absence de connexion fiable à Internet est un frein pour le développement des affaires de plus du quart d’entre elles.
Ce sont là des enjeux bien réels sur lesquels Ottawa pourrait facilement agir, par exemple en procédant à de nouveaux investissements ou en révisant certains programmes afin d’en simplifier la compréhension et réduire la paperasse bureaucratique qui empêche les entrepreneurs de se prévaloir des sommes disponibles pour soutenir leur croissance.
Soutenir l’émancipation des communautés
Le processus de réconciliation passe donc indéniablement par le développement économique. Que ce soit à travers la diversification des sources de financement, la création d’infrastructures publiques modernes (transport, télécommunications, etc.), la formation de la main-d’œuvre ou un meilleur accès aux contrats publics, les possibilités sont multiples. En stimulant l’investissement, en favorisant la création d’emplois et en engendrant des retombées économiques, on permet aux communautés de s’émanciper, d’autogénérer des revenus récurrents et ainsi, de prendre leur avenir en main avec fierté et confiance.
Au-delà des symboles, c’est à des dossiers comme ceux-là, primordiaux bien que moins « payants » sur le plan politique qu’une nomination célébrée en grande pompe et en direct à la télévision nationale, que le gouvernement libéral devrait s’attaquer en priorité.
Après des décennies de négligence et de persécution, les nations autochtones sont en droit d’attendre qu’Ottawa passe de la parole aux actes en posant des gestes forts qui feront une différence concrète et qui permettront une réconciliation économique saine et inclusive de tous, où chacun aura une chance équitable de réussir et de mieux vivre, en harmonie les uns avec les autres.
La pièce manquante
Avec la nomination de Mary Simon, Justin Trudeau est aussi venu combler un vide historique de plus de six mois à la tête de l’exécutif canadien. Il faut dire que les circonstances qui ont mené au départ hâtif de Julie Payette, en janvier dernier, exigeaient que le gouvernement fédéral s’assure, cette fois-ci, d’arrêter son choix sur un candidat dont la feuille de route est irréprochable, particulièrement en matière de relations de travail.
La nouvelle locataire de Rideau Hall étant maintenant installée, le pays a désormais un gouverneur général en titre capable, à la demande du premier ministre, de dissoudre le Parlement et d’appeler les Canadiens aux urnes.
La pièce manquante retrouvée, le jeu des élections peut enfin commencer. Il y a fort à parier que dans les prochaines semaines, Justin Trudeau ne tardera pas à aller cogner à la porte du 1, promenade Sussex.