L'exploitation de l'amiante a laissé des traces, en l'occurence des montages de résidus miniers (comme à Thetford Mines), dans le paysage de l’Estrie et de Chaudière-Appalaches. (Photo: Claude-Maheux-Picard)
Il y a des mots qui font plus peur que d’autres. L’amiante en est un, au point que la municipalité d’Asbestos veuille changer de nom! Pendant un siècle, ce minerai aux propriétés isolantes a été plébiscité et source de profits. Et aussi, malheureusement, responsable de graves problèmes pulmonaires et de décès.
Après un âge d’or qui culmine dans les années 1970, le douteux minerai et sa fameuse fibre sont passés de vache à lait à Bonhomme Sept Heures dans le temps de le dire. En 2005, plus précisément, lorsque l’Union européenne en a interdit l’usage.
Son exploitation a aussi laissé des traces dans le paysage de l’Estrie et de Chaudière-Appalaches.
Que faire des résidus?
Voilà un beau problème… qui n’est plus tabou.
On le sait, Asbestos signifie amiante en anglais. Qui pourrait l’oublier? Durant plus d’un siècle, la ville a été nommée en fonction du minerai qu’on y extrayait. Une imposante quantité de résidus de l’extraction d’amiante est encore présente dans la région.
Un autre nom vous rappelle probablement quelque chose: Magnola, le nom d’un échec retentissant.
En 2003, après une conséquente aide gouvernementale, la prometteuse usine censée valoriser les tonnes de résidus d’extraction de mines d’amiante a finalement fermé ses portes.
Ce projet revient aujourd’hui au-devant de la scène.
Marc Olivier, chercheur et professeur à l’Université de Sherbrooke, attirait récemment mon attention sur la situation: «Le projet d’usine d’Alliance Magnésium, dont on parlait encore cet été avec l’obtention d’une nouvelle subvention, est un projet à garder à l’œil, emblématique du difficile équilibre à trouver entre économie, environnement et impact social et communautaire. »
Peut-on valoriser les résidus de l’amiante?
«Oui, je crois qu’on le peut et qu’on doit l’essayer, dit le chercheur. Dans les dossiers que nous avons traités récemment, j’ai vu des exemples positifs de caractérisation de résidus miniers dans la région. Comme celui de la silice amorphe, un sous-produit généré par le procédé hydrométallurgique de concentration du magnésium à partir des anciens résidus d’amiante à Asbestos. »
Je vous explique.
Comme d’autres entreprises, la société canadienne Mag One Operations, fondée en 2015, s’est donné la mission d’exploiter les collines de serpentine (le nom de la famille de minéraux composant les résidus d’amiante) de l’Estrie et de lui offrir des débouchés rentables et respectueux de l’environnement.
Elle mise en particulier sur l’extraction de l’oxyde de magnésium de haute pureté (MgO) qu’elle contient.
Le magnésium fait d’ailleurs l’objet d’une forte demande dans plusieurs types d’industries.
Le problème, c’est le magnésium n’est pas seul présent dans la serpentine. Il est en fait accompagné d’une grande quantité de silice amorphe (SiO2), qu’en bon élève de l’économie circulaire, on souhaite valoriser également.
(Photo: Claude Maheux-Picard)
Que fait-on du magnésium une fois extrait?
Des chercheurs se sont récemment penchés sur cette question. Ainsi, grâce à sa composition proche de celle de la fumée de silice et d’autres ajouts cimentaires normalisés, il devient un intrant de choix pour la formulation de bétons.
Encore mieux: des essais ont démontré qu’un tel béton posséderait une résistance mécanique accrue à moyen et long terme.
Bref, le produit peut se substituer en partie au ciment Portland —le matériau de construction le plus utilisé au monde, le saviez-vous?
D’accord, mais on en fait quoi?
Ce n’est qu’un début.
La recherche de débouchés permet d’identifier plusieurs secteurs d’industrie pouvant utiliser la silice amorphe dans leurs procédés manufacturiers, en plus du magnésium. Elle peut par exemple contribuer à la durabilité de certaines peintures tout en offrant une belle finesse de grain.
Peut-on en déduire que les gisements de serpentine de l’Estrie pourraient contribuer à réduire le recours à d’autres produits, dont l’impact en termes de pollution et d’émissions de gaz à effet de serre (GES) est non-négligeable?
Il y a tout lieu d’y croire.
Un calcul sérieux indique qu’en substituant 33 000 tonnes de ciment par une quantité équivalente de silice amorphe, la réduction des GES pourrait s’élever jusqu’à 27 000 tonnes de CO2 par année.
Sachant qu’une tonne de CO2 correspond à un trajet Montréal-Vancouver en voiture, le gain environnemental est considérable.
Bien des choses restent à prouver, dont la rentabilité de cette stratégie circulaire. Plusieurs s’accordent pour dire que ce qui a causé la perte du projet Magnola dans les années 2000 est le faible niveau de maturité de son procédé.
En 2018, Alliance Magnésium, qui a acquis les sites industriels et miniers de Magnola en 2017, a reçu 30,9 millions de dollars de financement du gouvernement du Québec pour faire ses devoirs et arriver avec un procédé qui sera plus efficace que l’ancien.
On a hâte d’en voir plus.
En outre, cet été, le BAPE lui-même s’est prononcé sur la question, semblant voir d’un œil plutôt favorable la valorisation des résidus miniers amiantés.
La proximité et l’impact sur l’industrie laitière environnante, le comité de citoyens ainsi que l’acceptabilité sociale devront également être pris en compte pour valoriser les amoncellements de résidus accumulés dans la région.
C’est l’esprit même de l’écologie industrielle et de l’économie circulaire.
Un projet qui vise à réduire la taille de ces piles, à en tirer une valeur ajoutée et à revitaliser une région, vous conviendrez qu’il serait dommage de ne pas étudier les options avec soin avant de jeter le bébé avec l’eau du bain.