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Apprendre à tourner la page

Olivier Schmouker|Édition de janvier 2021

Apprendre à tourner la page

Le champion d’échec Garry Kasparov propose d’utiliser une méthode bien précise avant de donner un «nouvel élan» à sa carrière. (Photo: 123RF)

CHRONIQUE. J’ ai une grande nouvelle que j’ai annoncée déjà il y a quelques jours sur notre site web. J’ai pris la décision de quitter le journal Les Affaires, après y avoir passé une quinzaine d’années heureuses au sein d’une équipe enthousiasmante, prête à relever n’importe quel défi, beau temps, mauvais temps. Oui, j’ai fait le choix d’aller vivre de nouvelles aventures et de découvrir de nouveaux horizons, en compagnie d’une autre équipe tout aussi emballante.

Je ne vous cache pas que ça a été pour moi une décision déchirante. C’est que j’aime d’amour le journal Les Affaires, une publication incontournable pour l’information économique, ainsi que pour les artisans qui le fabriquent, tous animés par une rigueur et une passion folles. C’est également qu’il n’est jamais aisé de tourner une page de sa vie… Lorsque je me suis plongé dans d’interminables réflexions sur la bonne décision à prendre, je me suis souvenu des rencontres fortes que j’avais pu faire dans le cadre de mon travail pour Les Affaires. C’est ainsi que me sont revenues en mémoire trois rencontres intenses, où des personnes exceptionnelles m’avaient, mine de rien, donné les clés pour faire le bon choix et, surtout, pour bien le vivre, le moment venu.

1.

Faire le point, façon Garry Kasparov Lorsque l’occasion se présente de donner un nouvel élan à sa carrière, il convient de s’assurer qu’il s’agit bel et bien d’un «nouvel élan», c’est-à-dire d’un mouvement susceptible de propulser vers de nouveaux défis professionnels. Pour s’en faire une juste idée, il convient de recourir à la méthode MTQ concoctée par Garry Kasparov, le prodige du jeu d’échecs qui est devenu champion du monde à 22 ans, l’idole de ma jeunesse, lui qui était alors le symbole de la rébellion nimbée de génie (la Fédération russe lui mettait des bâtons dans les roues, mais son talent et sa fougue renversaient toutes les barrières).

«Les échecs sont comme la vie, il faut savoir prendre les bonnes décisions et, le cas échéant, tenter de corriger les mauvaises», m’a-t-il confié lors de la sortie de son livre La vie est une partie d’échecs. La première tâche du joueur d’échecs est donc d’éva-luer sa situation, car de celle-ci découlera le meilleur coup à jouer.

Pour commencer, il compte ses pièces et celles de son adversaire pour savoir si l’un des joueurs détient un avantage matériel (M). Puis, il regarde le temps (T) dont il dispose. Enfin, il estime la qualité (Q) de sa situation. Par exemple, un joueur peut avoir moins de pièces que son adversaire (M faible), mais elles peuvent avoir une disposition si avantageuse (Q fort) qu’il peut espérer gagner rapidement (T fort). «Dans un combat, une force plus légère et plus rapide peut déjouer et surpasser une force supérieure en nombre», a souligné M. Kasparov.

En tenant compte du M, du T et du Q, on sait si l’on est en bonne ou en mauvaise posture. On peut savoir si les conditions de travail (M), si le timing (T) et si les missions à remplir (Q) du poste envisagé nous sont favorables, ou pas.

2.

Écouter ses tripes, façon Emilia Lahti En marge d’un reportage en Finlande, j’ai eu le privilège de rencontrer Emilia Lahti, une femme pétillante d’intelligence, une femme meurtrie par la violence conjugale qui est devenue un symbole finlandais de la résilience après réalisé l’exploit, en 2017, de courir 50 marathons en 50 jours en Nouvelle-Zélande, l’objectif ayant été d’attirer l’attention médiatique et d’ainsi faire voler en éclats le silence qui enveloppe l’animosité des couples en discordance.

«Ma force, je la trouve dans le sisu, m’a confié la chercheuse en psychologie. Le sisu est à la fois la détermination, le courage et la résolution extraordinaires que l’on affiche parfois face à l’adversité. C’est un état d’esprit qui permet à chacun de dépasser ses propres limites, de passer à l’action en dépit du fait qu’on sait qu’on risque fort d’échouer, de transformer les barrières en de simples frontières. C’est un élément propre à la culture finlandaise, mais qui a une portée universelle.»

Autrement dit, le sisu procure une puissance qui dépasse l’entendement, qui fait des miracles, qui fond l’inattendu en l’inespéré. C’est donc en puisant au plus profond de soi, en écoutant ses tripes, que l’on finit par ressentir cette vibration qui permet de passer à l’action, de se lancer vers l’inconnu.

3.

Viser le Bon, façon Guto Requena Reste enfin l’intention qu’on doit mettre dans le mouvement amorcé. Ça, c’est le designer brésilien Guto Requena qui me l’a enseigné, lors d’un événement C2 Montréal. «Le monde n’a pas besoin d’une autre belle chaise ni d’une autre table basse magnifique, m’a-t-il dit. Le design est plutôt là pour résoudre des problèmes et se doit absolument d’oeuvrer en ce sens.»«La croyance veut que les designers soient là pour concevoir le Beau, a-t-il ajouté. Mais il n’y a rien de plus faux, d’après moi. Les designers sont là, en vérité, pour le Bon.»Une phrase qui résonne toujours en moi, qui me susurre combien il importe que le mouvement envisagé soit bénéfique, pour soi comme pour autrui. Il faut que le changement soit totalement positif, qu’il vise le Bon, sans quoi il court irrémédiablement à l’échec.

Bref, me voilà en train de tourner la page. Qui sait ? Peut-être bien que ces trois clés magiques vous permettront, à votre tour, de donner une toute nouvelle tournure à votre vie…