Approvisionnement: les perspectives assombries de Dollarama
Dominique Beauchamp|Édition de la mi‑septembre 2021(Photo: 123RF)
ANALYSE. Dollarama (DOL, 55,53$) est toujours premier de classe parmi les détaillants aux yeux des financiers, mais la conjoncture incertaine tempère l’enthousiasme de certains d’entre eux.
Après avoir souffert des restrictions sanitaires, le marchand, réputé pour ses achats judicieux et sa stratégie de prix multiples, voit sa flexibilité mise à l’épreuve par la hausse des coûts de transport et d’approvisionnement.
Comme l’indiquent les cours cibles sur un an qui oscillent entre 59$ et 70$, son titre ne fait pas l’unanimité. Le tiers des 15 analystes qui suivent les activités de l’entreprise n’en recommandent pas l’achat.
Les analystes n’ont pas oublié qu’en 2018, l’action de Dollarama avait plongé jusqu’à 31,37 $ en raison de trois trimestres décevants consécutifs. Même si le titre est moins chèrement évalué qu’à l’époque (soit un multiple record de 33 fois les bénéfices prévus), les analystes restent sensibles à tout ce qui pourrait nuire à la performance du détaillant. Le consensus actuel des bénéfices prévus dans 12 fois compilé par Refinitiv donne un multiple de 23,3 fois.
Pour l’instant, Dollarama résiste encore à offrir pour la première fois des articles à des prix supérieurs à 4$ à son assortiment afin de préserver sa «proposition de valeur ». Toutefois, si les coûts d’approvisionnement élevés se révélaient plus « structurels », l’entreprise pourrait instaurer la catégorie des prix de 4,50$ à 5$ dès 2022.
Dans l’intervalle, les hauts dirigeants assurent qu’ils disposent des mêmes mécanismes qu’avant pour contrer la hausse des coûts. Dollarama peut réduire le nombre d’items dans un emballage donné, acheter des articles en plastique plus léger et hausser légèrement certains prix, donne en exemple Peter Sklar de BMO Marchés des capitaux.
Dollarama est donc mieux équipée que d’autres détaillants pour gérer la situation, soutient cet analyste. Ses marchandises saisonnières sont déjà bien stockées tandis que le marchand priorise l’achat des articles de consommation courante dont il a le plus besoin.
Malgré ces perspectives rassurantes et l’évaluation relativement attrayante du titre, Peter Sklar préfère d’autres titres dans le secteur de la consommation discrétionnaire qui profiteront davantage de la reprise économique.
Le report des prix de 4,50 $ à 5 $ déçoit certains investisseurs qui y voyaient un moyen rapide de refiler le bond des frais de transport aux consommateurs. La décision de garder cette option en réserve semble néanmoins la stratégie la plus prévoyante pour protéger sa « marque de commerce ». « Dollarama est très rentable et peut absorber des coûts plus élevés à court terme. Il est plus risqué d’instaurer des prix à 5 $ pour de bon, qui pourraient effriter sa réputation de bas prix auprès des consommateurs. Contrairement aux autres marchands, Dollarama n’offre pas de soldes ni de programme de fidélisation pour promouvoir ses bons prix», élabore Mark Petrie, analyste à la CIBC.
Pour sa part, Chris Li, de Desjardins Marché des capitaux, juge plus prudent d’attendre que la question des coûts s’éclaircisse avant de recommander l’achat du titre déjà justement évalué.
Se projeter en 2023
Les investisseurs sont aussi nerveux parce que Dollarama en dévoile bien peu sur sa stratégie de fret alors qu’elle s’apprête à renouveler ses ententes d’approvisionnement, indique Brian Morrison, de TD Valeurs mobilières. L’analyste s’attend à une hausse «majeure mais graduelle » des prix de fret.
«Les inquiétudes pourraient bien se révéler légitimes à court terme, mais historiquement, de tels épisodes ont procuré des occasions aux investisseurs », conclut-il en haussant son cours cible de 64$ à 68$.
L’analyste de TD prévient que les deux prochains trimestres souffriront de la comparaison aux résultats élevés de 2020. En 2023, les ventes devraient par contre se rétablir tandis que les coûts pandémiques chuteront. En 2024, la croissance retrouvera un rythme plus naturel. Brian Morrison prévoit des bénéfices par action de 2,08$ en 2022, de 2,66$ en 2023 et de 3$ en 2024.
Irene Nattel, de RBC Marchés des capitaux, a encore plus confiance que son collègue et relève sa cible de 68$ à 70$. Elle n’accorde aucune importance aux fluctuations pandémiques des ventes à court terme et table plutôt sur le retour de la croissance de 3,5% à 5% des ventes par magasin comparable, une fois l’effet de la pandémie passé.
La stratégie d’achat et l’assortiment des marchandises au prix optimal devraient aussi soutenir les marges brutes à un niveau élevé malgré les pressions d’approvisionnement, ajoute-t-elle.
C’est sans compter la reprise du rachat annuel de 5% des actions et la valeur de 3 $ par action qu’elle accorde à sa filiale d’Amérique latine, Dollarcity, qui veut doubler à 600 le nombre de ses magasins d’ici 2029.