Fabrice Vil est le fondateur et le PDG de l'organisme Pour 3 Points. (Photo: courtoisie)
Un texte de Fabrice Vil, fondateur de l’organisme à vocation sociale Pour 3 points.
COURRIER DES LECTEURS. Voilà dix ans que Pour 3 Points, l’organisme à vocation sociale que j’ai fondé, a vu le jour. Depuis ses débuts, Pour 3 Points aspire à une société plus juste permettant à tous les jeunes de développer leur plein potentiel.
Inspirée notamment de mon expérience comme coach de basket-ball, notre mission est de former les coachs de sport de façon à ce qu’ils soutiennent la réussite éducative et sociale des jeunes, dont, particulièrement, ceux issus de milieux défavorisés.
Dix ans d’anniversaire, c’est dix ans à offrir de la formation à des centaines de coachs, à agir, à travers l’influence de ces coachs, au service de milliers de jeunes et à poursuivre l’idéal d’une meilleure société.
Et moi, quelles leçons ai-je tirées durant cette période en termes de leadership? Au gré de mes interactions avec les coachs et les jeunes, mais aussi comme entrepreneur et gestionnaire avec nombre d’employés, de bénévoles, de donateurs et de partenaires publics et privés, les expériences riches d’apprentissages n’ont pas manqué. Je crois, en fait, que mes leçons peuvent se mesurer en tonnes.
J’ai surtout appris, et j’apprends encore, à intégrer les distinctions entre indépendance et interdépendance, que plusieurs auteurs, comme Susanne Cook-Greuter, ont étudiées.
Mais encore? Lors des premiers jours de Pour 3 Points, j’étais animé d’une fougue et d’une conviction qui caractérisent souvent les entrepreneurs. On les voit dans les festivals de start-ups ou des émissions comme Dans l’oeil du dragon, ces entrepreneurs qui, à l’intérieur d’un pitch d’une minute, affirment fermement que leur produit ou service va «changer le monde».
J’étais, et je suis encore, de ceux-là. Parce que l’énergie du conquérant est nécessaire pour surmonter les écueils de l’entrepreneuriat et mobiliser des personnes afin qu’elles investissent, et s’investissent, dans une vision utopique.
Cela dit, j’ai appris au gré du temps que l’entrepreneur passionné et visionnaire est trop souvent conditionné par une conception de lui-même, de son entreprise et du monde qui accorde une importance démesurée à l’action héroïque. Comme bien d’autres entrepreneurs et gestionnaires, je me suis déjà fait l’illusion qu’une personne ou un groupe de personnes ont le pouvoir de réaliser un impact social ou commercial viable en misant strictement sur leurs aptitudes et motivations, sans considérer avec une curiosité profonde les dynamiques présentes dans le contexte ambiant. Superman se sent capable de tout réaliser.
C’est là que loge le leadership qui se veut indépendant, lequel peut provoquer des façons d’agir qui, reposant surtout sur la volonté unilatérale du leader, négligent les besoins humains, sociaux et environnementaux tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise (c’est d’ailleurs ce type de leadership qui caractérise le colonialisme et le capitalisme, mais bon, je digresse).
Ce type de leadership se manifeste aussi à travers un mode d’organisation du travail dit linéaire et séquentiel: vision, mission, stratégies, objectifs, tâches. Le travail ainsi organisé est fixé dans une orientation unique qui résiste difficilement aux fluctuations constantes qui génèrent incertitude et complexité. Le leadership a beau vouloir être indépendant, il ne peut faire fi des crises comme une pandémie ainsi que des bouleversements sociaux et technologiques qui se multiplient.
Comprenez-moi bien. La vision et l’énergie individuelles de l’entrepreneur ou du gestionnaire sont néanmoins importantes, tout comme la planification linéaire et séquentielle du travail. Or, mon expérience au sein de Pour 3 Points, que ce soit par l’approche humaniste en coaching que nous enseignons, mes propres découvertes comme coach certifié en développement intégral ou l’expérimentation de modèles de gestion atypiques, m’a mené à m’intéresser aux styles de leadership qui incluent les qualités du leadership indépendant, tout en y intégrant plus de nuances.
Au fil des années, j’ai découvert que le modèle des entrepreneurs tout-puissants est un peu une illusion. Comme simple humain, j’ai aujourd’hui une plus grande conscience de mes émotions, de mon corps, de mon niveau d’énergie et de mes besoins, lesquels relativisent l’importance de réaliser une grande vision. Oui, je parle encore souvent de «changer le monde», mais l’expression résonne différemment à mes oreilles parce que je vois le changement non pas simplement à travers un rêve grandiose, mais aussi à travers les moments plus subtils du quotidien.
Cette plus grande conscience de ma propre subjectivité m’a porté à être plus attentif à celle des autres. Du coup, chacune de mes relations professionnelles s’en est vue enrichie puisqu’en plus de m’être motivé par la vision de Pour 3 Points, je suis devenu plus curieux de comment, avec l’autre, vivre le processus vers la réalisation de la vision de Pour 3 Points.
Plus largement, cette curiosité envers les personnes avec qui je collabore dans le contexte de Pour 3 Points s’est aussi portée vers les groupes de personnes, qu’il s’agisse des entreprises, des regroupements communautaires et sportifs, des institutions parapubliques ou des gouvernements. Les différents chemins que nous empruntons ensemble sont devenus la destination.
Voilà une conception du leadership qui à mon avis accorde de la place à l’individu, mais pas dans une conception héroïque. Ce leadership invite plutôt à naviguer dans la complexité des relations avec soi-même ainsi que les individus, les groupes, les structures que nous créons, et même nos environnements naturels. En corollaire, oui, la planification linéaire existe, mais elle inclut des moments de réflexions et de conversations qui permettent de s’adapter au dynamisme de la réalité d’aujourd’hui.
C’est ça, à mon avis, l’interdépendance, concept que le contexte de Pour 3 Points m’a permis de découvrir, dont j’ai moi-même une compréhension évolutive et que je nous invite à considérer dans nos environnements de travail respectifs.