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Architecture: abattre les murs de la profession

Emilie Laperrière|Édition de la mi‑octobre 2023

Architecture: abattre les murs de la profession

Autour de la table, on retrouve habituellement les architectes, mais également les ingénieurs, le donneur d’ouvrage et, dans certains cas, l’entrepreneur en construction, auxquels se greffent selon les besoins les urbanistes, les architectes paysagers, les autorités municipales et les usagers. (Photo: courtoisie)

ARCHITECTURE. Fini le temps où les architectes agissaient comme seuls chefs d’orchestre ; l’interdisciplinarité connaît son heure de gloire. Les concepteurs collaborent désormais avec une panoplie d’intervenants, et ce, dès les balbutiements d’un projet.

Briser les silos entre les disciplines, telle est la mission de l’interdisciplinarité. Paule Bourdon, architecte associée chez STGM architecture, compare le concept au sport. « Ça consiste à former la meilleure équipe possible et à mettre tout en place pour que la chimie opère », illustre-t-elle. 

L’architecte Éric Pelletier, associé principal de la Division de la conception chez Lemay, y va lui aussi de son analogie, associant pour sa part cette façon de faire au cinéma. « L’architecte agit comme le réalisateur d’un film, explique-t-il. Chaque partie prenante est un spécialiste extraordinaire, mais l’architecte attache les fils, pousse chacun aux limites de son talent et s’assure que la vision est cohérente. C’est le gardien de la mémoire du projet. » 

Plutôt que de segmenter le travail, les experts se réunissent pour amorcer le projet et le réaliser de A à Z. Le mot-clé : collaboration.

 

L’union fait la force

École, mobilité durable, construction résidentielle ou espaces publics : les professionnels varient selon la nature du travail à accomplir. Autour de la table, on retrouve habituellement les architectes, mais également les ingénieurs, le donneur d’ouvrage et, dans certains cas, l’entrepreneur en construction, auxquels se greffent selon les besoins les urbanistes, les architectes paysagers, les autorités municipales et les usagers. 

De multiples spécialistes peuvent en outre contribuer, que ce soient des acousticiens, des historiens, des scénographes ou des experts en développement durable, en réglementation ou en planification immobilière.

Tous ces intervenants discutent de leurs défis respectifs et des questions entourant le projet. Ils débattront par exemple des manières d’ancrer la future école dans leur quartier ou de valoriser le patrimoine bâti sans le dénaturer. Ensemble, ils font ensuite ressortir les meilleures idées et trouvent des solutions. « La recette du succès réside dans l’engagement de tous les joueurs à respecter les objectifs fixés par l’équipe jusqu’à la pelletée de terre », estime Paule Bourdon. 

Elle donne en exemple l’école secondaire Jacques-Leber, sur laquelle STGM planche présentement. En consortium avec le cabinet d’architecture NFOE et en équipe avec les entrepreneurs EBC et Tisseur, les architectes travaillent en mode de réalisation CCP (conception-construction progressive), caractérisé par la collaboration, le respect et l’ouverture d’esprit entre les intervenants. « Dès le jour 1, les architectes, ingénieurs, entrepreneurs et le client sont assis autour de la table, dit-elle. L’équipe est choisie selon ses compétences, mais ce sont l’entrevue et les ateliers qui permettent de démontrer la capacité de travailler en mode collaboratif, en ayant comme objectif principal le désir de mener le projet à bon port. »

 

« Plus que jamais » nécessaire 

Selon Sergio Morales, associé principal chez Chevalier Morales, les architectes ont besoin de l’interdisciplinarité « plus que jamais ». « Les projets sont de plus en plus complexes et techniques. Les choses changent aussi très vite sur le plan social. Les exigences en matière d’équité, de diversité, d’inclusion, de réconciliation, d’utilisation des ressources locales et de crise climatique sont nombreuses à peser sur les projets. »

Cette nouvelle réalité demande, à son avis, à ce que les concepteurs travaillent de façon plus étroite avec les communautés autochtones et qu’ils collaborent avec des professionnels venant d’autres milieux. 

Paule Bourdon constate aussi que la pratique se complexifie. « Autrefois, l’architecte couvrait pratiquement tous les champs d’expertise. Aujourd’hui, on voit non seulement certains architectes qui se concentrent sur un pan de la pratique, comme la conception, mais aussi d’autres qui se spécialisent même dans des types de construction. »

En cette ère de communication, l’information se révèle également plus facilement accessible. Le cofondateur de Chevalier Morales rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, les architectes envoyaient leurs plans et devis par fax ou par courrier. « Maintenant, on travaille sur des plateformes numériques conjointes, où un modèle du bâtiment unique existe dans le nuage pour tout le monde. » 

L’information disponible permet de mieux comprendre le rôle des autres personnes impliquées dans un projet, croit Éric Pelletier. « Il n’y a plus de chasse gardée comme avant. J’ai accès à des logiciels de calcul de structure, à des solutions mécaniques qui ont été réalisées dans d’autres projets. En démontrant par l’exemple, je suis capable de « challenger » l’ingénieur, de lui prouver que ça a déjà été fait. Et lui aussi peut me pousser plus loin. »

 

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Petit guide pour s’y retrouver

Le dossier aborde les différentes facettes de l’interdisciplinarité, mais certains parlent plutôt de multidisciplinarité, voire de transdisciplinarité. Si ces termes sont semblables, ils ne sont pas interchangeables pour autant. 

La multidisciplinarité implique simplement le recours à deux disciplines ou plus, alors qu’une équipe interdisciplinaire met les compétences de chacun en commun dans le but de trouver une solution afin de créer un meilleur projet. La transdisciplinarité pousse le concept plus loin en allant au-delà des disciplines pour mettre en œuvre une méthode commune à tous.