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François Normand

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Analyse de la rédaction

Assistons-nous à la fin du libéralisme en Europe?

François Normand|Publié le 12 janvier 2019

Assistons-nous à la fin du libéralisme en Europe?

Un drapeau de l'Union européenne (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Cette élection en Europe est sous le radar des médias nord-américains, alors qu’elle est cruciale pour l’avenir de nos échanges économiques. En mai, les Européens renouvelleront la composition du Parlement européen, et les partis anti-Union européenne pourraient faire des gains majeurs et favoriser un repli sur soi du vieux continent.

L’enjeu est de taille pour les entreprises et les investisseurs canadiens actifs en Europe, car l’Union européenne -avec laquelle nous avons un accord de libre-échange depuis 2017- est le deuxième partenaire économique du Canada après les États-Unis.

En 2017, les exportations canadiennes de marchandises à destination de l’UE ont totalisé 41,6 milliards de dollars canadiens (G$), tandis que celles dans les services se sont élevées à 24,1 G$ en 2016, selon Statistique Canada.

Les investissements du Canada sont également importants dans les pays de l’Union.

À la fin de 2016, le stock cumulatif des investissements du Canada y atteignait 232 G$, ce qui représente près de 20% des investissements totaux du Canada à l’étranger, selon le gouvernement canadien.

On comprend dès lors pourquoi les élections européennes (du 23 au 26 mai) sont si importantes, car elle pourrait avoir un impact sur l’économie et le commerce si les institutions de l’UE adoptaient des politiques protectionnistes dans les prochaines années.

Le Parlement européen est l’une des trois principales institutions de l’UE avec la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne. Il est composé de députés élus directement par les citoyens (pour un mandat de 5 ans) et représentent donc leurs préoccupations.

Or, depuis la récession de 2008-2009 et la crise des migrants en 2015, les préoccupations des électeurs européens sont nombreuses, un phénomène qui s’est traduit par la montée des partis populistes anti-Union européenne, anti-mondialisation et anti-immigration.

Quatre États membres de l’Union sont d’ailleurs gouvernés par des populistes, souligne la firme d’analyse du risque politique Eurasia Group :

  • L’Italie
  • L’Autriche
  • La Pologne
  • La Hongrie

Et selon la firme américaine, les partis populistes de droite et de gauche pourraient augmenter substantiellement leur présence en mai au Parlement européen à Strasbourg (en France), pour passer de 28% des sièges en 2014 à 37% en 2019.

Et cette configuration tient compte du fait que les élus du Royaume-Uni -dont une part importante étaient «eurosceptiques»- ne siègeront plus au Parlement européen en raison du Brexit.

Depuis des décennies, les grands partis traditionnels (socialistes, libéraux et conservateurs) contrôlent la politique européenne au Parlement de Strasbourg, mais aussi au sein de la Commission européenne, qui négocie notamment les accords de libre-échange.

Ces partis ont adopté des politiques pour favoriser l’intégration européenne, en permettant la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, sans parler de l’introduction de la monnaie unique, l’euro, utilisée désormais par 19 pays de l’Union.

Vers la fin de l’ère du libéralisme en Europe?

Or, cette ère de libéralisme politique et économique pourrait prendre fin avec l’élection en mai, avec un nombre accru de députés représentant des partis populistes de plus en plus populaires dans des pays comme la France, l’Allemagne ou les Pays-Bas, selon une analyse du think tank Carnegie Europe.

En France, un sondage réalisé avant Noël montrait que le Rassemblement national de Marine Le Pen (anciennement, le Front national) recueillait un appui populaire de 21% comparativement à 19% pour le parti du président Emmanuel Macron, La République en Marche.

Ailleurs en Europe, la Ligue de Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur du gouvernement italien, et l’Alliance pour l’Allemagne, un parti d’extrême droite, pourraient aussi bien faire lors des élections européennes, souligne le quotidien britannique The Guardian.

Les partis pro-Union européenne, porteurs de la tradition libérale en Europe, seront toujours majoritaires au Parlement européen, soulignent les analystes Carnegie Europe.

Par contre, ils devront nécessairement tenir compte des points de vue des populistes de droite et de gauche pour assurer le bon fonctionnement de l’UE, voire éviter un blocage politique.

Cela dit, si les partis populistes de gauche et de droite sont tous les deux très critiques de la mondialisation des marchés (libre-échange, concurrence internationale, délocalisation d’emplois, etc.), ils ne s’entendent pas sur tous les thèmes, à commencer par l’immigration.

Alors que l’extrême droite y est hostile, l’extrême gauche y est favorable.

C’est pourquoi une alliance politique formelle entre les populistes de gauche et de droite au Parlement européen «n’est pas encore envisageable», selon une analyse de l’Institut Jacques Delors, dont fait état le magazine français Le Point.

Trois scénarios sont possibles

Les prochaines élections européennes seront déterminantes pour l’avenir de l’Europe. Trois scénarios sont toujours possibles :

  • Une percée majeure des partis anti-Union européenne sous-estimée par les sondages, qui pourrait même frôler la majorité, voire l’atteindre -un scénario à la Trump.
  • Des gains inattendus pour les pro-Européens, limitant la progression des populistes.
  • Une mixte des deux : une majorité toujours importante de députés traditionnels, mais avec la présence accrue de députés issus de l’extrême droite et de l’extrême gauche.

Dans les trois cas, le résultat des élections aura d’une manière ou d’une autre un impact à terme sur la politique européenne.

La montée des partis populistes est en progression en Europe -et dans le monde- et on voit difficilement ce qui pourrait renverser cette tendance dans un avenir prévisible. Depuis 2000, leur nombre est d’ailleurs passé de 33 à 63, selon le Tony Blair Institute for Global Change.

Comme le souligne Le Monde, on assiste aussi à une banalisation des partis non traditionnels au pouvoir en Europe et de l’extrême droite, devenue «mainstream». Le quotidien français donne l’exemple de l’Autriche.

Depuis décembre 2017, ce pays est dirigé par une coalition dirigée par le jeune chancelier Sabastian Kurz, associant les conservateurs (ÖVP, Parti populaire autrichien) à l’extrême droite du FPÖ (Parti de la liberté d’Autriche), une formation fondée par d’anciens nazis.

Le gouvernement a mis en place une politique de «préférence nationale», accompagnée de mesures hostiles aux étrangers, avec l’islam dans le viseur.

Voilà pourquoi il faut accorder plus d’attention à cette élection européenne en mai, car elle risque de changer à terme nos relations économiques et politiques avec l’Europe.