La débâcle de WeWork est celle de son cofondateur Adam Neumann, un entrepreneur très charismatique. (Photo: Sargent Seal pour Unsplash.com)
EXPERT INVITÉ. Si vous me suivez depuis un certain temps, vous connaissez mon opinion sur les «influpreneurs», ces entrepreneurs qui donnent en permanence l’impression que tout est facile et qui misent surtout sur leur personnalité plutôt que sur la réalité.
Pour moi, Adam Neumann de WeWork est un exemple typique d’un entrepreneur très charismatique, incarnant un peu tout ce qui ne va pas dans l’écosystème des start-ups depuis des années. Malheureusement, je pense aussi que l’histoire d’horreur derrière WeWork n’est que le triste résultat de cela.
Le culte de la personnalité comme modèle d’affaires
L’idée de ce blogue m’est venue à la suite d’une discussion que j’ai eue la semaine dernière avec un investisseur de Boston, de passage à Montréal. Auparavant, il travaillait dans un grand fonds d’investissement qui avait injecté des sommes astronomiques dans l’aventure de Neumann. Étant au Crew Café pour cette rencontre, je ne pus m’empêcher de lui demander son avis sur la fin tragique de WeWork. Il s’empressa de dire que pour lui, dès le départ, cet investissement ne tenait pas la route. Malheureusement, il était le seul parmi plusieurs dizaines de personnes du fonds à avoir voté contre cet investissement. La raison principale? Le charisme de Neumann plaisait à tous, et il avait réussi à créer ce qu’on appelle un «FOMO», soit la peur de manquer une opportunité.
Il n’est pas surprenant de constater qu’Adam Neumann représente parfaitement l’image du PDG charismatique que les investisseurs privilégient de nos jours. Tout comme Elizabeth Holmes de Theranos et Billy McFarland du Fyre Festival, il fait partie d’un trio emblématique, illustrant un phénomène inquiétant: des investissements douteux qui s’accumulent et finissent par tomber dans un gouffre de déceptions et d’échecs, sans rien de solide à montrer en fin de compte.
Ce qui est fascinant, c’est de voir comment, une fois le rêve de ces entreprises éteintes, on réalise l’ampleur de l’argent qu’ils ont pu lever, et surtout à quel point tout cela était basé sur de fausses promesses de la part de fondateurs charismatiques. Le plus ironique, c’est que ce sont souvent les mêmes personnes (médias, investisseurs, etc.) qui les encensaient hier qui sont choquées aujourd’hui de leur chute.
En fait, lorsqu’on lit sur l’échec de grandes entreprises comme Theranos, on remarque rapidement que les articles se concentrent d’abord sur les fondateurs avant de parler de l’entreprise elle-même. Ces entreprises, autrefois adulées, sont maintenant devenues des exemples publics à ne pas suivre. Bref, les gens semblent s’intéresser davantage aux dirigeants controversés qu’à l’échec de l’entreprise elle-même. Critiquer Adam Neumann est plus facile que de critiquer la viabilité de WeWork en elle-même.
L’échec de WeWork a-t-il vraiment surpris quelqu’un?
Ce qui est amusant avec la faillite de WeWork, c’est qu’aujourd’hui, tout le monde s’insurge et dit que c’était tout à fait prévisible et pas une surprise de voir l’entreprise chuter. Pourtant, son échec ne s’est pas construit en un jour. Fondée en 2010, l’entreprise a très rapidement levé 1 million de dollars en 2011, suivi de sept années de croissance fulgurante, incluant des centaines de millions en levées de fonds et un enthousiasme généralisé envers l’entreprise.
Pour moi, le vrai problème derrière WeWork est le nombre important d’investisseurs ayant cru dans le mirage de Neumann. Tout cela était prévisible: si ce n’était pas la comptabilité créative qui allait couler WeWork, cela aurait été la COVID. Et même dans un univers parallèle où la COVID n’aurait jamais existé, les taux d’intérêt n’allaient pas rester bas éternellement… Un investisseur sophistiqué aurait dû s’en douter. D’autant plus que WeWork avait été vendue comme une révolution technologique alors qu’elle n’était en fait rien d’autre qu’un ambitieux projet immobilier. C’était assez évident, et l’investisseur de Boston me le confirmait.
Pouvons-nous investir dans les projets plutôt que dans l’image?
Lorsqu’un investisseur décide de financer une entreprise, surtout au départ, il investit souvent d’abord dans l’équipe puis dans la solution proposée. C’est une réalité que de nombreux entrepreneurs doivent affronter: le charisme et la capacité de vendre sont extrêmement importants.
Cela peut être décourageant pour de nombreux entrepreneurs qui, bien qu’ayant d’excellentes idées et des compétences solides, ne se sentent pas à l’aise dans le rôle du vendeur charismatique. Ces entrepreneurs sont souvent des bâtisseurs, des résolveurs de problèmes, des gens qui travaillent dur, mais qui n’ont pas envie de monter sur une scène pour donner un spectacle flamboyant durant un «demo day».
Mais la réalité est que cela peut les désavantager. Les investisseurs recherchent souvent ce «je ne sais quoi» chez un fondateur, quelque chose qui va au-delà des compétences et de l’expérience. Cela ne veut pas dire que ces entrepreneurs sans charisme n’ont pas de valeur, bien au contraire. Lorsqu’on lit le best-seller «Good to Great» de Jim Collins, on découvre même que la plupart des grands leaders étaient introvertis.
Les investisseurs eux-mêmes admettent qu’une grande idée portée par une équipe médiocre a peu de chances de réussir. Cependant, ce qui est souvent négligé, c’est que de nombreuses équipes compétentes manquent d’un leader au charisme éclatant.
Cela pose un dilemme: une entreprise avec un potentiel énorme pourrait ne pas obtenir le financement nécessaire simplement parce que ses fondateurs ne correspondent pas à l’image idéale du leader charismatique. Cela soulève des questions sur la manière dont nous évaluons le potentiel d’une entreprise et sur l’importance que nous accordons à la personnalité par rapport à la substance réelle. Je pense que tous les investisseurs de Theranos, WeWork et Fyre auraient préféré un fondateur moins charismatique, mais avec de meilleurs résultats pour ses projets.
Par conséquent, il est crucial de reconnaître que le succès d’une entreprise ne dépend pas seulement du charisme de ses fondateurs, mais aussi de l’innovation, de la persévérance et de la qualité de l’équipe dans son ensemble.
Lorsque le charisme cache la réalité
Trop souvent, le charisme peut parfois cacher les faiblesses réelles d’une entreprise. Prenons l’exemple d’une équipe manquant d’expérience et de charisme: si elle échoue avec une bonne idée, les investisseurs ont tendance à trop valoriser le charisme des leaders. Pour chaque équipe sans expérience et sans charisme qui a échoué malgré une excellente idée, n’est-il pas vrai que les investisseurs donnent trop d’importance au charisme des dirigeants comme solution à tous les problèmes, comme ce fut le cas pour:
• Une entreprise technologique qui était en fait une entreprise immobilière.
• Un test sanguin qui prétendument ne donne pas de résultats.
• Une fête de luxe qui défie même la définition du luxe et de la fête.
Cela démontre peut-être que les investisseurs misent parfois trop sur la personnalité des fondateurs, accordant de gros financements sans suffisamment examiner l’entreprise elle-même.
Cependant, nous, en tant qu’entrepreneurs, devons aussi accepter une part de responsabilité. Nous consacrons souvent trop de temps à peaufiner nos présentations au lieu de perfectionner notre produit. Nous privilégions le réseautage au détriment de l’expérience réelle du problème que nous cherchons à résoudre, en passant un temps fou à accumuler des contacts plutôt que des clients.
C’est ainsi que des catastrophes comme celle de WeWork se produisent.