Thawennontie Jesse Thomas et Leo Hurtubise (Photo: courtoisie)
ENTREPRENEURIAT AUTOCHTONE. L’économie de Kahnawake, c’est beaucoup plus que le tabac, l’essence et des casinos. Sauf qu’il faut sortir des grands axes routiers qui traversent cette réserve au sud-ouest de Montréal pour s’en rendre compte.
Une entreprise de cette communauté mohawk fabriquera bientôt des masques chirurgicaux et d’autres matériaux filtrants pour des équipements de protection personnelle.
LaFlesche – nommée en l’honneur de Susan La Flesche Picotte, première femme médecin autochtone aux États-Unis – a récolté environ 3,4 millions de dollars (M$) pour acheter les machines nécessaires. «C’est un grand accomplissement», raconte le fondateur de la PME, Thawennontie Jesse Thomas.
Pour y arriver, il a dû cogner à de nombreuses portes après avoir reçu 1,4 M$ d’un fonds pour les autochtones du gouvernement du Québec.
«Cela n’a pas été une expérience agréable, précise le dirigeant. Nous avons rencontré plusieurs banques, mais il n’y avait aucune volonté. C’est finalement en Ontario, à la TD, qu’on nous a dit oui. Même Investissement Québec avait des réticences par rapport au manufacturier médical.»
Thawennontie Jesse Thomas possède également une autre PME située à Kahnawake, ATD Manufacturing Technologies. Celle-ci produit des pièces usinées, des objets moulés ainsi que de la machinerie sur commande.
«Environ 90 % de nos clients sont ailleurs au Canada et aux États-Unis, estime-t-il. Parce que nous sommes à Kahnawake, certains avaient des appréhensions. Mais après avoir fait affaire avec nous, ils sont rassurés. On transformé quelque chose de négatif en une situation positive qui améliore l’image de notre communauté.»
Enfin de la rapidité!
Actuellement desservie seulement par de l’Internet sans fil peu rapide, Kahnawake sera branchée à de la fibre optique dès l’automne 2022. C’est l’entreprise locale First Nation Fiber qui sera chargée du travail.
«On va quadrupler la vitesse d’Internet, déclare son directeur de l’exploitation et l’un des copropriétaires, Kameron Lahache. Cela pourrait aussi permettre aux entreprises mohawks d’avoir une meilleure présence sur le web. La fibre optique nous donne une chance égale.»
Développer le commerce électronique est primordial, d’après le directeur de la Commission de développement économique de Kahnawake (Tewatohnhi’saktha), Neil Aronhiaken:iate McComber. «Nous essayons de promouvoir les affaires en ligne, mentionne-t-il. Les entreprises locales sont favorables, mais les ventes n’ont pas encore beaucoup augmenté. Avec une bonne connexion, cela va favoriser les ventes.»
Parallèlement, il se réjouit de l’expansion du commerce local durant la pandémie, comme en fait foi la popularité de bons échangeables de l’initiative «Shop Kahnawake».
«Choc culturel»
Tewatohnhi’saktha estime qu’il y a environ 400 entreprises à Kahnawake. Celles qui font des affaires à l’extérieur de la réserve sont enregistrées auprès du gouvernement du Québec, mais les autres ne le sont généralement pas. Une réalité qui a posé un problème lorsqu’il a fallu leur fournir de l’aide durant la crise de la COVID-19.
«Nous devrions avoir un registre local des entreprises, affirme Gina Deer, l’ancienne chef du conseil de bande de la communauté. La pandémie a montré que ce serait utile.»
Cette femme connait bien l’entrepreneuriat, puisqu’elle possède un dépanneur à l’extérieur de la réserve, à Saint-Lucie-des-Laurentides, près d’un territoire appartenant aux Mohawks. «Cela a été un choc culturel, soutient celle qui a acheté ce commerce en 2011. Ma courbe d’apprentissage était très prononcée.»
Parmi les obstacles rencontrés, elle cite les nombreux règlements à respecter, les normes du travail à apprivoiser et la barrière linguistique, puisque les Mohawks parlent surtout anglais.
Il faut savoir que sur la réserve, il n’existe pas de zonage et lancer son entreprise engendre peu de tracasseries administratives.
L’accès au financement constitue toutefois un défi. La présence de Desjardins dans la communauté offre cependant un appui important. «Nous trouvons des solutions que les autres institutions financières ne peuvent pas fournir aux autochtones, affirme Mandie Montour, directrice générale de la Caisse populaire Kahnawake. Pour les prêts hypothécaires, nous faisons appel à un tiers, qui pourrait effectuer une saisie en cas de non-paiement, car la Loi sur les Indiens nous empêche de le faire directement.»
Le directeur de Tewatohnhi’saktha mentionne néanmoins que c’est «difficile d’obtenir du capital pour les PME, surtout au-dessus de 100 000 $».
Économie régionale
Gina Deer estime que Kahnawake devrait se doter d’une chambre de commerce pour stimuler les affaires sur son territoire et avec l’extérieur. «Nous avons un fort pouvoir d’achat. On dépense environ 10 M$ dans les villes avoisinantes et il y a beaucoup de gens qui ne sont pas de notre communauté qui viennent travailler ici.»
Cette intégration à l’économie régionale fera sûrement l’objet de débat chez les Mohawks. «Il y a un désir pour que certains terrains près de l’autoroute 30 soient réservés pour des activités commerciales, mentionne Neil Aronhiaken:iate McComber. Le problème, c’est le prix de la mise en place d’infrastructures comme le réseau d’aqueduc. C’est un gros frein.»
Il faudra aussi trancher à savoir si des entreprises non mohawks seront alors les bienvenues. «Je crois que la communauté est ouverte à accueillir des entreprises non autochtones, mais il faut faire des consultations, dit-il. Cela fait partie de nos traditions : chacun a droit de pouvoir s’exprimer.»
La construction d’un centre culturel le long de la route 132 et éventuellement d’un centre touristique au même endroit permettrait d’attirer des visiteurs. «Le but à long terme, c’est d’amener plus de gens pour des événements, affirme le directeur de Tewatohnhi’saktha. Nous avons déjà le pow-wow, mais on aimerait avoir un festival des fraises et un du sirop d’érable, car ce sont des aliments très importants dans notre culture.»