En 2021, seulement 6,0% des ménages québécois avaient des besoins pressants en matière de logement, c’est-à-dire qu’ils occupaient soit un logement de mauvaise qualité, trop petit ou inabordable. (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Pénurie de logements; «rénovictions»; hausse des loyers; logements insalubres sont toutes des déclinaisons qui réfèrent à ce qu’on appelle communément la crise du logement. Il s’agit certainement d’un des phénomènes socio-économiques ayant fait couler le plus d’encre au cours des derniers mois au Québec. La gravité de la situation serait telle que nous aurions tout simplement «perdu le contrôle» selon le titre d’un article de Radio-Canada publié en 20221.
Avant de remonter aux origines de cette crise du logement, rectifions les faits. Bien qu’il est vrai que plusieurs ménages québécois se retrouvent en difficulté en matière de logement, ils ne représentent qu’une infime proportion des 3,7 millions de ménages de la province2.
En fait, en 2021, seulement 6,0% des ménages québécois avaient des besoins pressants en matière de logement, c’est-à-dire qu’ils occupaient soit un logement de mauvaise qualité, trop petit ou inabordable3.
Autrement dit, 94,0% des ménages québécois s’en sortaient plutôt bien en matière de logement. En analysant les faits, on réalise que la situation générale du logement au Québec est loin d’être «hors de contrôle».
Malgré cela, on ne peut nier l’existence d’une crise du logement dans la mesure où l’offre et la demande d’unités locatives témoignent d’une grave rupture d’équilibre. Loin d’être le fruit d’un malheureux hasard, cette crise n’est que le résultat d’un long travail politique de déconstruction du système d’incitatifs économiques qui, autrement, aurait maintenu l’offre et la demande de logements en équilibre. Retournons donc aux origines de cette crise artificielle.
Un problème législatif
Le démantèlement politique du système d’incitatifs économiques favorisant l’investissement immobilier s’est amorcé en 1974 avec l’entrée en vigueur de la loi 2. Votée par le gouvernement de Robert Bourassa, cette loi s’inscrivait dans un désir de mettre à jour le Code civil du Bas-Canada jugé trop libéral relativement à l’encadrement du louage. Il s’est ensuite poursuivi en 1979 avec la sanction de la loi 107 introduite par le gouvernement de René Lévesque.
Dans les deux cas, il était soi-disant impératif pour le gouvernement de rétablir l’équilibre dans les relations propriétaires-locataires que les lois du marché ne suffisaient pas à assurer et d’influencer positivement la vie des locataires québécois en leur accordant de nouveaux droits4. Or, force est d’admettre que 50 ans plus tard, les conséquences inattendues de ces lois se font pleinement sentir, et ce, au grand détriment de ces mêmes locataires qu’on pensait aider.
La grande innovation législative de la loi de René Lévesque était d’instaurer la Régie du logement et d’accorder aux locataires un droit de maintien des lieux. En fonction de cette prérogative, qui fait toujours force de loi aujourd’hui, un locataire voit son bail de 12 mois reconduit automatiquement à l’échéance de sorte que le locateur ne peut mettre fin au bail à la date indiquée sur ce dernier. De plus, la loi introduisit des mesures de contrôle des hausses de loyers qui vinrent grandement limiter la capacité du locateur à maintenir ses loyers au prix du marché.
À première vue, ce contrôle indirect des loyers semble bénéfique pour le locataire qui se voit habiter un logis aussi longtemps qu’il le désire à un prix, qui, par la force du temps, devient dérisoire. Or, si ce locataire peut jouir de ce privilège, cela se fait au détriment d’un autre qui, en raison du contrôle des loyers, se retrouve à la rue, dans un logement dont le loyer est au-dessus de ses moyens ou trop petit.
Le système législatif actuel est une des principales causes de la pénurie de logements et de la vétusté d’une partie du parc immobilier. En imposant le maintien des lieux et en limitant grandement les hausses de loyers lors du renouvellement automatique du bail, la législation québécoise handicap le libre fonctionnement du système des prix.
La censure des prix
Les prix, plus que de simples chiffres, forment un système d’information capital aux entrepreneurs. Lorsque les prix d’un secteur de l’économie sont élevés en raison d’une forte demande et d’une offre inélastique à court terme, les entrepreneurs sont incités à réorienter leur force productive vers ces secteurs économiques pour profiter des prix élevés. L’augmentation de l’offre qui s’en suit permet alors un retour à l’équilibre avec la demande ainsi qu’une stabilisation des prix.
Lorsque le gouvernement censure les prix, il brouille le mécanisme de transmission de l’information. Les prix ainsi manipulés par les pouvoirs publics transmettent une information faussée qui dissuade les entrepreneurs à déployer leurs ressources là où, pourtant, les besoins sont les plus criants. L’offre et la demande restent donc en déséquilibre, ce qui occasionne des pénuries.
C’est justement ce phénomène qui affecte le secteur du logement au Québec et qui est à la source du déficit de 100 000 unités locatives dans la province5. En introduisant des mesures électoralistes de contrôle des prix des loyers dans les années 1970 et en les renforçant au fil des années, le gouvernement du Québec a semé les germes de la crise du logement qui frappe actuellement la province.
En fait, 71% des unités locatives au Québec ont été construites avant 1979 et 37% avant 19606. La disette de construction a rendu le parc immobilier locatif québécois vétuste. Pour cette raison, il nécessite un niveau de maintenance significatif. Or, avec des loyers contrôlés, plusieurs propriétaires ne peuvent obtenir un retour sur investissement justifiant les coûts d’entretien et de maintien en bonne condition de leurs propriétés.
En découle une série de problèmes analogues telle que le phénomène des «renovictions». Quoique marginal7, le recourt aux «rénovictions» devient la seule solution possible pour rentabiliser les coûts de rénovations majeures à effectuer sur un immeuble ayant un déficit d’entretien cumulé sur plusieurs années. L’autre solution est d’espérer le départ d’un locataire de son plein gré et de hausser massivement le prix du loyer pour rentabiliser les coûts de mise à niveau de ce dernier.
La solution logique
Des solutions ont été mises de l’avant par certains maires et organismes dans le but de résoudre la crise du logement telles que l’implantation d’un registre des loyers ou d’un contrôle plus strict de ceux-ci 8. Malheureusement, on ne soigne pas un malade en lui donnant la ciguë. Ces solutions ne feraient qu’exacerber la crise actuelle.
D’autres voix pressent le gouvernement d’investir dans des logements sociaux. Or, cette solution est loin d’être la panacée. Ces projets publics sont non seulement très dispendieux à construire, mais l’État est probablement un des pires locateurs sur le marché. La piètre qualité du parc de HLM parle de lui-même9.
Si le gouvernement cherche réellement à résoudre la crise, il devrait libéraliser les relations entre propriétaires et locataires. L’objectif est de faire respecter ce que le bail devrait être, soit un contrat de location dont les modalités sont établies et acceptées entre deux parties libres et consentantes. Ceci permettrait l’introduction de hausses de loyers raisonnables et favoriserait l’investissement immobilier afin d’agrandir et de rénover le parc immobilier locatif québécois.
Un problème politique
Cependant, une remise en fonction du système d’incitatifs économiques afin d’encourager la construction immobilière et l’entretien du parc locatif existant n’est pas suffisante en soi pour obtenir des résultats probants. Les villes et les municipalités du Québec semblent tout faire pour freiner la construction domiciliaire. Leurs bureaucraties trop lourdes entravent grandement l’ajout d’unités locatives sur le marché.
Maires et conseils municipaux découragent l’investissement immobilier en retardant des milliers de mises en chantier ou en paralysant les quelques chantiers majeurs qui finissent par sortir de terre10. Le cas des terrains de l’ancien hippodrome de Montréal est probablement l’archétype parfait illustrant l’inertie bureaucratique des institutions publiques en matière de création de logements. Près de 14 ans après la dernière course de chevaux et plus de 5 ans après leur rétrocession à la ville de Montréal, les anciens terrains de l’hippodrome restent encore à ce jour une vaste friche urbaine où les pelles mécaniques se font toujours attendre.
Le fait qu’aucune entreprise n’ait démontré son intérêt lors d’un premier processus d’appel d’offres visant à développer une partie du terrain expose l’incapacité totale de la ville de Montréal à inciter les entrepreneurs à construire de nouvelles unités de logement11. L’absence de clairvoyance dans le dossier s’exprime aussi à travers le fait qu’un regroupement d’intervenants publics a été créé pour dénouer l’impasse. Or, une bureaucratie pléthorique ne saurait être la solution.
Québec devrait forcer la main aux municipalités pour qu’elles accélèrent le traitement des demandes de permis de construction; assouplissent leur réglementation d’urbanisme afin de permettre la construction de bâtiments plus denses et plus hauts; et raccourcissent les processus consultatifs parfois interminables.
Enfin, la crise du logement qui touche le Québec est l’aboutissement de lois malavisées introduites au cours des dernières décennies et de l’inertie bureaucratique municipale. En ce sens, elle est une création artificielle découlant de nos propres politiques inconsidérées. Pour renverser la vapeur et éviter d’envenimer le problème, les politiciens, que ce soit à Québec ou dans les mairies, devront, pour une fois, faire preuve de courage. Mettre fin à la censure des prix et entamer le dégraissement du mammouth règlementaire municipal sont les seules voies de sortie qui remettront le marché du logement locatif du Québec sur les rails.
1. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1888093/crise-loyers-abordables-regions-inoccupation
3. À titre de comparaison, à la même période, c’est 12,1% des ménages ontariens qui étaient en difficultés.
https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-627-m/11-627-m2022056-fra.htm
https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageFichier.aspx?idf=76665
5. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1892436/100-000-habitations-manquent-quebec-apchq-penurie
6. https://www.corpiq.com/DATA/TEXTEDOC/Aviseo_marche locatif_Rapport_VF_avril23.pdf#page33
7. En 2021, 7 % des répondants à l’Enquête canadienne sur le logement ont déclaré avoir été expulsés d’un logement par le passé. De ce nombre, un maigre 10 % l’on été pour des raisons de démolition, conversion ou réparations majeures entreprises par le propriétaire du logement. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-627-m/11-627-m2022046-fra.htm#
8. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1952641/manifestation-gel-loyers-quebec-bail#
9. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1959332/logement-social-montreal-aide-locataire
11. https://www.lapresse.ca/affaires/marche-immobilier/2023-01-31/faux-depart-a-l-hippodrome.php